Bitcoin : l’instabilité de la monnaie de l’Internet doit-elle effrayer ?

Victime de vol, cible des hackers, la première monnaie virtuelle au monde connaît une crise de confiance sans précédent. Au total plusieurs dizaines de milliers de bitcoins ont disparu de la circulation. Cette devise universelle est-elle si peu sûre ?
Le bitcoin suscite crainte et curiosité. Après la faillite de la plateforme d’échange tokyoïte MTGox le 28 février 2014 et la fermeture de Flexcoin au début du mois de mars, des milliers d’internautes voient leur argent se volatiliser sans l’assurance d’être protégés par la loi comme ce serait le cas pour une institution financière traditionnelle. Cette indépendance à tout système financier et bancaire, dont le bitcoin tire sa particularité, est aussi son plus grand ennemi. Une crise de confiance s’installe autour du nom Bitcoin. Blanchiment d’argent, vente de produits illicites, évasion fiscale… les suspicions ne manquent pas. Et les faits d’actualité non plus. L’arrestation d’un membre de la fondation bitcoin le 28 janvier dernier a provoqué un tollé au sein de la communauté bitcoin. Charlie Shrem, jeune américain millionnaire de 24 ans ayant fait fortune grâce à sa plateforme d’échange Bitinstant, est suspecté d’avoir participé à un trafic de blanchiment d’argent. L’accusation d’un éminent membre du réseau bitcoin appuie les thèses les plus sombres sur l’utilité d’une telle devise. Le consommateur s’en inquiète. Les enseignes pourraient craindre de ternir leur image.

Car de plus en plus de e-commerçants ou même des magasins dans certains pays l’acceptent. Convertible en dollars ou euros, le bitcoin ne se cantonne pas aux échanges virtuels mais s’insère dans l’économie réelle. Les premiers distributeurs ont fait leur apparition dans le monde. Quelques centaines de dollars dans la machine et vous obtenez votre Bitcoin sur votre mobile. Certaines universités anglaises et chypriotes l’acceptent pour les paiements des frais de scolarité via leur site internet. Les initiatives d’insertion dans le monde réel se multiplient. Et la devise a à son avantage de pouvoir s’inscrire parfaitement dans des échanges mondialisés. Mais la virtualité de cette monnaie présente des risques et peut effrayer les néophytes de l’informatique.
La monnaie de l’Internet pour l’Internet
Première cryptomonnaie au monde, elle est protégée par un mécanisme de chiffrement. Le bitcoin est basé sur un algorithme complexe qui garantit son authenticité. « D’un point de vue cryptographique, le principe du bitcoin est sûr. Le mécanisme est solide. C’est mathématique », explique Gérôme Billois, expert sécurité du cabinet de conseil Solucom. En d’autres termes, la probabilité d’avoir de faux bitcoins est très faible. Le risque n’est pas là. « La fragilité de ce moyen de paiement électronique résiderait dans la manière dont la cryptographie est mise en œuvre », selon l’expert. C’est au moment de la transaction que les failles de sécurité apparaissent au profit de hackers. Les pirates du net peuvent alors détourner les bitcoins. « La malléabilité des transactions est un problème connu depuis 2011. En cas de piratage il n’y a personne vers qui se tourner. »
Les banques centrales peuvent intervenir dans le marché des devises mais pas sur le bitcoin. « C’est justement tout l’intérêt de ce nouveau système de paiement. Il a créé la monnaie de l’Internet pour l’Internet, fabriquée par les utilisateurs pour les utilisateurs », souligne Erwan Jonchères, conférencier, en maîtrise du droit des technologies de l’information à l’université de Montréal, spécialisé sur le bitcoin. Les banques, dont la Banque Centrale Européenne et la banque de France, mettent en garde sur les risques de ce système monétaire. « Elles ont tout intérêt à s’élever contre le bitcoin, qui est leur concurrent le plus direct », souligne Erwan Jonchères. « Le bitcoin offre une palette de facilités de paiement : vous pouvez envoyer de l’argent en Afrique en quelques minutes avec des frais minimes, à l’inverse d’une transaction monétaire internationale réelle, où la banque ponctionnera des dizaines d’euros ou de dollars. »

