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Après avoir séduit les particuliers, le navigateur de la Mozilla Foundation conquiert les entreprises. Elles l'adoptent souvent dans un contexte plus vaste : intérêt pour la bureautique libre, ou pour des technologies web
spécifiques, volonté d'indépendance envers les éditeurs commerciaux.
Comment une telle chose a-t-elle pu arriver ? Une récente étude du site de mesure et d'analyse d'audience XiTi révèle que le taux d'utilisation du navigateur libre Firefox dépasse 20 % en Europe. La France se situe un peu
au-dessous, avec 19,6 % d'utilisateurs, mais enregistre une progression plus marquée que la moyenne des autres pays européens. Huit pays dépassent 30 %, la Slovénie étant en tête avec 39 %. XiTi nous apprend aussi que le taux
d'utilisation de Firefox n'augmente que d'environ 2 % le week-end. La conclusion s'impose : une quantité non négligeable d'entreprises se sont converties au navigateur libre, pour remplacer, mais aussi bien plus souvent pour compléter
Internet Explorer de Microsoft, lequel, il n'y a pas si longtemps, taquinait les 95 % de parts de marché.Faisons un peu d'histoire. En mars 1998, lorsque Netscape s'aperçoit qu'il est en train de perdre la bataille des navigateurs contre Microsoft, qui a intégré gratuitement Internet Explorer à Windows, l'éditeur décide de rendre
disponible en licence open source la plus grande partie du code de sa suite d'outils Internet Netscape Communicator. La Mozilla Organisation, qui deviendra par la suite Mozilla Foundation, est chargée de poursuivre le développement des composants de
la suite. Firefox naît d'une bifurcation à partir du code du navigateur de la suite Communicator, et devient rapidement le principal objectif de développement de la fondation. La version 1.0 de Firefox sort en novembre 2004, alors que des millions
d'internautes ont déjà adopté Phoenix et Firebird, ses ancêtres, ainsi que les versions 0.x précédentes. Près de 25 millions de téléchargements sont effectués dans les 100 jours qui suivent, et le cap des 100 millions est atteint moins d'un an après
la sortie du navigateur.
L'utilisation : respect des standards et indépendance
Le respect des standards est sans aucun doute la motivation la plus souvent avancée pour justifier l'adoption de Firefox. ' Début 2005, nous développions une application de gestion du courrier en mode web, et
nous assurions alors une compatibilité à la fois avec Internet Explorer 6 et Firefox. Au cours de l'analyse de notre cadre de cohérence technique, nous nous sommes aperçus que le respect des normes W3C pour les feuilles CSS était réalisable assez
simplement avec Firefox, mais demandait un travail supplémentaire avec Internet Explorer pour assurer la même apparence des pages. Cela nous a conduits à en rester à Firefox, pour mieux respecter à la fois la norme et notre calendrier de
développement. À cette motivation s'en est ajoutée une autre, qui vient en seconde position seulement : une démarche interne qui consiste à composer nos postes de travail à partir de briques libres. Mais le respect des normes est vraiment le
point-clé ', explique ainsi Anthony Milan, ingénieur d'études à la sous-direction des télécommunications et de l'informatique de la Direction générale de la gendarmerie nationale.L'ergonomie et la sécurité sont aussi des motivations fréquentes. ' Nous utilisons indifféremment Firefox ou Internet Explorer, même si nous poussons un peu plus à l'emploi de Firefox, qui est désormais déployé
sur tous les postes. Ce dernier, plus convivial, est mieux adapté qu'Internet Explorer pour un usage moderne du web, et pose moins de problèmes de sécurité ', explique Erick Venon, directeur des systèmes d'information de SPR,
un groupe spécialisé dans les travaux de finition du bâtiment et qui regroupe une quinzaine de sociétés, pour 1 600 collaborateurs. Chez le promoteur immobilier Les Nouveaux Constructeurs, entreprise de 200 personnes, la migration vers Mozilla
Suite, puis vers Firefox, a été effectuée il y a trois ans. ' Le navigateur est utilisé dans l'entreprise pour accéder au progiciel de gestion de l'activité développé en interne. Il fallait donc une base solide pour cet accès.
À l'époque, les problèmes de sécurité se multipliaient sur Internet Explorer, les mises à jour devenaient trop fréquentes. Et le développement du produit n'avançait plus ', se rappelle René Eberena, responsable informatique.
Le cas du Monde Interactif (lire encadré) illustre de façon exemplaire l'importance que prennent les navigateurs et les technologies qui leur sont associées dans l'accès aux applications. Dans le cas de cette filiale du groupe La Vie-Le Monde,
l'arrivée de Firefox sur les postes de travail de tous les collaborateurs résulte du choix de XUL, le langage de description d'interfaces de Mozilla, pour le développement de l'application de gestion de contenu maison, le SEPT.
Mise en ?"uvre : pas de rupture pour l'utilisateur
Rassurons tout de suite ceux qui auraient des doutes : la mise à disposition de Firefox sur le poste de travail des utilisateurs n'impose pas d'entrer dans de coûteuses procédures de conduite du changement.
