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La conduite du changement est une réalité au sein du secteur public. L'expérience des DSI montre que les effets de levier l'emportent sur les freins.
La conduite du changement fait peur. A commencer par l'arrivée de la Lolf (Loi organique relative aux lois de finances), cette nouvelle manière de présenter les comptes de la nation qui entre cette année en vigueur. Sous l'impulsion
des pouvoirs publics, il s'agit en effet de dépenser mieux et non de reconduire, d'une façon quasi mécanique, les ' services votés ' année après année au Parlement.Avec 34 missions de politiques publiques, regroupant elles-mêmes 132 programmes de mise en ?"uvre, les fonctionnaires ont dès à présent de quoi être déconcertés. Les DSI ne font pas exception. D'autant qu'ils sont
totalement partie prenante dans l'accompagnement et la formation des équipes aux nouvelles méthodes de travail instaurées. Pour familiariser 30 000 personnes à l'outil informatique ' lolfisé ',
80 000 heures de formation sont jugées nécessaires. Et que dire des autres grands chantiers impliquant l'adhésion des informaticiens du secteur public, depuis le dossier médical personnalisé jusqu'à la dématérialisation des achats publics,
en passant par la banalisation de l'administration électronique dans les collectivités locales ?
Des services créés pour accompagner les réformes
A la Haute Autorité de santé (HAS), le pilotage des équipes se vit au jour le jour. Instance publique indépendante créée il y a deux ans sur le modèle du CSA, de la Cnil et de l'ART, cette organisation a pour mission d'assurer la
qualité de la chaîne de soins, mais aussi celle des soins eux-mêmes. Le tout au service du patient. ' Dans la démarche qui est la nôtre, les maîtres mots sont qualité, indépendance, rigueur scientifique et
transversalité ', explique Antoine Vigneron, DSI de la HAS.Au milieu de cet immense chantier qu'est la réforme de la Sécurité sociale, un système de gouvernance destiné à accompagner le changement est déjà opérationnel. Un bureau des projets, dans lequel on retrouve des informaticiens et des
représentants des métiers, se réunit régulièrement pour faire des propositions au comité de direction. Celui-ci se consacre aux problèmes d'urbanisation des systèmes d'information. Siègent à ce comité le directeur général, les directeurs métier et
le DSI. Y sont tranchées toutes les questions liées à la traçabilité des indicateurs de santé.' Mon rôle est de comprendre, d'arbitrer et d'exprimer convenablement les besoins. Puis de fournir, dans toute la mesure du possible, un retour sur investissement financier pour chaque
projet ', reprend Antoine Vigneron. Est-ce toujours possible ? ' Je suis résolument dans une démarche business. Il ne faut jamais oublier qu'on doit s'insérer dans un plan d'urbanisation. Ceux à
qui nous nous adressons doivent comprendre immédiatement à quoi sert ce qu'on leur demande. C'est pourquoi, chez nous, on ne parle plus informatique. Mais métier, service, processus. 'Selon ce DSI, l'acculturation des informaticiens du secteur public à la conduite du changement est en bonne voie. Plus encore, elle est identique dans le public et dans le privé. Non sans fierté, Antoine Vigneron assure avoir bouclé
avec un mois d'avance. Il rappelle que le plan d'urbanisation a été validé par le comité de direction avant même le lancement officiel de la Haute Autorité de santé ! De fait, ce plan constitue un modèle du genre en termes de conduite du
changement dans le secteur public. Il est d'abord fondé sur l'optimisation des processus métier, privilégiant la logique de service. Et traite simultanément l'organisation, le système d'information et le facteur humain. Cela suppose une forte
implication des directeurs métier au niveau de la conception et du déploiement des différents projets.Enfin, le système de gouvernance définit les instances de décision, de validation et de mise en ?"uvre en assurant la présence conjointe de la DSI et des directions métier à tous les niveaux. Voilà pour l'amont. Les procédures de
validation des projets, elles, incluent les gains d'efficacité attendus au plan qualitatif et quantitatif, ce qui n'empêche pas quelques exceptions : lors de la mise en application d'un texte de loi, par exemple. L'intervention est alors
limitée à l'optimisation des coûts de mise en ?"uvre. Dans tous les cas, la démarche choisie est celle dite du ' prototypage itératif ' (qui remplace l'élaboration de cahier des charges), pour coller au plus près du
besoin des métiers.Cette approche permet aussi de rendre plus efficace le travail collaboratif. En effet, les utilisateurs participent à l'ensemble du projet, de la conception jusqu'au déploiement. Enfin, ce plan favorise la mise en ?"uvre des
programmes transversaux : portail, gestion des annuaires, gestion documentaire, mais aussi optimisation des flux de travaux sur l'ensemble des processus de production.
