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Les appels d'offres pour des marchés d'un montant supérieur à 210 000 euros sont obligatoirement publiés sous forme électronique. Leur consultation est un succès, mais peu d'entreprises soumissionnent en ligne. La dématérialisation de la chaîne de transmission ne fait que débuter.
L'état attend d'énormes économies de la dématérialisation des marchés publics. De son côté, la Cour des comptes estime que les économies réalisées varient entre 5 % et 10 % du montant des commandes publiques annuelles, qui se montent à 130 milliards d'euros. En 2005, le portail interministériel marchés-publics.fr a enregistré 22 000 appels d'offres en ligne. Mais pour combien de propositions en retour ? L'Administration reste coite sur ce point, préférant chiffrer les économies de papier : une réduction de 90 % des photocopies et des envois de dossiers de consultation aux entreprises.Thierry Ehret-Franck, DSI du Conseil général des Yvelines, fournit un élément de la réponse : dans ce département, trois réponses en ligne depuis le 1er janvier 2005, date de départ de l'obligation faite aux acheteurs publics de recevoir les candidatures et les offres des entreprises soumissionnaires par voie électronique. Et le cas des Yvelines n'est pas isolé. François Fouillet, DSI de la communauté de communes de Parthenay avoue un zéro pointé : ' Nous sommes clients de la plate-forme Achats-publics.com, mais nous n'avons obtenu aucune réponse dématérialisée à un appel d'offres en dix-huit mois. '
70 plates-formes en quête d'interopérabilité
La dématérialisation des marchés publics assure, dans un premier temps, une économie de papier considérable, ' près de 4 millions de feuilles, soit l'équivalent de plus d'un hectare de forêt ', selon Louis François Fleri, chef de projet du portail e-Bourgogne. Cette plate-forme, parmi les plus abouties, annonce 2 000 réponses électroniques, dont 450 aux appels d'offres formalisés (requérant la signature électronique). Les entreprises, PME comme grands groupes, apprécient la consultation des appels en ligne ?" ' Neuf cahiers des charges sur dix sont téléchargés ', précise Thierry Ehret-Franck ?", mais rechignent encore à répondre aux appels autrement que sur papier. Les difficultés observées sont autant d'ordre technique qu'organisationnel. La réussite de projets comme e-Bourgogne pourrait montrer la voie à suivre.Les DSI du public ne remettent pas en cause le fonctionnement des plates-formes de dématérialisation proposées par les opérateurs ou éditeurs, et se montrent favorables à leur emploi. ' Il n'est pas bon pour une collectivité de gérer sa propre plate-forme, explique Thierry Ehret-Franck. C'est un outil destiné à apporter des preuves dans le cadre d'achats publics. Le risque serait trop important pour nous en cas de problème. ' François Fouillet renchérit : ' il s'agit d'un métier bien spécifique, qui doit être exercé par un tiers. ' En outre, les collectivités ne sont pas des entreprises comme les autres, elles n'ont pas forcément les ressources pour assurer une disponibilité 24 h/24. Le problème réside dans le nombre de plates-formes disponibles. Il en existerait soixante-dix en France, toutes différentes. ' Soixante-dix plates-formes, c'est soixante-dix modes d'emploi à maîtriser pour les entreprises désireuses de répondre en ligne, et autant de formulaires différents à remplir ', souligne Thierry Ehret-Franck. Fondées sur des technologies web, ces places de marché électroniques utilisent des mini-applications Java pas nécessairement compatibles. ' Nous avons constaté depuis quelques semaines des difficultés dans le téléchargement des cahiers des charges ', confie Thierry Ehret-Franck. Alain Laniesse, un consultant spécialiste de la dématérialisation, a tenté de s'inscrire à toutes les plates-formes. Son ordinateur a cessé de fonctionner avant la dixième inscription. Autant dire qu'il est quasiment impossible pour une entreprise d'avoir connaissance de tous les appels d'offres lancés au niveau local, encore moins d'y répondre en ligne. ' Tout cela est trop complexe, il faudrait harmoniser les procédures et, donc, en venir à une plate-forme unique ', suggère François Fouillet.