Une monnaie du crime ?
Frais bancaires réduits, facilités de paiement… le bitcoin a de quoi séduire les commerçants et les clients. Mais sa valeur manque de stabilité. En quelques mois, son cours est passé d’une centaine de dollars au mois d’août 2013 jusqu’à dépasser le montant symbolique du millier de dollars en décembre pour retomber aujourd’hui à environ 750 dollars l’unité. Sans émission bancaire, sa stabilité ne peut être garantie. L’achat massif de bitcoin augmente sa valeur et à l’inverse son échange en dollars ou euros la diminue. Certains supposent que l’investissement de sommes importantes en achat de bitcoins serait en fait du blanchiment d’argent.
La devise serait un outil idéal pour laver son argent sale issu du marché noir. « On passe de gré à gré de l’argent et on est incapable de le contrôler. Dans ce contexte, le blanchiment est très simple », affirme Eric Vernier, docteur en économie spécialiste du blanchiment d’argent. « On peut imaginer des montages plus sophistiqués où la vente de drogue est réalisée via une entreprise fictive sur Internet. » Sans aller jusqu’à cette complexité, le darknet – la face cachée du Web – a vu naître des sites de ventes illégales. Le site Silk Road, sur lequel les internautes pouvaient acheter des armes à feu et de la drogue, fermé un temps par le FBI, n’accepte que les paiements en bitcoins. Silk Road aurait ainsi engrangé plusieurs dizaines de millions de dollars grâce aux commissions prélevées sur plus d’un million de transactions enregistrées. « Même si le site ferme définitivement, des clones de Silk Road apparaîtront » prédit le spécialiste Eric Vernier.

Alors que certains érigent cette devise en monnaie du crime, d’autres mesurent l’opacité des transactions grâce à l’historique public Blockchain. « Les échanges sont traçables. On sait, pour chaque bitcoin, à quelle adresse bitcoin il appartient et a appartenu. On sait donc où est chaque bitcoin, à tout moment, mais pas forcément à quelle personne physique ou morale il appartient » explique Erwan Jonchères. Si en apparence le bitcoin est synonyme de préservation de l’anonymat, les internautes doivent tout de même se soumettre à des formalités. « Pour s’inscrire sur les plateformes, des justificatifs d’identité et de domicile sont requis en haute résolution. Quant à l’échange via distributeur, les numéros de téléphone sont exigés pour l’envoi de Bitcoin sur une application mobile. Ce n’est pas si opaque que certains le pensent. » Sous réserve de documents falsifiés, les identités des utilisateurs sont vérifiables.
Des tentatives de contrôle étatique
Aujourd’hui, on estime à plus de 12 millions le nombre de bitcoins en circulation, soit près de quelques milliards de dollars. Face à cet engouement, certains pays tentent de l’accepter, bien que juridiquement des obstacles restent à franchir. « Sans contrôle bancaire, en France et dans l’Union Européenne, le bitcoin ne répond pas à la définition de monnaie numérique prévue par les textes de lois » souligne Maître Garance Mathias, avocate à la Cour spécialiste du numérique. L’Allemagne déjoue la faille législative en la qualifiant de monnaie privée pour mieux la taxer à hauteur de 25 %. Le Japon, quant à lui, a annoncé au début du mois de mars l’étude d’un projet de taxation. Au Canada, le bitcoin est considéré comme un gain en capital ou une plus-value personnelle et est imposé à ce titre. Toutes ces tentatives démontrent la difficulté pour insérer le bitcoin dans le système législatif et économique actuel partout dans le monde. Mais la machine est déjà en route. A moins que toutes les plateformes s’effondrent une à une, soit en raison d’une faille technologique ou d’actes malveillants de piratage, le système continue de fonctionner. Le site Blockchain.info continue d’enregistrer toutes les secondes des transactions.
Les failles technologiques et juridiques auront peut-être raison de ce moyen de paiement. Pour Erwan Jonchères, « même si le Bitcoin ne résiste pas, il est aussi révolutionnaire que l’arrivée d’Internet dans nos vies. On trouvera probablement un moyen, à l’avenir, de combiner un système équivalent au bitcoin qui satisfera ».