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La fonction de directeur des systèmes d'information est peu répandue dans les universités. Pour apporter de la cohérence dans cet univers où prévaut l'autonomie, les précurseurs qui y jouent ce rôle s'appuient sur des comités de pilotage forts. Et s'attellent à la conduite du changement.
Appelée en 2000 à l'université de Montpellier 1 pour monter un centre de ressources informatiques, Claude Bagnol a bataillé pour convaincre de l'importance de créer un poste de directeur des systèmes d'information. ' Il a fallu deux ans pour faire admettre l'intérêt d'une plus grande transversalité. Nous avions une approche bien trop verticale. Reste à obtenir l'adhésion de tous, pour éviter un retour en arrière qui pourrait s'avérer catastrophique ', explique-t-elle. Sa nomination dans ces fonctions, en avril dernier, illustre l'évolution en cours dans les universités. Thierry Bédouin, le directeur du centre des ressources informatique de Rennes 1, adopte une démarche similaire : ' Voici deux ans, j'ai proposé au président de l'université un projet de comité de pilotage totalement transversal du système global d'information, dans tous les domaines, applications et ressources de numérisation. Nous sommes ainsi passés d'une structure verticale métier à une structure transversale usager. ' Même combat pour Jean-Marc Coris, le DSI de Paris 5, que le président de l'université a appelé début 2005 pour procéder à une réorganisation, après un audit des systèmes d'information.
Des itinéraires variés au sein du secteur public
A l'Institut national polytechnique de Grenoble (INPG), qui possède le statut d'université, l'évolution vers une direction informatique centrale est tout aussi récente. Là, il s'agit de faire converger les systèmes d'information de toutes les écoles dépendant de l'établissement.Le processus commence en 2001 par la création d'un poste de vice-président en charge des systèmes d'information, occupé par Guy Mazaré. Par la suite, l'institut recourt à un cabinet de conseil pour mettre en place des groupes de travail. ' Après de très nombreuses réunions, nous avons réussi à converger vers une structure acceptable, ménageant l'indépendance des écoles et la nécessité d'une centralisation. ' Résultat ? La création de six pôles de proximité, dotés chacun d'un responsable, et en parallèle d'une direction centrale des systèmes d'information, confiée à Thierry Even.Ces directeurs informatiques fonctionnaires affichent des parcours disparates, mais nombre d'entre eux viennent du sérail. Tel Guy Mazaré, centralien, qui a accompli la majeure partie de sa carrière en qualité d'enseignant-chercheur à l'Ecole nationale supérieure d'informatique et de mathématiques appliquées de Grenoble (Ensimag). Il y monte dans les années 80 une équipe de recherche dans un laboratoire et finit par diriger l'école de 1993 à 2003...Jusqu'à sa nomination, Thierry Even était chef de service de l'informatique d'une des écoles de l'Ensimag : l'Ecole nationale supérieure d'électronique et de radioélectricité de Grenoble (Enserg). Service qu'il avait lui-même créé en 1972. A l'Université de technologie de Compiègne, Harry Claisse pilote un système d'information recouvrant la gestion du personnel administratif, l'enseignement et la recherche. Ingénieur pur cru de son université, après un DEA et une thèse, il a ?"uvré dans un laboratoire de recherche. Thierry Bédouin, lui, a intégré en 1983 l'université de Rennes 1 et ne l'a plus quittée. Responsable du centre informatique de gestion dès 1989, il participe en 1999 au regroupement de son service avec celui des calculs et réseaux. Un début d'harmonisation, dont il ne cesse depuis de se faire le chantre.Claude Bagnol et Jean-Marc Coris ont suivi des parcours moins linéaires. Bardée d'un DEA informatique et gestion, et d'un diplôme d'ingénieur en méthodologie de projet, la première entame sa carrière en créant le service informatique de l'université de Lyon. Elle part au ministère de l'Education nationale déployer un outil de gestion comptable et financière. Puis atterrit à Montpellier 1 comme directrice du projet Apogée (Application pour l'organisation et la gestion des étudiants), promu par l'Agence de mutualisation des universités et établissements (Amue). Avant d'y créer, en 2000, le centre de ressources informatiques.