' L'installation d'un nouveau client ne demande pas de formation, ça reste un navigateur, l'interface web est conviviale et naturelle, d'autant plus que nous n'utilisons pas de fonctions avancées comme la syndication, relève
Erick Venon. Il n'y a pas de résistance des utilisateurs à Firefox, au contraire de ce que nous avons vu en migrant de Microsoft Office à OpenOffice, la plupart des gens n'y font même pas attention : ils utilisaient un navigateur, on leur en
installe un autre, ils passent au nouveau, cela ne change rien. '
' Il n'y a pas eu besoin d'accompagnement, explique le colonel Géraud, car un navigateur est un outil très simple, relativement
transparent pour l'utilisateur. Nous avons proposé de nouvelles applications auxquelles l'accès se faisait par Firefox, et l'accompagnement a plutôt porté sur ces applications. '
' Naviguer avec Firefox ou avec Internet
Explorer ne fait aucune différence pour l'utilisateur ', assure même Anthony Milan de la gendarmerie nationale.D'autant plus que la cohabitation est de rigueur. Microsoft n'a pas prévu de méthode pour désinstaller Internet Explorer du système Windows. En conséquence, le plus souvent, Firefox cohabitera avec son concurrent.
' Nous avons installé systématiquement Firefox en plus d'Internet Explorer sur les postes de travail. Nous avons ensuite communiqué par notre lettre informatique externe sur les avantages de son utilisation, en soulignant
l'intérêt des onglets, en installant un accès à notre annuaire interne dans la barre de navigation. Par la suite, nous sommes devenus plus directifs, en cachant tout ce qui était Internet Explorer, les icônes, les raccourcis. Le navigateur est
toujours là, mais on ne le voit plus. Pour l'utilisateur, il n'y a pas vraiment de différence, et nous n'avons pas constaté de résistances, alors qu'il y en a eu lorsque nous avons proposé OpenOffice ', assure Nicolas
Rennert, chef de projet informatique chez Les Nouveaux Constructeurs. Il est même assez rare qu'une entreprise interdise l'utilisation d'Internet Explorer. Seule exception, la gendarmerie nationale. Dans un premier temps, Firefox a été présenté
comme le client de référence pour l'accès aux applications sur l'intranet. ' Aujourd'hui, le portail n'est plus accessible si le navigateur n'est pas compatible avec le moteur d'affichage de pages web
Gecko ', explique Anthony Milan. ' Bien entendu, notre mode de fonctionnement nous permet d'imposer ce genre d'évolution, ce n'est pas le cas partout ', nuance Nicolas Géraud.
Les écueils : quelques sites réticents
Tout serait-il parfait dans le monde des navigateurs ? Bien entendu, non. Le poids énorme d'Internet Explorer se fait encore sentir. ' Le problème de Firefox, c'est qu'il respecte les standards, alors que
son concurrent ne le fait pas, et qu'il y a eu une tendance depuis quelques années à développer des sites pour s'adapter à IE, ce qui posait des problèmes de compatibilité. Tant que Firefox n'aura pas un poids assez important sur le marché, on ne
pourra pas l'imposer sur tous les postes de façon exclusive. Le jour où il n'y aura plus de problèmes de compatibilité avec les pages développées pour Internet Explorer, nous n'aurons plus aucun intérêt à conserver ce
dernier ', constate Erick Venon de SPR. ' Si nous privilégions Firefox, nous n'interdisons pas Internet Explorer, explique René Eberena. En effet, certains de nos collaborateurs
travaillent de chez eux, et nous ne voulons pas assurer l'assistance sur leurs postes personnels. Il reste aussi quelques problèmes d'accès à certains sites. Dans ce cas, il reste possible de recourir à Internet Explorer. '
Firefox pose aussi la question, propre au logiciel libre, de son devenir. ' Bien entendu, comme toujours avec le libre, il faut faire un choix soigneux entre les technologies pérennes, et celles qui risquent de disparaître. En
outre, lorsque nous avons fait le choix de Firefox, il occupait 3 % du marché. Aujourd'hui, il en occupe 17 %, et nous pensons qu'à terme, il arrivera à un tiers ', commente Nicolas Géraud.
Les gains : vers le poste de travail composite
Contrairement à ce qui se passe avec Linux sur le poste de travail ou OpenOffice, le choix de Firefox ne s'inscrit pas dans une logique de recherche d'économies. Comme l'exprime un témoin engagé dans cette migration,
' c'est une évolution sans enjeu financier, ce qui, pour beaucoup d'entreprises, revient à dire sans enjeu du tout '. Dans le cas de la gendarmerie nationale, le choix de se concentrer sur un seul
navigateur au lieu de deux a cependant eu pour conséquence de limiter les temps de développement, et de tenir ainsi le calendrier. Au Monde Interactif, Olivier Grange-Labat considère que l'utilisation du couple XUL-Firefox a permis de gagner du
temps, et d'arriver à une application plus riche, ce qui n'aurait pas été possible en n'utilisant que HTML et JavaScript. D'autre part, ' XUL est très modulaire, obligeant ainsi à bien structurer les développements, et
facilite les évolutions futures '. De façon générale, les bénéfices sont donc souvent à inscrire dans une démarche plus large, à commencer par le respect de l'évolution globale de l'informatique. ' On
constate que la tendance à se tourner vers des outils libres est générale, relève Nicolas Géraud. Derrière se profile pour nous toute la question de l'administration électronique et du contact numérique avec le citoyen. Nous
avons besoin d'utiliser des technologies universelles, on ne peut rien imposer qui ait un coût particulier à l'utilisateur. 'Une autre idée semble travailler les directions informatiques, celle du poste de travail composite, qu'exprime ainsi Erick Venon : ' Je préfère une mosaïque de petites applications à partir desquelles je
compose le poste de travail de l'utilisateur en fonction de ses besoins qu'une application à tout faire lourde, complexe à installer et à intégrer. ' On retrouve la même idée chez Nicolas Géraud :
' Faire du poste de travail une agrégation de logiciels ayant une faible adhérence au système d'exploitation sous-jacent apporte plus de légèreté à la conduite des opérations pour un responsable
informatique. '