Concevoir des avions qui consomment moins de kérosène, génèrent moins de CO2, et sont moins bruyants… Tel est le défi de ce siècle posé aux avionneurs. Airbus, avec son A320neo, vise une économie de 15 % de carburant par rapport au modèle actuel. Boeing a des objectifs plus ambitieux encore, avec son futur 737 Max. Point commun à ces projets : la simulation numérique, omniprésente. Airbus, par exemple, peut s'appuyer sur un centre de compétences qui regroupe 865 personnes en Europe et 30 à Bangalore (Inde). Axel Flaig, vice-président en charge de l'aérodynamique chez Airbus, souligne :
“ Si on revient sur les progrès réalisés depuis quarante ans par l'aviation commerciale, le bruit a été réduit de plus de 20 décibels, la consommation de kérosène ramenée au siège a diminué de 70 %, de même que les émissions de CO2. La prochaine étape de ces améliorations, qui concerne l'A320neo, ne sera pas la dernière. Le trafic aérien doit continuer à croître sans empirer son impact sur l'environnement. ” Pour le futur A350, 5 000 configurations ont été testées en soufflerie virtuelle. Par rapport à l'A380, il y a eu 40 % de tests en moins en soufflerie cryogénique.Eric Chaput, expert des méthodes et outils de simulation chez Airbus Engineering, explique la démarche de l'avionneur européen :
“ Nous cherchons aujourd'hui à véritablement changer de paradigme concernant le design des avions : pour pouvoir calculer plus rapidement en utilisant moins de ressources, nous devons accroître nos capacités d'un facteur de l'ordre du million dans les années à venir. ” L'avidité des ingénieurs en termes de puissance de calcul est énorme, car leurs simulations sont de plus en plus complexes. Dans les années 90, ils se contentaient d'un gigaflop pour calculer les écoulements à haute vitesse sur l'avion. Dans les années 2000, sont venues s'ajouter la simulation des flux à basse vitesse, puis celle des flux instables. Actuellement, les avionneurs travaillent sur le calcul des tourbillons d'air générés derrière les moteurs et les ailes de l'avion, mais aussi sur son empreinte sonore au sol et à plusieurs kilomètres de distance.A l'opposé d'Airbus, un petit constructeur, Lisa Airplanes, déploie une tout autre approche. Cette start up, créée en 2005 près de Chambéry, a imaginé un hydravion hors normes, l'Akoya, conçu en CAO sur Solidworks. Mais les moyens limités de la jeune pousse l'ont empêchée de se doter des outils traditionnels de la simulation :
“ Le prix des licences et des machines, sans compter celui du personnel qualifié, les rendent inaccessibles pour les petites entreprises, déplore Benoît Senellart, ingénieur spécialiste des matériaux composites, aujourd'hui à la tête du marketing de Lisa Airplanes.
D'ailleurs, cela n'aurait pas de sens pour nous, dont les besoins en simulation sont très ponctuels. ”Les ressources des écoles d'ingénieurs au service de start up
Néanmoins, c'est grâce à des partenariats avec des écoles d'ingénieurs ainsi qu'avec l'Onera (Centre français de recherche aérospatiale) que le jeune constructeur d'avions a eu accès à la simulation. En l'occurrence aux outils de l'école Polytec de Savoie.
“ Les fibres carbone ne sont pas des matériaux isotropes (ils n'ont pas la même rigidité sous tous les angles). Il faut donc les positionner de manière précise pour créer une structure résistante et légère. Nous nous sommes appuyés sur Ansys et Nastran, les outils de nos partenaires, pour simuler ces structures ”, raconte Benoît Senellart.Autre aspect crucial du projet : l'aérodynamique. Les fondateurs de Lisa Airplanes ont commencé le travail sur leur appareil avant même que l'entreprise ne soit créée. Les premiers calculs ont été menés avec les moyens du bord : une maquette au tiers a été montée sur le toit d'une voiture, une balance aérodynamique a permis de valider les calculs réalisés avec Excel. Lisa Airplanes a ensuite eu accès à la soufflerie et aux calculateurs de l'Onera :
“ Les outils de CFD délivrent des résultats extrêmement précis. Néanmoins, cela demande énormément de temps, notamment pour le maillage. Aujourd'hui, après un an et demi d'essais en vol, les données mesurées s'avèrent très proches de celles calculées voici quatre ans ”, se félicite Benoît Senellart.