Eric Morand (Ubifrance) : « Le marché américain fait rêver tout le monde »

Eric Morand est chef du service NTIS (Nouvelles technologies, innovation, services) d’Ubifrance. Il fait ici le point sur les prestations proposées aux startups qui veulent s’internationaliser.
Quelles prestations proposez-vous aux startups ?

Éric Morand : Ubifrance est une agence publique financée par l’État et par les entreprises que nous accompagnons. Nous leur fournissons des prestations de conseil au développement à l’international. Ces dernières sont payantes, mais nous n’avons pas d’objectif de rentabilité, nos prix ne sont donc pas trop élevés. Nous servons d’accélérateur de business. Notre collaborateur devient le collaborateur de la PME ou de la startup pour l’aider à comprendre les tenants et les aboutissants du marché, à affiner son business plan, à contacter directement des prospects et à organiser des rendez-vous business. Nous convainquons aussi nos interlocuteurs américains de discuter avec nos entrepreneurs. Et nous coachons ces derniers en leur expliquant ce sur quoi ils doivent insister pendant l’entretien, mais nous ne vendons jamais un produit directement à la place de l’entrepreneur.
Est-ce que vous les aidez aussi à recruter ?
Éric Morand : Oui, mais avec l’aide de partenaires. Le recrutement à l’étranger est une question importante qui peut être un vrai frein aux États-Unis. Trouver les bonnes personnes coûte cher et le turn-over est important. Un bon commercial coûte au minimum 150 000 dollars. Nous travaillons notamment avec l’US French Tech Hub basé à San Francisco et Boston qui offre ce type de service.
Dans quels pays êtes-vous présents ?
Éric Morand : Nous avons des bureaux dans 70 pays. Sur nos 1500 collaborateurs à peu près 900 sont à l’étranger. Dans certains pays, nous avons même plusieurs bureaux. C’est le cas aux États-Unis où nous sommes présents à San Francisco, Chicago et New-York. Selon les secteurs nous avons plus ou moins de personnes. À San Francisco, une quinzaine de personnes travaillent sur les nouvelles technologies alors qu’en Indonésie nous avons un poste et demi de dédié. Seuls 8 % de nos salariés sont des expatriés. Nos équipes à l’étranger sont constituées de professionnels, pour l'essentiel de droits locaux spécialisés dans l’accompagnement des entreprises. Souvent, ils ont aussi des spécialités comme le big data ou l'e-commerce.
Quels secteurs économiques couvrez-vous ?
Éric Morand : Nous sommes structurés autour de quatre départements sectoriels : l’agroalimentaire (des équipements aux produits comestibles), l’industrie traditionnelle (comme l’aéronautique, le ferroviaire, le mécanique), les biens de consommation (du luxe au prêt-à-porter en passant par les cosmétiques et la santé), les nouvelles technologies (y compris l’innovation et les services). C’est ce dernier secteur que je dirige.
Aidez-vous uniquement les entreprises matures ?
Éric Morand : Non. Nous accompagnons les startups moins matures sur des salons autour d’une marque forte : la French Tech. C’est ce que nous avons fait au CES à la fin de l’année dernière, et à l’événement SWSX en début d’année. Dans ce cas-là, les startups n’ont pas nécessairement de produits finis ni de proposition de valeur bien définie. Les amener sur des événements leur donne de la visibilité auprès de clients, de partenaires ou d’investisseurs. Ils peuvent aussi confronter leurs produits aux consommateurs. Certaines startups nous ont assuré avoir accompli en trois ou quatre jours l’équivalent de six mois de travail en termes de retour produits.
Les startups ont-elles intérêt à ouvrir des bureaux à l'étranger ?
