La controverse sur les formats bureautiques prend, depuis fin 2006, une tournure politique qui ne laisse pas, à moyen terme, beaucoup d'espoir de convergence. Derrière la bataille d'experts qui fait rage, se cache une question plus
importante que celle des mérites informatiques comparés d'Open Document (ODF) et d'Open XML (OOXML) : il s'agit de la définition de ce que doit être un standard en général, et plus particulièrement dans le domaine du document.ODF ayant été validé en 2006 en tant que standard ISO (International Standards Organization), Microsoft ne le conteste pas, mais ne l'adopte pas pour autant. Il va même au-delà de la demande du marché : on voulait un
standard ? On en aura deux ! Deux standards pour un même domaine, c'est un standard de trop, disent les adeptes d'ODF. La firme de Redmond n'est pas de cet avis, et s'en explique.
À chacun son standard
Pour Microsoft, Open Document et Open XML sont complémentaires et non concurrents. ODF est lié au logiciel bureautique libre Openoffice.org, tandis qu'OOXML reflète la richesse de la suite Microsoft Office 2007. Par ailleurs, le
format Open XML a été conçu spécifiquement pour représenter fidèlement les nombreux documents créés dans le passé par les versions successives des logiciels Microsoft. Conclusion : à chacun son standard ; les deux formats correspondent à
des cibles différentes ; ils sont complémentaires, et OOXML doit donc cohabiter avec ODF en tant que standard ISO.Cette position s'avère évidemment inconciliable avec celle des partisans du format ODF. Pour eux, l'objectif prioritaire de ce standard consiste justement à ce que les utilisateurs puissent travailler indifféremment avec tel ou tel
logiciel sur les mêmes documents, ce qui implique le ralliement à un standard unique.De plus, la fidélité aux anciens formats Microsoft est discutable dans le cadre d'un standard. Les logiciels Microsoft d'aujourd'hui doivent évidemment autoriser l'édition des documents du passé, mais le format utilisé pour les
nouveaux documents n'a aucune raison, lui, de ressembler aux anciens formats. Ces derniers n'ont jamais été pensés ni optimisés en tant que formats bureautiques ; chacun reflétait directement les fonctionnalités du logiciel auquel il était lié.
Bien sûr, il est intéressant de les analyser, de les baliser en XML, et de les documenter. Mais le fait de s'en inspirer pour l'avenir ne présente aucun intérêt pour l'utilisateur. L'état-major de Redmond a mis un peu d'eau dans son vin, en
annonçant le développement d'un convertisseur ODF pour la suite Office ; mais ce module de compatibilité n'est, finalement, qu'une curiosité informatique limitée, dont la principale fonction aura été de faire parler d'elle.
Quelle crédibilité du système international ?
Cette guerre des formats, dont l'issue demeure très incertaine, pourrait avoir pour première victime la crédibilité du système international de standardisation lui-même, devenu le théâtre d'un dialogue de sourds. La cohabitation de
deux standards n'apporterait rien en termes de substituabilité des logiciels bureautiques entre eux, donc ne changerait pas grand-chose dans le paysage. Et même si OOXML n'était finalement pas validé par l'ISO, quelle serait la valeur d'un standard
unique (ODF), boudé par un éditeur contrôlant 90 % du marché de la bureautique ?D'ailleurs, n'est-il pas un peu utopique d'imaginer un fournisseur, en position dominante sur son marché, accepter de son plein gré une normalisation dont l'objectif prioritaire consiste à rétablir la concurrence ? On a pu penser
que la normalisation des formats bureautiques constituait le plus court chemin vers la disparition des monopoles ; mais l'inverse est peut-être vrai aussi. Les agences de normalisation ne font pas le marché ; le pouvoir de décision revient
aux utilisateurs. Ceux qui ont une véritable volonté alternative en matière d'équipement des postes de travail n'ont pas besoin d'attendre la fin du match ODF/OOXML. D'ailleurs, à terme, ce n'est pas seulement l'offre de Microsoft qui sera mise en
concurrence, mais les fondements mêmes de la bureautique du XX
e siècle.
* directeur technique de Genicorp. La gestion documentaire figure parmi les nombreux domaines dexpertise de ce spécialiste du langage XML. www.01blog.fr/1899
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