DSI dans l'administration américaine pendant une quarantaine d'années, Paul Strassmann a fondé le cabinet d'information et de consultance Strassmann Inc. Il soutient l'idée que l'informatique va passer de l'artisanat à l'ère industrielle, de la même façon que la boutique du cordonnier a laissé place à l'industrie de la chaussure.
' Peut-être la lecture la plus utile pour comprendre les changements en cours est-elle liée à l'histoire de l'industrialisation. Je pense notamment au livre de Fernand Braudel, intitulé Civilisation matérielle, économie et capitalisme du XVe au XVIIIe siècle. Un ouvrage que j'admire beaucoup.
Braudel souligne que, durant les phases de grandes transformations économiques et politiques, les anciens emplois disparaissent. De nouvelles structures économiques se font jour, qui ouvrent de nouvelles opportunités. Je pense que nous vivons l'une de ces périodes, et qu'il faut examiner tout cela d'un point de vue historique.
La structure des emplois dans les métiers liés aux technologies de l'information me rappelle la forme " artisanale " qui prévalait avant la phase d'industrialisation. Chaque ville avait son fabricant de chaussures. Il faisait des souliers, certes très chers, mais bien adaptés à la personne qui avait les moyens de se les payer. Les gens qui travaillent aujourd'hui dans le secteur des technologies de l'information pratiquent une sorte d'artisanat en fabriquant du code et des systèmes propres à chaque entreprise, mais sans véritable logique économique, et à partir d'un assemblage très local.
Quand les fabriques de chaussures ont produit des souliers de bonne qualité, les artisans locaux ont perdu leur viabilité économique. Ils ont été remplacés par des commerçants, des travailleurs en usine, des gens du marketing et des designers. Le personnel employé dans la chaussure a cru dans des proportions énormes. Des prix plus bas et un plus grand choix ont permis d'augmenter le nombre de gens impliqués dans ce processus. Avec, à chaque fois, des compétences bien différenciées.
Les emplois sans vraie légitimité économique vont disparaître
Quels sont les emplois appelés à disparaître ? Tous ceux qui n'ont pas de vraie légitimité économique, et qui participent d'une infrastructure d'ensemble, qui, elle-même, n'a pas de vraie pertinence économique. Quels sont ceux qui vont monter ? Tous les emplois qui créeront de la valeur ajoutée par la réduction des coûts de transaction, et par des améliorations en termes de qualité, de sécurité et de fiabilité des systèmes.
Ce qui veut dire que l'analyse de systèmes et l'ingénierie de systèmes seront de plus en plus recherchées. Et cela sur une grande échelle. Est-il possible de " recycler " les gens qui travaillent sur des métiers en déshérence ? On ne peut pas employer le terme " recycler ". Il faut développer de nouvelles compétences et de nouvelles techniques, comme l'analyse de la valeur économique dans les métiers recèlant un fort potentiel d'enrichissement par les procédés informatiques.
Il faut bien voir que, dans les entreprises, les fonctions informatiques se mélangent de plus en plus à d'autres fonctions. Il est intéressant d'observer que ce ne sont plus tellement les gens de l'informatique qui ont besoin d'un MBA et de connaissances en sociologie, mais l'inverse.
Dans ces conditions, que restera-t-il des métiers de l'informatique en tant que tels ? La spécialisation et la complexification des problèmes à résoudre nécessiteront des spécialistes capables de suivre et d'anticiper les choses. Le rythme de changement dans le domaine des technologies de l'information s'accélère. Ce qui implique des compétences à la fois plus nombreuses et, surtout, nouvelles.
Dans sept ans, les qualifications requises pour occuper un bon poste seront tout à fait différentes : la question n'est pas de savoir ce qui reste aux informaticiens, mais ce que l'on y gagne en nouveautés. Ainsi les services Web constituent-ils déjà l'une des technologies pouvant être comparées à l'invention de la ligne d'assemblage dans l'industrie.
Le travail d'intégration des applications sera grandement simplifié. Ce qui est très important, puisque cette tâche consomme à peu près la moitié du temps utile de programmation. Le " plus " résidera dans le fait que les spécialistes de ce domaine seront très recherchés. Au contraire des généralistes, qui ne pourront pas relever le défi de la complexité.
Nos institutions devraient générer de la croissance, et non de la stagnation
Quant à l'offshore, je dirais que c'est une expression inadaptée. Ce à quoi nous assistons est un déplacement des produits industriels de base et des matières premières vers un plus grand rôle dévolu aux services. Le commerce global va sans doute augmenter trois à cinq fois plus vite que le PIB, qui a tendance à ralentir dans l'Union européenne. On peut donc s'attendre à une progression des services internationaux.
Ce type d'échanges n'est une menace que pour ceux qui n'innovent pas. Notez bien que la capacité à innover est une question d'organisation économico-sociale, et, en aucun cas, un problème lié au niveau moyen des salaires ! Dans ces conditions, les processus de restructuration et de licenciement ne sont pas achevés. En particulier dans les pays dont le PIB n'augmente pas grâce à une meilleure compétitivité sur les marchés globaux.
Là encore, il faut retenir les leçons de l'Histoire. Les sociétés qui furent à un moment donné supérieures à l'Europe sur le plan de la technique et de l'organisation ?" la Grèce, la Chine, etc. ?" n'ont été dépassées que par les initiatives entrepreneuriales qui ont fait de l'Europe ?" et plus tard des Etats-Unis ?" les moteurs de la puissance économique globale.
Les évolutions économiques et les déplacements induits par la croissance provoqueront toujours des craintes. La question est de savoir comment nos institutions sauront générer de la croissance, et non de la stagnation. L'ennemi de la croissance en Europe est la classe au sommet de la bureaucratie. Tant qu'elle imposera des obstacles à la réduction des coûts de transaction, c'est elle et non pas le secteur des technologies de l'information, qui sera à l'origine de la fragilisation des emplois. '
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