Éric Morand : Notre objectif principal est d’accompagner leurs produits à l’étranger et indirectement de créer de l’emploi en France. Mais travailler sans avoir son propre bureau sur place est compliqué, ne serait-ce que du fait du décalage horaire. Pour gagner la confiance de ses clients américains, mieux vaut avoir une adresse sur place ou un partenaire local. Pourquoi une entreprise américaine irait-elle travailler avec une startup française ? C’est un gros facteur de risque pour elle. L’entreprise française part donc avec un handicap. Choisir un partenaire réputé (intégrateur, consultant, commercial) minimise ce risque. Pour vraiment décoller, il faut souvent être sur place, voire avoir un dirigeant qui reste plusieurs mois avec un pouvoir décisionnaire pour rassurer le client.
Combien coûte une implantation aux États-Unis ?
Éric Morand : Partir est une décision importante à prendre, car cela coûte cher en effectif et en argent. Le marché américain fait rêver tout le monde. Par certains côtés, il est plus simple que le marché européen avec ses législations, ses langues et ses habitudes de consommation qui varient d’un pays à l’autre. Mais d’un autre côté, il est bien plus complexe, car c’est l’un des plus concurrentiels au monde. Une jeune startup française qui débute ne doit pas partir bille en tête aux États-Unis sans avoir vérifié la concurrence, si son produit répond à un besoin et combien cela coûte de s’implanter. Elle ne doit s’installer que si elle a déjà effectué des déplacements dans le pays, et qu’il y a une appétence pour le produit.
Quelle mise en garde feriez-vous aux startups voulant s’internationaliser ?
Éric Morand : Il ne faut pas partir à la rencontre de clients, ou de partenaires potentiels sans assurer de suivi derrière. Les gens ont rarement droit à une deuxième chance. Il y a quelques années, nous avions ainsi organisé un très bon programme à un éditeur de logiciels dans le domaine financier. Ce dernier avait rencontré des grandes banques canadiennes, mais il n’avait pas les ressources nécessaires pour répondre à leur demande. Un an après, il a voulu revenir, mais il avait laissé un trop mauvais souvenir, nous n’avons pas pu lui obtenir des rendez-vous d’aussi bon niveau. Rien ne sert de susciter de l’intérêt, si le coup d’après n’a pas été anticipé. Beaucoup de PME n’ont pas les équipes pour gérer l’international de manière sérieuse. Elles doivent avoir les moyens de leurs ambitions, mais elles ne sont pas toutes seules. Nous leur proposons des solutions dédiées aux développements à l’international avec nos partenaires Bpifrance et la Coface. Nous n’en sommes pas encore au guichet unique, mais nos structures se sont rapprochées.
Et quels conseils principaux leur donnez-vous ?
Éric Morand : Les conseils varient selon les pays. Aux États-Unis, il faut bien construire sa proposition de valeur. Un entrepreneur doit comprendre ce que font ses concurrents sur place pour pouvoir expliquer à ses prospects ce qu’il propose sur un créneau particulier. Souvent, les startups ont un produit complet qui fait plein de choses différentes alors que les Américains n’ont besoin que d’une chose en particulier. Inutile de présenter l’ensemble des fonctionnalités, seuls les facteurs différentiant de la solution ont un intérêt : quel est le point fort de la solution ? pour quelle raison et à quel prix ? Se concentrer sur une partie du produit n’est pas évident pour les startupers, ce sont souvent des ingénieurs qui ont envie de tout montrer. Nous devons les convaincre de ne pas parler de tout, mais au contraire de se concentrer sur trois ou quatre points. Pour capter l’intérêt d’un interlocuteur, il faut surtout lui expliquer comment le produit va lui faire faire des économies.
Et dans la forme, que leur conseillez-vous ?
Éric Morand : L’entrepreneur doit être direct et aller rapidement à la proposition de valeur de son produit. En passant du temps sur l’histoire ou sur les aspects technologiques, le risque est grand de perdre son interlocuteur. Ce dernier veut savoir qui vous êtes et quelles sont vos références clients, de préférence américaines, mais c’est surtout votre produit qui l’intéresse.