Nécessité de rassurer sur la confidentialité
C'est dans l'optique de l'unification qu'a été pensé e-Bourgogne. Regroupant 1 309 entités publiques (lycées, hôpitaux, communautés d'agglomération, de communes, conseil général, etc.), ce projet propose depuis janvier 2005 une salle régionale des marchés publics dotée d'un espace de travail collaboratif destiné aux acheteurs et de services de veille pour les entreprises. Ces dernières se sont montrées ' très favorables à la possibilité de trouver tous les marchés publics de Bourgogne à une seule adresse, explique Louis-François Fleri. Nous avons opté pour un développement spécifique, car il n'existait pas de solution multi-utilisateurs. Nous voulions que chaque entité gère de façon indépendante sa propre salle des marchés. ' Développée en logiciel libre, la plate-forme e-Bourgogne peut être reprise par d'autres groupements à moindre frais. ' e-Bretagne devrait ainsi voir le jour en janvier 2007 ', rappelle Louis-François Fleri.Au-delà des problématiques d'interopérabilité, la dématérialisation des marchés publics soulève des inquiétudes sur la sécurité des transactions électroniques. Selon la Direction générale pour la modernisation de l'Etat (DGME), sur les soixante-dix places de marchés électroniques, une vingtaine ne satisferait pas aux critères de sécurisation des échanges prévus par le code des marchés publics. ' Il faut installer un climat de confiance, rassurer sur la confidentialité des offres, affirme Louis-François Fleri. Nous avons intégré dès le début les Mapa (Marchés à procédure adaptée, ne nécessitant pas de signature électronique) pour montrer aux entreprises très réticentes que les appels d'offres en ligne fonctionnent '. Il fallait avant tout commencer.e-Bourgogne propose aux entreprises un coffre-fort électronique, un espace sécurisé où elles peuvent déposer et centraliser tous les documents nécessaires pour répondre à un appel d'offres. Le choix du prestataire, Atexo, a d'ailleurs été déterminé par ses compétences dans les domaines du cryptage et de l'horodatage. Il n'empêche que l'utilisation des certificats électroniques, indispensables pour toute réponse à un appel d'offres, rebute encore. ' Les entreprises pensent que leur emploi est compliqué ', constate Louis-François Fleri. Il faut dire que l'interopérabilité des certificats et des tiers de confiance électroniques n'est pas assurée. ' Ajoutez à cela qu'il faut les renouveler tous les six mois et qu'ils ne sont consultés qu'en cas d'attribution du marché public, et vous comprendrez mieux la position des entreprises ', prévient Thierry Ehret-Franck. Paradoxalement, les petites entités utilisent plus facilement la signature électronique. ' Dans une PME, le signataire est souvent le patron, un seul certificat est nécessaire. Dans un grand groupe, il y a toute une délégation de signatures, entraînant un lourd processus d'acquisition de certificats électroniques ', intervient Thierry Ehret-Franck.
Objectif : économiser 100 milliards d'euros
Même si les problèmes de normalisation des différentes plates-formes et tiers de confiance électronique étaient résolus, le boom des marchés publics en ligne semblerait encore lointain. ' Si nous avions reçu une offre satisfaisante, nous aurions été dans l'incapacité de la transmettre de façon dématérialisée au ministère de l'Intérieur pour qu'il la vise. Il faut envoyer au préfet un certain nombre de pièces, qu'il n'aurait pu recevoir autrement que sous la forme de papiers ', avoue Thierry Ehret-Franck. Un comble : il faut ' rematérialiser ' les offres dématérialisées ! Les entreprises ne sont pas mieux loties. ' Elles sont obligées de numériser les documents exigés pour un appel d'offres, comme un certificat assurant qu'elles sont à jour de leurs cotisations Urssaf, par exemple ', s'insurge Louis-François Fleri.La chaîne de la dématérialisation n'est pas complète. Le grand chantier des DSI d'entités publiques va être le développement de systèmes de transaction sécurisés et standardisés entre les composantes de la sphère publique. ' Nous travaillons à la dématérialisation des pièces de marché. Le protocole standard d'échange avec le ministère des Finances est prêt, il est développé en XML crypté, confie Thierry Ehret-Franck. En interne, nous utilisons des progiciels. Nous développons uniquement les interfaces de connexion vers nos partenaires et le tiers de télétransmission. C'est une architecture intéressante. ' e-Bourgogne ambitionne de dématérialiser toutes les pièces de marchés justificatives (procès-verbaux de commission d'appel d'offres, preuves de publicité...) d'ici à 2010. ' Nous sommes en test avec 26 collectivités, sur 16 postes comptables ', précise Louis-François Fleri. La dématérialisation ne peut pas être un objectif en soi, juste un moyen. ' Pour l'heure, on échange des documents, pas des données ', note Thierry Ehret-Franck. Si l'Etat veut économiser 100 milliards d'euros en six ans sur les commandes publiques, un colossal effort de normalisation des procédures devra être entrepris, d'un bout à l'autre de la chaîne.