Cisco a peur de Skype, à juste titre

La plainte que vient de déposer Cisco auprès de la Commission européenne est plutôt étonnante. Elle témoigne de l'importance que prend la vidéo dans les communications.
Mais quelle mouche a piqué John Chambers ? Certes, les plaintes pour comportements anticoncurrentiels sont monnaie courante dans l’univers high-tech. Mais celle que vient de déposer Cisco auprès de la Commission européenne est plutôt étonnante. Le géant des réseaux IP demande que le rachat de Skype par Microsoft soit examiné à nouveau et soumis à certaines conditions. Lesquelles ? Principalement le respect de « l’interopérabilité basée sur des standards dans le domaine de la visiocommunication », comme le précise Marthin De Beer, le responsable de l’activité vidéo et collaboration, dans une note de blog. En d’autres termes, Cisco demande à la Commission européenne d’imposer à Skype-Microsoft – quatre mois après avoir donné le feu vert pour leur fusion – l’utilisation de standards interopérables. Voilà qui n’est pas banal.
C’est d’autant moins banal que Cisco n’est pas vraiment connu pour être un pourfendeur de l’interopérabilité, mais plutôt pour être un roi du verrouillage. Le fournisseur utilise bien un protocole propriétaire dans la téléphonie sur IP (SCCP). Idem dans la sécurité où, par le passé, Cisco a d’abord essayé d’imposer sa vision sur le protocole d’accès réseaux (NAC). Sans parler de la télépresence, où l’interopérabilité était, jusqu’alors, l’un des objectifs les moins recherchés par les différents acteurs du marché. Celui qui a déjà essayé d’intégrer des solutions multimarques pourra en témoigner…
Microsoft et la stratégie du bulldozer
Pourquoi alors, subitement, ce revirement quasi fanatique vers « l’interopérabilité basée sur des standards » ? C’est la trouille, tout simplement. La peur de devenir insignifiant dans le marché des communications vidéo, sur lequel Cisco mise beaucoup. « Nous pensons qu’un bon nombre d’appels téléphoniques passeront à l’avenir en mode vidéo. Mais, pour que tout le monde puisse communiquer avec tout le monde, il faut de l’interopérabilité », martèle Jean-Pascal Goninet, directeur Borderless Networks pour l'Europe du Sud chez Cisco. Or, apparemment, cette interopérabilité, Microsoft ne daigne pas la donner à Cisco. C’est en tous cas ce que dit John Chambers : le fournisseur aurait proposé un accord d’interopérabilité, mais qui est resté lettre morte.
Ce que redoute maintenant la firme californienne, c’est que Microsoft applique sa stratégie bien connue du bulldozer : imposer une technologie comme standard de fait en l’intégrant directement dans une gamme de logiciels déjà bien diffusée (Windows ou Lync, par exemple). Performante et pas chère, la visiophonie de Skype-Microsoft pourrait alors faire un tabac au sein des entreprises et marginaliser Cisco qui, de son côté, n’a jamais été bon marché. « Tant que Skype était utilisé au sein d’une communauté, ce n’était pas un problème », souligne Jean-Pascal Goninet. Maintenant que Skype peut profiter du trésor de guerre et du fichier clients de Microsoft, la situation a radicalement changé. Il a raison, le père Chambers, de se faire du souci. Mais ce n’est pas la Commission européenne qui va l’aider.
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