Des pionniers tenaces, mus par le goût de l'innovation
Après un diplôme d'ingénieur Cnam en informatique obtenu à Toulouse en 1983, le second effectue ses premières armes dans le secteur privé. Puis fonde le service informatique de l'IUT de La Rochelle. Il poursuit ce rôle de pionnier à l'université de la ville, jusqu'à ce qu'il parte exercer ses fonctions à Paris 5. En parallèle, il met en place le centre de ressources informatiques (CRI) de l'Université de Marne-la-Vallée et crée un progiciel de gestion intégré spécifique à l'enseignement supérieur. Ce projet Cocktail réunit une cinquantaine d'établissements, et sa dénomination reflète tant l'esprit fantaisiste de son créateur que la diversité de localisation des membres du consortium (jusqu'à la Réunion et en Nouvelle-Calédonie).Ces passionnés partagent deux points communs : la ténacité et le goût de l'innovation. Dans leur environnement, la plupart sont des pionniers de l'informatique et leurs initiatives dépassent largement le cadre de leur affectation. Ainsi, Thierry Bédouin est aussi responsable du groupe technique de l'association Ouest Recherche (un réseau régional couvrant la Bretagne et les Pays de la Loire) et expert sur les contrats quadriennaux à la Direction de la recherche. Outre son implication dans le consortium Cocktail, Jean-Marc Coris participe au pôle de recherche et d'enseignement supérieur (Pres) Paris Centre Université en tant que représentant en technologies de l'information et de la communication). Ces activités ne l'empêchent pas d'assaisonner son blog personnel de notes humoristiques, qui visent notamment les informaticiens.Guy Mazaré appartient au comité de pilotage de Grenoble Universités, qui regroupe les quatre vice-présidents systèmes d'information des universités grenobloises et les secrétaires généraux. ' La DSI de Grenoble Universités administre, entre autres, les grands applicatifs de l'Amue et, de plus en plus, les nombreuses applications dont la mise en ?"uvre est décidée en commun, explique-t-il. C'est le cas du logiciel Abyla, qui gère le patrimoine des universités et des écoles. Tous nos plans sont numérisés. Nous connaissons ainsi les locaux dont nous disposons au mètre carré près, et pouvons prévoir en connaissance de cause les travaux éventuels. '
Héritiers d'une architecture cloisonnée
Parmi les projets de la DSI de Grenoble Universités, on relève la mise en place des espaces numériques de travail (ENT). Avec le soutien financier de la région, qui fournit un bureau virtuel Rhône-Alpes. Ainsi, tous les étudiants et les personnels concernés se voient pourvus d'un service de messagerie, de capacité de stockage, d'un espace commun et d'un agenda. ' Notre rôle est de fournir les postes de travail pour y accéder ou d'aider à la configuration de leurs postes. ' Pour en assurer la réussite, la DSI de Grenoble Universités a intégré le projet Greco (Grenoble campus ouvert), qui joue un rôle d'assistance et de maîtrise d'ouvrage pour la définition des cahiers des charges.La tâche des directeurs informatiques d'université, quel que soit leur titre, est colossale. Initiatives des pôles de recherche, espaces numériques de travail, généralisation du cursus LMD (licence, maîtrise, doctorat), effets de la Lolf, compétition mondiale entre les établissements... sans oublier la pression technologique. La plupart d'entre eux héritent d'une architecture générale verticale et cloisonnée. ' Faible niveau d'intégration ', ' urbanisation au coup par coup ', ' archaïsme '... Lors de son intervention au Carrefour des systèmes d'information (Carsi), à Carcassonne en août dernier, Jean-Marc Coris ne mâche pas ses mots pour décrire la situation des systèmes d'information universitaires. Laquelle, certes, se révèle d'une complexité rare. Aux obligations de service public s'ajoutent la diversité des statuts (enseignants et chercheurs de tout type, personnels fonctionnaires et contractuels), de multiples produits et prestations (diplômes, enseignements, culture, recherche fondamentale et appliquée, études et réalisations) et une ' clientèle ' hétérogène mêlant étudiants, entreprises, laboratoires et établissements publics.
Un management assis sur des bases démocratiques
L'ampleur des chantiers à conduire est telle que les directeurs informatiques ne peuvent pas agir seuls. D'autant que les modes de gestion de l'Université reposent sur des bases essentiellement démocratiques, loin du système hiérarchique classique des entreprises. ' Quand on propose un projet, soutient Thierry Bédouin, il faut convaincre pour obtenir l'adhésion de tous. ' Le directeur des ressources informatiques de l'Université de Rennes 1 milite depuis longtemps pour la mise en place de structures qui favorisent le dialogue entre les divers acteurs. D'où le poids donné aux instances de pilotage. En effet, Thierry Bédouin anime un comité de pilotage du système d'information qui impressionne par la variété de ses membres. Cette structure collégiale rassemble le président, le vice-président en charge de la recherche, des études et de la vie universitaire, les trois directeurs d'unité de formation et de recherche (UFR), le secrétaire général de l'établissement et son adjoint, les trois responsables des services financier, scolarité et recherche, un représentant du ministère de l'Education nationale chargé des bibliothèques et, enfin, la collaboratrice du directeur du CRI. Ils se rencontrent toutes les six à huit semaines.Parmi les chevaux de bataille de Thierry Bédouin : la mise en place d'un référentiel unique et utilisable par tous. ' Il faut veiller à ce que les applications concordent, ce qui mène naturellement à bousculer l'organisation des établissements, avec la définition de procédures, de règles, de processus. ' Une telle action ne va pas sans réticences, d'où l'importance du comité de pilotage, qui engage le plus haut niveau politique de l'Université.
Un comité de pilotage, pour des décisions stratégiques
A l'Université de technologie de Compiègne, Harry Claisse dépend directement du président. Chargé de centraliser les budgets informatiques, après sélection, il fait valider les choix des projets par un comité de direction composé des directeurs des six départements de l'université et des deux directeurs fonctionnels. Jean-Marc Coris défend la même approche. ' La direction du système d'information n'est pas la prérogative d'une seule personne. J'ai considéré qu'il ne fallait pas un DSI, mais un comité de pilotage, avec les personnes clés. Nous sommes dans un établissement complexe, qui participe à la complexité du système d'information. Il appartient donc au comité directeur et, en définitive, au président de prendre les décisions, car elles sont stratégiques pour l'université. ' Cela ne l'empêche pas, comme ses homologues, d'influencer, de proposer, d'animer. A Montpellier, Claude Bagnol tient une réunion hebdomadaire avec le président et les directions métier de son université. Sa priorité : mettre en place des méthodes projet en adéquation avec les métiers et développer la cohérence des systèmes d'information.Ces pionniers ne cachent pas l'intérêt de leur mission, dont l'étendue paraît immense. Accompagnateurs du changement, ils doivent se montrer à l'écoute des nombreux métiers de leurs universités, faire tomber les obstacles, jongler avec les applications et s'adapter aux évolutions permanentes des réglementations. ' J'ai le souci de satisfaire tous mes usagers, y compris la secrétaire au fin fond d'un laboratoire ', insiste Jean-Marc Coris. Au-delà, ils apprécient la diversité et la richesse de leur environnement de travail. L'autonomie de l'Université leur ouvre un immense espace de créativité.