Bruno Lebayle
Cet expert en réseaux et systèmes de 47 ans travaille à l'ESRF, un institut de recherche européen. Sa carrière illustre les déboires de l'industrie et du développement logiciel en France. Mais heureusement l'Europe lui a tendu la main.
Comment avez-vous atterri à l'ESRF (European Synchrotron Radiation Facility) ?On est venu me chercher pour mes compétences en réseaux. Je travaillais chez Themis Computer, qui a été rachetée par la société américaine Tekelec. Je développais des logiciels temps réel pour des systèmes embarqués comme des cartes de télécommunications... Auparavant, je développais des logiciels OSI [Open Systems Interconnection, Ndlr] au sein de la société Aptor [Aptor a été rachetée par Capgemini qui a mis fin à son activité de constructeur d'équipements de réseaux locaux, Ndlr]. Celle-ci avait conçu un réseau local industriel appelé Factor, basé sur le protocole OSI, en concurrence directe avec TCP/IP.Comment expliquez-vous l'échec du protocole OSI de l'ISO face à TCP/IP ?OSI est un protocole très lourd mais qui respecte les standards. Il est arrivé trop tôt alors que l'électronique n'était pas encore capable de gérer des logiciels complexes. Et puis, nous n'avions pas les reins assez solides face aux sociétés américaines qui avaient une stratégie plus ambitieuse.Est-il toujours possible aujourd'hui de bien vivre du développement logiciel ?Il y a de moins en moins de gens qui développent du logiciel en France. Déjà, quand j'étais chez Tekelec, la société recrutait des développeurs indiens à Bangalore. À titre personnel, j'ai constaté que mes camarades de l'école qui sont restés dans le développement n'ont pas connu une carrière aussi intéressante que ceux qui se sont spécialisés dans les réseaux ou l'administration système. J'ai bifurqué vers l'exploitation de réseaux grâce à un ancien collègue de Tekelec qui travaillait à l'ESRF.Qu'y a-t-il de particulier à travailler dans un organisme de recherche européen ?Par rapport aux organismes de recherche nationaux, notre budget est renouvelé chaque année car les pays participants ne peuvent pas réduire leur investissement. Au niveau du quotidien, l'anglais est la langue de base, y compris pour les e-mails et les mémos. Et, comme il y a beaucoup d'étrangers, il faut prendre en compte les différences culturelles. Par exemple, un Français ne parle jamais de son salaire alors qu'un Anglo-saxon en est fier. De même, les managers des pays nordiques sont beaucoup plus directifs et à cheval sur les horaires... Mais globalement, c'est à l'ESRF que j'ai le plus appris. L'environnement est stimulant et les gens sont très brillants.L'accélérateur de particules de l'ESRF génère une quantité de données impressionnante, n'est-ce pas complexe et coûteux à gérer ?Il est vrai que la capacité de stockage augmente d'année en année. Pour la maîtriser, nous limitons la durée de rétention des données [210 téraoctets sur disques, Ndlr] consultables par les chercheurs. Comme il y a beaucoup de chercheurs en visite, nous devons aussi gérer des problèmes de virus sur le réseau.Finalement, on peut faire une belle carrière à Grenoble ?Oui mais la qualité du travail proposé a baissé. On trouve des postes dans les SSII mais peu sont intéressants. Et puis, il y a eu les licenciements chez HP, la baisse d'activité chez Sun, le départ de NXP (ex-Philips Semiconductor) du projet Crolles 2. Mais il y a heureusement beaucoup de start-up et d'entreprises dans la vallée de Meylan comme Soitec, l'un des récents succès de Grenoble. D'ailleurs, je conseillerais aux jeunes informaticiens de commencer leur vie active dans une jeune pousse, c'est là qu'ils ont le plus d'opportunités d'évolution.
Votre opinion