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L'éditeur cherche à vendre son c?"ur d'activité. Le signe d'une capitulation face à Eclipse et la conséquence d'arbitrages financiers discutables.
Un chiffre d'affaires en berne. Une action boursière trois fois plus faible qu'en 2001. Des hésitations, voire des incohérences stratégiques en matière d'outils de développement. Le risque d'être exclu du Nasdaq pour retard dans la
publication des comptes annuels 2005 définitifs. Une expansion mal menée, bâtie sur des acquisitions chèrement payées... Borland traverse une nouvelle crise. Une épreuve dont il est coutumier. Explication des déboires actuels.
Marginalisé dans le développement
Septembre 2002. Nous écrivions dans 01 Informatique que l'éditeur avait su résister à la tempête des années passées : successions de PDG à la fin des années 1990, changement éphémère de nom... JBuilder,
son outil de développement Java, avait réussi à capitaliser sur le succès du langage de Sun, mais les arrivées d'Eclipse et de Visual Studio .Net avaient constitué de nouveaux défis. Moins de quatre ans plus tard, l'ancien spécialiste bureautique
plonge à nouveau. Raison apparente, l'effondrement de son c?"ur d'activité, les outils de développement logiciel. L'éditeur est pris en tenaille entre Microsoft et IBM. Chacun d'eux étant largement leader dans les environnements de développement
intégrés (IDE), respectivement sur les plates-formes Windows/.Net et J2EE. Résultat : le chiffre d'affaires de Borland en matière d'outils de développement a chuté de 35 % entre 2002 et 2004.Bien évidemment, le succès d'Eclipse, la plate-forme open source initiée par IBM en 2001, a plombé JBuilder. Mais la réponse de Borland s'est longtemps montrée hésitante, laborieuse, voire incohérente. L'éditeur n'a pas su vraiment
capitaliser sur le rachat de Togethersoft, finalisé en début 2003. Cet éditeur multi-plate-forme et multilanguage spécialisé dans le développement piloté par les modèles aurait dû l'aider à maintenir la compétitivité de JBuilder et à décoller sur le
marché de la modélisation. Tant sur la plate-forme Java que sur .Net. Mais sa solution en la matière peine à conquérir de nouveaux clients. Quant aux outils de développement, ils ont tardé à répondre à l'arrivée de Microsoft. Ainsi, C# Builder ne
sortira qu'un an après Visual Studio .Net. Delphi s'étant pour sa part figé depuis trop longtemps. L'éditeur reconnaît d'ailleurs lui-même dans ses rapports annuels avoir souffert en 2003 de l'absence de commercialisation de produits majeurs sur
.Net. Pour couronner le tout, l'acquisition de Togethersoft a été chèrement payée : 199 millions de dollars pour un ' goodwill ', c'est-à-dire une survaleur de 151 millions de dollars.
Une réponse hésitante à Eclipse
J'y vais ou j'y vais pas ? Face à Eclipse, telle a été, en résumé, la stratégie de Dale Fuller, l'ancien PDG de Borland, démis de ses fonctions en juillet 2005. Premier exemple : pendant plusieurs années, il prétend que les
IDE open source comme Eclipse n'offrent que des fonctions de base. Et donc que JBuilder conserve une valeur ajoutée. Mais, en mai 2005, il décide de réécrire son produit préféré sur la plate-forme open source. ' Cette décision
était probablement tardive ', estime Bola Rotibi, analyste chez Ovum. Elle s'avère lourde de conséquences. Pendant ce temps, le produit n'évolue pas, souligne Alexis Moussine-Pouchkine, architecte Java chez Sun. Au point
d'être désormais dépassé, tant sur le plan fonctionnel qu'en termes de parts de marché.En interne, les points de vue divergent. Durant l'été 2005, un membre du conseil d'administration propose de racheter la ligne de produits de développement. Dale Fuller refuse. Tod Nielsen, l'actuel patron, lui donne tort. Embauché en
novembre 2005, il met rapidement en vente cette ligne de produits. Mais aujourd'hui l'entreprise n'a toujours pas trouvé d'acquéreur. Même si ' des fonds d'investissement ont contacté Borland ', dévoile
Aaron Feigin, vice-président de la communication. Un vice-président muet quand il s'agit de justifier des choix financiers. Ainsi, depuis 2001, l'entreprise a décidé un programme de rachat de ses propres actions à hauteur de 150 millions de dollars.
