' Déchets électroniques : logique de prévention ou d'expansion ? '
A l'heure des bouleversements écologiques globaux, la responsabilité sociétale devrait insuffler à la société de l'information un esprit d'innovation et de changement(*). Du fait de l'apparente légèreté des informations manipulées, les TIC véhiculent une image de ' technologie propre '. La valeur économique pourrait être créée à coût zéro ou presque. La société de l'information serait une société postindustrielle, fondée sur des biens et des connaissances dématérialisés.La réalité s'avère différente. En avril 2002, le milliardième PC a été livré. Et d'ici à 2010, 150 millions de PC se seront ajoutés aux marchés industrialisés, et 566 millions aux marchés émergents. 674 millions de téléphones mobiles ont été vendus dans le monde en 2004, soit 30 % de plus qu'en 2003.Cette croissance, souvent saluée, s'accompagne de la progression, moins enviée, des déchets toxiques. Chaque année, de 20 à 50 millions de tonnes de déchets d'équipements électriques et électroniques (DEEE) sont produites dans le monde, avec un taux de croissance en volume de 3 à 5 % par an. Trois fois le taux des déchets classiques. Un Européen se débarrasse de 25 kg de DEEE chaque année, soit 4 % des déchets municipaux. En France, les DEEE représentent un tonnage équivalent à celui des véhicules hors d'usage (1,7 million de tonnes).
* ingénieur, philosophe et maître de conférences à GET-INT (Institut national des télécommunications). Il travaille dans le groupe de recherche Etos (Ethique technologie organisations société).
Le consommateur constitue le maillon faible
En 1993, soit 18 ans après le premier Apple et 50 ans après le premier ordinateur, le Parlement européen a émis une recommandation à la Commission sur la base de trois motifs : l'inquiétante augmentation des DEEE, la dangerosité de leur contenu, et la charge qu'ils représentent pour les collectivités territoriales ayant l'obligation de collecter et de traiter ces déchets. Dix ans plus tard, après de longues négociations, la directive sur les DEEE est adoptée. Elle repose sur quatre principes : celui de ' responsabilité élargie du producteur ' (REP), qui doit supporter les coûts de traitement en fin de vie ; la collecte sélective, sans quoi le traitement s'avère techniquement impossible, ou à des coûts exorbitants ; l'amélioration de la réutilisation et du recyclage ; et l'information des usagers.Le décret paru le 22 juillet 2005 a permis à la France d'être officiellement en conformité avec ses engagements. Mais cet accord a été obtenu au prix du report de problèmes cruciaux. Qui va rapporter les TIC en bon état à un endroit où elles seront démantelées ? Les producteurs le demandent aux collectivités territoriales, lesquelles refusent car les impôts ont déjà assez augmenté. Le bénévolat du citoyen-consommateur apparaît comme la solution la moins onéreuse... et la REP se transforme en REC, ' responsabilité élargie du consommateur ' !Un appel d'air pour davantage de gaspillage !
Organisations à but non lucratif agréées par les pouvoirs publics, les éco-organismes sont censés contraindre les entreprises en amont pour les amener à l'écoconception. Or, ils sont mis sur pied par les fabricants. Avec le dispositif actuel, ces organismes risquent alors de se transformer en instances privées d'aménagement du territoire, comme dans le cas des déchets d'emballage. L'éco-organisme dominant s'est en effet arrogé un pouvoir important d'aménagement du territoire. Il est en position de donneur d'ordres concernant l'implantation et la gestion des déchetteries, tout en étant gouverné par les producteurs de déchets, au grand mécontentement des collectivités territoriales.Et si les producteurs gouvernent les filières, n'auront-ils pas tendance à vouloir accroître le marché des déchets ? Cela créerait non pas une incitation à l'écoconception, comme escompté, mais un appel dair pour davantage de gaspillage... Alors que madame la ministre Nelly Olin a fixé pour objectif de ramener la quantité de déchets produits à 250 kg dans 5 ans et 200 kg dans 10 ans. La réduction des déchets était déjà prévue dans la loi de 1975...(*) 7es Tribunes du GET à Evry, le 12 octobre, sur le thème : TIC et responsabilité sociétale des entreprises ( www.int-evry.fr/tribunesget ).* ingénieur, philosophe et maître de conférences à GET-INT (Institut national des télécommunications). Il travaille dans le groupe de recherche Etos (Ethique technologie organisations société).
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