Didier Vescovi (ville de Cannes) : ' nous payons peut-être le prix de la décentralisation '
Strates de couches informatiques épousant la structure des pouvoirs politiques locaux, délégation, ou centralisation, insuffisante de l'Etat... Vu par le DSI d'une collectivité locale, l'administration électronique en France n'a pas encore trouvé son allure de croisière.
En matière d'administration électronique, il est difficile de situer l'avancement de la France. Trop d'études divergentes. Vous avez un avis ?Didier Vescovi : Nous avons, je pense, refait notre retard. Depuis 1998 et les premières rencontres de Hourtin, qui ont débouché sur les missions interministérielles pour les technologies de l'information et des
télécommunications (Mitic), beaucoup de projets ont vu le jour. Dans les administrations centrales ?" sur ce point, l'Etat a été précurseur ?", mais aussi dans les collectivités territoriales. Nous nous situons sans doute dans le peloton
de tête des pays les plus avancés. Mais pas non plus dans le top cinq.Trop de résistances culturelles ? Départ tardif ?Didier Vescovi : Nous payons peut-être le prix de la décentralisation. Un projet comme la télédéclaration de l'impôt a été conceptualisé, développé et généralisé au ministère de l'Education nationale. En un seul
endroit. On aurait pu imaginer de la même façon, par exemple, un service
Etatcivil.gouv.fr central auquel toutes les collectivités se seraient rattachées. Au lieu de cela, chaque collectivité doit mettre en place son application. Il y a 36 000 communes en France.
Avec toutes les administrations concernées, cela fait 40 000 endroits où il a fallu développer une application et réaliser les ' coutures ' avec les autres services pour que cela fonctionne sans
heurt. Tout ça fait beaucoup d'argent investi, et beaucoup de temps passé, parce que tout le monde ne marche pas à la même allure.Et toujours pas moyen de mutualiser un peu tous ces services ? Par le biais des intercommunalités, par exemple ?D.V. : Le Coter Club, qui rassemble les DSI des collectivités territoriales, y fait référence dans un livre blanc. Pour l'instant, je suis assez déçu par les réalisations. La raison est qu'en France, on a encore
trop tendance à empiler les couches au lieu de les agréger. On ne délègue aux communautés urbaines ou d'agglomération que la gestion des infrastructures lourdes, les bâtiments ou les routes, les équipements sportifs ou culturels, les espaces verts
etc. Mais ces intercommunalités ne possèdent pas de compétence en ce qui concerne, par exemple, l'état civil. On pourrait aussi imaginer un service centralisé pour permettre aux familles de régler les activités scolaires ou périscolaires ou les
activités sportives. Mais cela n'est pas possible. Seules les communes qui en ont les moyens offriront ce type de prestations à leurs administrés. Les petites communes, si elles ne sont pas aidées, ne le pourront pas.Mais des économies d'échelle sur les équipements ne sont-elles pas possibles ?D.V. : Oui, si les infrastructures informatiques remontaient au niveau de l'intercommunalité. Cela existe, par exemple, avec les SIG (systèmes d'information géographique), pour les plans d'urbanisme. Là, il y a une
économie d'échelle. Et les petites communes ne pourraient pas se l'offrir. Mais si l'on examine les vieilles communautés urbaines ?" Lyon, Strasbourg, Bordeaux, etc. ?" nées d'une loi de 1963, que constate-t-on ? Que les villes
gardent leur système d'information et que les communautés ont développé le leur. Cela dure depuis quarante ans.Alors, on laisse tomber ?D.V. : Aller plus loin ne dépend pas de nous. Il faut une volonté politique. Dans une intercommunalité, les municipalités ne présentent pas toutes la même couleur politique. Fusionner des systèmes d'information, on
sait faire. Les luttes de pouvoir, en revanche, c'est plus difficile à régler. Mais on va avancer. Par petites touches. Et à défaut de mutualiser des structures, on tentera des mutualisations technologiques. Je crois très fort au développement du
web 2.0, aux architectures orientées client ?" le vrai, pas le client matériel. Par exemple, on développera de petites applications Java pour tel service réutilisable par d'autres collectivités pour d'autres services. Nous allons tenter ce type
d'échanges.Y a-t-il des exemples de réalisations en France qui vous épatent un peu ?D.V. : Pas des choses forcément spectaculaires. Le service d'état civil des Français nés à l'étranger de Nantes. Il précise des délais d'attente, et les respecte le plus souvent. Ça fonctionne bien. Au niveau
local, Allo mairie de Marseille est assez remarquable, et depuis longtemps. Pour chaque appel, une fiche remonte aux services concernés pour traitement. Et on garantit une réponse. C'est un vrai système de GRC : gestion de la relation avec le
citoyen.Le citoyen est-il oui ou non au centre de l'administration électronique ?D.V. : La première difficulté à résoudre est le décalage entre le système informatisé et le fonctionnement de l'Administration. Les services ne sont pas toujours organisés pour cela ou, simplement, il faut gérer le
décalage entre l'entrée d'une demande dans une file d'attente plus ou moins automatisée ?" nous n'avons pas d'agents disponibles 24 h/24 ?" et celui où elle va être traitée manuellement. Puis, il conviendra de voir comment ce
traitement manuel interagit avec l'existant. Internet est une clé pour ouvrir la collectivité locale aux administrés. On peut appeler cela administration électronique, mais il s'agit avant tout de service public. Et il va falloir reconsidérer la
totalité de ce service au citoyen. Cela passe par internet, mais aussi par le téléphone et, toujours, le guichet.De quel projet un peu original êtes-vous particulièrement fier à Cannes ?D.V. : Nos archives, notamment celles datant de plus de cent ans, étaient très demandées. La difficulté était de faire des copies et de les envoyer, ou d'accueillir le public venu les consulter. Aujourd'hui, tout
est numérisé, en ligne et gratuit. Si certains veulent des reproductions plus fines, ils pourront les commander et même les payer en ligne en 2007.Vos usagers sont des clients ?D.V. : Nous parlons de clients, tant en interne qu'en externe. Pour autant, nos ' clients ' sont captifs, et notre lien avec le citoyen n'est pas commercial. Mais en
ce qui concerne la qualité de service, nous devons tendre vers la relation client-fournisseur et nous inspirer des meilleures pratiques du privé pour l'appliquer au service public rendu.
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