Former en permanence les agents à interpréter les nouvelles règles
Gérard Russeil, DSI de la Cnaf (Caisse nationale d'allocations familiales), confirme ce mouvement tout en y apportant quelques amendements. ' Pour nous, explique-t-il, la conduite du
changement est essentielle pour accompagner et rendre efficace l'administration électronique. Elle est extrêmement développée à la Cnaf et dans les CAF, tout comme l'explosion des déclarations en ligne et l'amélioration constante de la qualité de
service. C'est donc un concept qui va très loin. 'Il y ajoute une différence sensible avec ce qui se passe dans le secteur marchand. ' Nous recherchons aussi l'efficacité économique, qui fait partie du contrat avec notre tutelle. Mais dans le privé, cette
dimension économique est très souvent la première des exigences. Le public, lui, cherche à l'équilibrer en prenant en compte la dimension sociale. ' A la Cnaf, où les dossiers sont traités, instruits et liquidés, le système
d'information est totalement intégré à la chaîne de production.L'évolution réglementaire dans le domaine des allocations familiales étant très rapide, il faut en permanence former les agents à l'interprétation des nouvelles règles et à leur adoption dans le travail quotidien. D'où des supports
documentaires pour expliquer aux informaticiens, comme à l'ensemble des collaborateurs, ce qu'ils doivent faire. Et ça marche ! Toujours selon Gérard Russeil, les temps de réponse au téléphone sont sensiblement raccourcis, et les contrats
passés avec l'autorité de tutelle en termes de qualité de service sont tenus.
Donner l'impulsion en remodelant les façons de travailler
Pour Didier Vescovi, directeur des systèmes d'information, SIG, télécommunications et achats publics de la ville de Cannes, la DSI ne maîtrise pas tous les paramètres conditionnant la réussite d'un projet informatique. Surtout s'il
nécessite l'application d'une bonne dose de conduite du changement. Etant gestionnaire à la fois des budgets d'investissement et de fonctionnement, cette entité organisationnelle peut devenir un centre de coûts. Comme ces budgets se décident en
partie sur un retour sur investissement financier, humain ou qualitatif, la DSI ne peut donc prétendre tout contrôler.Sur le terrain, reconnaît Didier Vescovi, ' il existe parfois des structures de consulting internes permettant l'accompagnement des services fonctionnels sur les aspects organisation et réorganisation. Cela se
fait avec plus ou moins de compétence, d'efficacité et de collaboration avec la DSI. Il peut aussi exister des luttes de pouvoir entre le directeur de l'organisation et celui des systèmes d'information '. Et d'évoquer un
problème latent : ' Rares sont les DSI publiques qui ont été dotées des structures et des outils pour traiter l'ensemble des informations qui, elles, ne sont pas forcément toutes informatisées. '
C'est tout le problème de l'accompagnement du changement : il ne se résume pas à changer d'outil, mais implique de nouvelles façons de travailler en équipe.C'est pour répondre à toutes ces difficultés, et à bien d'autres, que Thierry Bono, responsable des études de la ville de Cannes, propose une réflexion d'ensemble, volontairement exigeante dans l'approche. Il essaye de se donner les
moyens d'une vraie prise en compte des changements requis. Et ce, avant toute décision de lancement d'un projet informatique. Au vu des premiers retours d'expériences, il juge utile de préciser les postulats suivants : tout nouveau projet doit
répondre aux attentes métier des utilisateurs, tout en s'intégrant dans un système d'information. Ce qui exige une étude préalable des processus organisationnels en place, abordée dans une logique transversale, même si le besoin exprimé au départ ne
l'est que par un service et semble correspondre à une niche.Le projet doit donc prendre en compte, dans son calendrier de mise en ?"uvre, une partie communication interne, destinée aux agents et aux élus, mais aussi une communication envers les citoyens, partenaires et entreprises. Il faut
également commencer par mesurer le niveau de connaissances et de compétence des agents. Et évaluer le degré de volonté du responsable de modifier son organisation et de mobiliser des ressources. Enfin, conclut Thierry Bono, il faut rappeler à un
service que tout projet informatique ne doit pas se contenter de mobiliser ponctuellement les ressources humaines : il devient partie intégrante de la charge de travail des agents.Dans un grand ministère de la République, la conduite du changement est une affaire sérieuse. La note interne produite par l'un d'entre eux sous la forme d'un compte rendu de réunion pointe ?" une fois n'est pas