L'équivalent de six mois de chiffre d'affaires ou de près de trois fois les charges de R&D en 2005. Au lieu de satisfaire ses actionnaires, elle aurait dû investir dans la R&D ou le marketing, ou embaucher les nouveaux profils en avant-vente
et en commercial dont elle a besoin. En effet, sa transformation de vendeur de boîtes en éditeur de solutions d'entreprise ?" deux modèles économiques différents ?" nécessite à la fois de mieux intégrer ses produits entre eux, de mieux
les interfacer avec les outils tiers, et de tisser des relations durables avec les grands comptes utilisateurs et les intégrateurs.
Les règles oubliées de bonne gouvernance
Au final, c'est un vrai gaspillage financier : l'éditeur admet ne plus pouvoir conserver ces deux modèles économiques différents, nécessitant des démarches commerciales spécifiques et des cycles de ventes opposés. A sa décharge,
ce programme financier visait d'abord à soutenir le rendement de son capital pour éviter de se faire avaler par un prédateur. Un souci qui l'a poussé d'autre part à voter en octobre 2001 un plan exceptionnel destiné à se protéger d'une éventuelle
OPA hostile.Pour vendre sa ligne de produits d'outils de développement, Borland doit retrouver la confiance des investisseurs, qui ne semble pas au beau fixe. Du fait d'un audit comptable plus long que prévu, l'éditeur a reporté la publication de
ses comptes 2005 définitifs, qu'il espérait communiquer le 31 mars 2006. Ce souci est dû aux insuffisances de contrôle dans la reconnaissance des coûts liés aux contrats de service. Du coup, l'éditeur risque d'être exclu du Nasdaq. Et ses
résultats préliminaires n'apportent pas de visibilité sur les lignes de revenus, en particulier sur celle des outils de développement qu'il cherche à vendre. Autre problème, sa volonté de changer le management n'apparaît pas des plus claires :
Dale Fuller fait toujours partie du conseil d'administration, mais d'autres dirigeants ont quitté le navire. Scott Arnold, patron intérimaire de juillet à novembre 2005, est parti après avoir tenté de prendre définitivement la succession de Dale
Fuller.De même, on peut s'interroger sur la double casquette du nouveau président, Tod Nielsen, qui aussi assume la direction du conseil d'administration. Un cumul qui ne respecte pas les principes d'indépendance défendus par les
spécialistes de la gouvernance d'entreprise. Selon eux, les équipes de management et du conseil d'administration doivent se composer de personnalités distinctes. Une situation d'autant plus étonnante que Borland se pose en éditeur de solutions de
gouvernance IT.La gouvernance forme d'ailleurs l'une des pièces maîtresses de sa stratégie de gestion du cycle de vie des applications (ALM). Une stratégie déjà amorcée en 2002, lors de la première vague d'acquisitions de l'éditeur. Mais qui,
jusqu'ici, n'était pas entrée dans les m?"urs de l'entreprise, nous confie l'un de ses salariés. Les derniers rachats paraissent, eux aussi, tardifs. Ainsi, celui de Segue Software, en 2006, survient-il alors que Mercury est largement leader en
matière de tests sur les plates-formes distribuées. Et celui de Legadero s'opère alors que des acteurs comme Compuware, Mercury ou IBM sont déjà implantés. Toutefois, un espoir subsiste. ' Même s'il est en voie de maturation,
le marché de l'ALM reste ouvert ', estime Bola Rotibi, de chez Ovum.l.arbelet@01informatique.presse.fr