Détection automatique de la fraude : Bercy pourrait récupérer 4 milliards d'euros de TVA

Les services du fisc expérimentent depuis quelques semaines un système de datamining à même de déceler les cas de fraude. Selon les spécialistes de ce type d'outils et en prenant l'exemple belge, Bercy pourrait récupérer une véritable manne en ciblant la TVA.
On l’a appris début mars au détour d’une délibération de la Cnil, les agents du fisc disposeront bientôt d’un outil de détection automatique de la fraude. La direction générale des finances publiques (DGFiP) teste depuis quelques semaines un outil de datamining dans ce but. Silence radio pour l’heure du côté de Bercy. Tout juste concède-t-on que le développement et l'hébergement se font en interne.
Néanmoins, selon les spécialistes du datamining interrogés et en prenant l’exemple sur d’autres organisations, cette nouvelle arme de dissuasion fiscale pourrait cibler un type de fraude en particulier, et plus précisément la TVA. Là où la promesse de recouvrement est la plus forte. La Commission européenne évalue le manque à gagner de la France sur les recettes de TVA à plus de 32 milliards d'euros par an, Bercy l'estimant pour sa part à 10 milliards.
Précurseur dans ce domaine, le fisc belge récupère chaque année un milliard d'euros après la mise en place d'un système de détection automatisée de la fraude à la TVA. Un scénario à la Belge rapporterait donc au moins 4 milliards d'euros chaque année dans les caisses de l'État. Un chiffre à méditer quand on songe au plan d'économies de 50 milliards d'euros… De fait, notre voisin belge a mis fin ou presque à la fraude dite « carrousel », mécanisme bien connu des initiés consistant à créer des sociétés écrans éphémères pour récupérer des trop-perçus lors de ventes fictives via un autre pays de l'Union Européenne.
Ces manèges illégaux ont été stoppés par l'« analyse des réseaux ». Il s'est agi, dans le cas belge, d'établir des liens entre les acteurs de la fraude en croisant des données de l'administration fiscale et du ministère de la justice. « On a ciblé les entreprises nouvellement créées faisant régulièrement appel à des fournisseurs bien identifiés. À partir de là, on a pu mettre en évidence des réseaux pour détecter la fraude de manière très précoce, explique Jean-Loïc Berthet, consultant chez SAS, l'éditeur du logiciel. Les Belges sont désormais capables de supprimer le numéro de TVA d'une nouvelle entreprise en évaluant la probabilité de fraude. ». Selon l'UE, le carrousel représenterait 40 % de la fraude à la TVA à l'échelle du continent.
Le scoring a déjà fait ses preuves dans les banques
Les têtes pensantes du fisc ne sont pas les premières à voir dans l'exploration des masses de données disponibles un moyen d'améliorer la lutte contre la fraude. Depuis quelques années, des banques traquent en temps réel les transactions électroniques frauduleuses, voire en prédisent le montant, grâce au « scoring », méthode qui permet de déceler une fraude en scrutant les transactions passées. Le datamining est également utilisé pour repérer des anomalies dans les données d'assurance. « À chaque fois qu'il y a un remboursement, il y a un risque de fraude », résume Christophe Brasseur, directeur de projets chez Capgemini.
Les fraudeurs étant ultra-minoritaires, les dénicher dans les données revient à peu près à chercher une aiguille dans une meule de foin. La recette d'un outil performant dépend donc d'un certain nombre d'ingrédients. « La matière première, ce sont les données, avance Stéphane Tufféry, professeur à l'Université Rennes 1. Elles doivent être nombreuses, représentatives et homogènes. » Il faut aussi bien sûr disposer d'énormes capacités de calcul. Enfin, ajoute Christophe Brasseur, « il est nécessaire d'avoir des modèles de fraude qui ont fait leur preuve. » Par exemple, dans un système bien paramétré, détecter un infirmier libéral facturant 70 % de soins en plus que ses confrères du même secteur déclencherait une alerte.
Reste un obstacle majeur auquel pourrait être confronté Bercy : la réticence au changement et le manque de formation des contrôleurs à un tel outil d'aide à la décision. La promesse d'une efficacité accrue grâce au datamining suscite d'ailleurs un scepticisme poli côté syndical.