L'occasion est une pratique devenue courante pour le matériel. Mais elle a toujours été exclue pour les logiciels, à cause, notamment, des conditions strictes imposées par les éditeurs. Pourquoi ne pourrait-on pas faire de même avec les logiciels ?Il y a beaucoup de logiciels non utilisés au sein des entreprises, essentiellement pour deux raisons : certains ne sont plus exploités et d'autres n'ont jamais été utilisés ? ce sont les “ shelfware ”. Les entreprises trouveraient un grand intérêt dans le commerce du logiciel d'occasion pour réduire leurs coûts. D'une part, les licences d'occasion s'achètent à prix réduit et, d'autre part, la revente peut générer des gains au sein des départements informatiques.
Le potentiel du marché du logiciel d'occasion
L'utilisation réelle des licences constitue encore un défi pour certains départements informatiques. En 2003, Gartner a estimé que 42 % des licences CRM n'étaient pas exploitées.Une récente étude publiée par 1E chiffre à 12 milliards de dollars par an la valeur des logiciels inutilisés aux Etats-Unis. L'hypothèse de base est qu'il y aurait plus de 100 dollars de logiciels installés et non utilisés par PC chaque année. En considérant le cycle de vie moyen d'un PC, on atteindrait 414 dollars par machine.Le Munich Strategy Group estime que la valeur des logiciels non utilisés en Europe serait d'environ 8,8 milliards d'euros en 2009.Aujourd'hui, les principaux logiciels circulant dans le marché d'occasion sont les produits Microsoft, SAP, Oracle et Adobe, dans des versions assez récentes (publiées après 2007).La position défensive des éditeurs
C'est sans surprise que les éditeurs tentent d'empêcher la revente de leurs logiciels à coup de procès. Les tribunaux européens tendent cependant à s'opposer aux éditeurs.Les procès précédents ont montré que les éditeurs ont l'interdiction de clamer l'illégalité de cette pratique. En 2008, le tribunal d'Hambourg a “ défendu à Microsoft de publier des allégations trompeuses à propos du caractère juridique du commerce des logiciels d'occasion ”. Le procès Susensoftware contre SAP en 2009 est un cas similaire. Ce dernier voulait empêcher la revente de licences en déclarant que ce n'était possible qu'avec leur accord préalable. Avec l'appui des résultats du procès contre Microsoft, Susensoftware a gagné son procès contre SAP.Encore des limitations juridiques en Europe
Le contexte légal est expliqué dans la directive 2009/24/EC, qui concerne la protection juridique des programmes informatiques. Ainsi “ la première vente d'une copie d'un programme d'ordinateur par le titulaire du droit ou avec son consentement épuise le droit de distribution de cette copie dans la Communauté européenne ”. Un éditeur ne peut donc s'opposer à la revente d'une licence.Il y a cependant des limitations : la licence d'occasion ne peut être divisée par l'acquéreur dans l'optique d'en revendre une partie seulement. De plus, l'acquéreur original doit s'assurer que la copie chargée sur son propre ordinateur est inutilisable au moment de la revente, le droit de reproduction exclusif du titulaire du droit d'auteur doit être respecté. Même si le contrat prohibe explicitement le transfert de licences, le titulaire de la licence peut contester toute clause à ce sujet.Lors du récent procès Usedsoft contre Oracle, ce dernier s'est opposé à ce que la cessation du droit de distribution s'applique aux logiciels téléchargés. La Cour de justice de l'Union européenne a ainsi clairement stipulé que la directive s'applique lorsque le produit initial a été livré aussi bien sous forme matérielle que sous forme immatérielle, à savoir téléchargé. Selon Oracle, le transfert de licences sous support actif est illégal car le logiciel a été amélioré par le biais de mises à jour et représente un produit différent de l'original. La Cour de justice a alors établi qu'une licence reste utilisable après expiration du contrat de maintenance et que les altérations dues aux services de maintenance font partie intégrante du logiciel.Aux États-Unis, l'utilisateur est titulaire de droit
Le point clé est l'applicabilité de la Doctrine de première vente, mise en place par la Cour suprême en 1908, qui autorise la distribution et la revente de produits sous marque déposée une fois que le titulaire du droit d'auteur a mis son produit à disposition sur le marché. Ce principe s'applique à un contrat de vente, mais n'est plus valide lorsque l'objet de l'accord est une licence.D'après la cour d'appel pour le 9e circuit, trois critères décrivent l'utilisateur du logiciel comme un titulaire de droit plutôt que propriétaire d'une copie : le titulaire du droit d'auteur spécifie qu'à un utilisateur est accordée une licence ; le titulaire du droit d'auteur restreint la possibilité de transférer une licence ; le titulaire du droit d'auteur impose des restrictions d'utilisation.Ces arguments ont été débattus lors du procès Timothy Vernor contre Autodesk en 2007. Vernor vendait des produits Autodesk d'occasion sur eBay. Autodesk a immédiatement fait suspendre le compte eBay de Vernor, ce dernier intentant alors un procès contre Autodesk auprès de la Cour fédérale. Autodesk s'est défendu en déclarant autoriser “ l'utilisation ” de copies de ses logiciels sans les vendre. La Cour fédérale a plaidé en faveur de Vernor, identifiant la transaction entre Autodesk et ses clients comme une vente authentique.La Cour d'appel pour le 9e circuit a cependant fait appel à la décision de la Cour fédérale en 2010 en précisant que les importantes restrictions contractuelles ne permettaient pas de conclure pour l'instant.Un marché prêt à s'envoler
Les revendeurs sont à l'affût d'opportunités pour étendre l'actuel marché du logiciel d'occasion. Ils conseillent aussi les entreprises sur les possibilités et prérequis pour revendre des licences, par exemple : éviter les conditions trop strictes concernant le transfert et la revente des licences ou dépackager les licences pour permettre la cession d'une partie des contrats.Selon Peter Schneider, PDG de Usedsoft, le succès récent du procès Usedsoft contre Oracle “ va faire exploser le marché ”. Ce résultat est perçu comme une réelle avancée qui pourrait booster le marché du logiciel d'occasion en Europe et aux Etats-Unis.Les experts de l'industrie du logiciel voient néanmoins l'émergence du cloud comme un nouveau défi, puisque ce modèle se base sur une location de services sans acquisition de licences.
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