coutume ?" le bilan de l'existant de cette réflexion sans mâcher ses mots. ' La maîtrise d'?"uvre est éparpillée de fait entre le DSI et quelques acteurs... Elle ne dispose pas de vision claire sur les
ressources et le plan de charge [...]. Les maîtrises d'ouvrage sont souvent inexistantes, peu professionnalisées, insuffisantes en nombre et organisées en silos, empêchant ainsi une approche transversale des thématiques là où la mutualisation
apporterait de la valeur. ' Et d'insister également sur le fait que ' le schéma directeur n'est pas seulement un projet informatique. Mais aussi, et d'abord, un grand projet humain et institutionnel qui
a mobilisé, et doit continuer de mobiliser pour sa mise en ?"uvre, l'ensemble des directions du ministère. 'La même note détaille ensuite la répartition des rôles entre maîtrise d'ouvrage et maîtrise d'?"uvre. La première est responsable de la commande, la seconde de la solution. ' La maîtrise d'ouvrage n'a pas à
préciser la solution en termes de matériels, de logiciels et d'infrastructures, mais seulement le besoin. De son côté, la maîtrise d'?"uvre ne doit pas empiéter sur les prérogatives de la maîtrise d'ouvrage et décider de faire ce qu'il est
opportun ou non. '
Des directions de ministères difficiles à mobiliser
Dans un autre ministère, un consultant en conduite du changement, qui tient à garder l'anonymat ?" on le comprend à la lecture de son témoignage ?" regrette ' qu'on ne soit pas du tout dans
un esprit d'amélioration de la qualité '. Pour lui, la conclusion est claire, ' il est inutile de vouloir faire passer les messages en direct, les gens n'écoutent pas ce qui vient de l'extérieur. Ce
sont les directeurs du ministère qui demandent aux consultants de leur fournir des arguments pour qu'eux puissent, ensuite, justifier des changements auprès de leurs collaborateurs. Ils se servent de nous pour avoir plus de poids sur leurs
employés '. D'où des pertes de temps, d'énergie... et de deniers publics.Il a ce mot terrible : ' Les directeurs du ministère ne gèrent pas des compétences, ils gèrent des ressources. ' Les agents de cette administration, estime-t-il enfin, veulent tout
faire par eux-mêmes, ce qui oblige ensuite la société de conseil à tout reprendre en parallèle : c'est le cas en ce moment, par exemple, pour la gestion du portefeuille d'applications.Rien de tel à EDF où, explique un consultant en organisation, le fait de travailler dans une entreprise publique ' n'empêche pas d'avoir des réflexes business '. Selon lui, la mise
progressive en concurrence du marché européen de l'électricité, et la séparation ' historique ' entre l'industriel français et RTE (Réseau de transport d'électricité) ont un effet bénéfique sur les troupes. Notamment dans
l'accompagnement des personnels à l'utilisation des outils de reporting et à la gestion des plans de charge. Encore faut-il savoir avec précision de quel type de poste on a besoin, et où aller chercher la perle rare.
Des pilotes issus surtout de formations internes
Nul ne conteste que le poste de consultant en conduite du changement soit indispensable. Pourtant, à regarder les sites d'emploi spécialisés, on reste dubitatif devant l'absence de propositions. On trouve des consultants, des chefs de
projets, des cadres rompus à la gouvernance des systèmes d'information... mais de spécialistes de pilotage du changement, point. En fait, il semble bien que la conduite du changement incombe à l'ensemble des acteurs de la chaîne de décision.
Tout le monde est concerné. Donc personne en particulier.De l'aveu même des recruteurs, la plupart des postes pourvus en conduite du changement sont le fait de promotions internes. Celles-ci sont des évolutions de carrières plutôt réservées à des cadres repérés pour leur capacité à prendre
des responsabilités managériales, et aussi pour leur parfaite connaissance du métier. Des compétences multiformes, donc, mais indispensables. Ainsi que le note Pierre de La Coste dans son rapport ' L'Hyper République :
l'administration électronique au service des citoyens ' : ' Tout problème prétendument juridique ou technique n'est en fait que le masque d'un problème sociologique, tenant simplement à l'antagonisme entre la
tradition administrative française et la nouvelle culture du réseau '. En pleine Révolution française, Edmund Burke en avait déjà exprimé la prescience en une phrase prophétique. ' Un Etat qui n'a pas
les moyens d'effectuer des changements n'a pas les moyens de se maintenir. ' Toute ressemblance avec des situations réelles ou fictives...