Google défie les constructeurs automobiles

Déjà maître des cartes avec Google Maps et Waze, le géant du web entre dans l'habitacle de nos voitures avec Android Auto avant, demain, de prendre le volant. Un livre brûlot fait le point sur les desseins de Google dans l'automobile. De quoi donner des sueurs froides aux constructeurs.
Stop Google. Le titre parle de lui-même. Sur près de 200 pages (*), Franck Cazenave, directeur marketing et business développement chez l’équipementier Bosch, détaille la stratégie de Google pour envahir ce qui reste peut-être notre dernier espace de liberté et de mobilité : l’automobile.
En rassemblant toutes les briques comme le fait ce livre, on voit combien la volonté de Google de conquérir nos voitures est pensée et concertée. Le lancement en juin dernier d’Android Auto, la plateforme applicative embarquée, n’étant qu’une première étape d'une stratégie plus vaste.

Avec Google Maps Google et Waze, le géant du web est déjà le maître de la cartographie et des systèmes de navigation, il pourra parachever son œuvre quand il commercialisera sa voiture autonome. La Google Car redonnera du temps aux conducteurs. Fini les heures perdues dans les embouteillages, « l'occupant » passera le temps du trajet à consommer les services Google et ce en toute sécurité. Bardée de caméras et de capteurs, sa voiture autonomie entend bannir la notion même d’accident.

Cette vision pas si futuriste que ça – des Google Cars roulent déjà en Californie – mettra à mal le principe de propriété estim Franck Cazenave (photo). Si les Français et, plus encore, les Américains sont attachés à leur voiture, il s’agit du deuxième poste de dépense d’un foyer pour une ressource inutilisée la majorité du temps. « Google cherche donc à rendre obsolète la propriété de la voiture pour des formes alternatives de mobilité comme l’autopartage ou le covoiturage ».
La prise de participation du groupe américain dans Uber, la société américaine de voitures avec chauffeur (VTC) participe, selon l’auteur, de ce dessein. Son PDG, Travis Kalanick, ne s’en cache pas. Si avec son service UberPOP, tous les propriétaires de voitures sont des covoitureurs potentiels, l’idée sous-jacente est de se passer de chauffeur. Une fois doté d’une flotte de robots taxis, il reviendra moins cher de recourir aux services d’Uber que de posséder un véhicule.

Android, le pied de biche pour monter à bord
Et si 28 constructeurs ont prêté allégance à Google au travers de son Open Automotive Alliance, c’est, pour l’auteur, faire entrer le loup dans la bergerie. L’intégration d’Android dans l’habitacle affaiblira les marques automobiles prédit-il. « Le conducteur achètera le modèle d’un constructeur mais il verra tous les jours Android et Google Maps sur son écran intégré au tableau de bord. » Google pourrait même exclure le constructeur de sa relation avec son client si se généralisent les stations d’accueil (docks) qui permettraient de remplacer l’écran tactile par une tablette ou un smartphone.
Une attaque en règle alors que les constructeurs sont déjà en perte de notoriété. Selon le dernier classement d’Interbrand, Google est la deuxième marque mondiale derrière Apple. Toyota (10ème), Mercedes-Benz (11ème) et BMW (12ème) sont bien derrière. Affaiblis par les pures players du numérique, des marques pourtant centenaires pourraient même disparaître.
Le smartphone, à la fois clé de voiture et fiche d'identité du conducteur
Et Google ne s’arrêtera pas à servir de l’infotainement (GPS, musique, vidéo, messagerie) sur un écran tactile. La société détient 310 brevets et a déposé 153 demandes supplémentaires sur l’intégration du smartphone dans la voiture ainsi que pour la navigation.
Un smartphone peut déjà se transformer en clé de voiture. Demain, il contiendra le « profil » du conducteur. La position du siège et des rétroviseurs seront réglés en fonction de l’occupant, de même que ses stations de radio préférées. Bien sûr, il retrouvera tous ses services Google sur l’écran d’accueil.
Le livre met aussi en évidence une différence d’approche. Si pour les constructeurs, la voiture est un produit. Pour Google, c’est un objet connecté comme un autre à même de lui fournir des données. L’autopartage est ainsi vu par Google – non sur le modèle de l’Autolib’ parisien – mais comme « un moyen de collecter et de valoriser des données ». Google se rémunérant sur la publicité et les achats effectués par les occupants, une cible pour le moins captive.
A quand une union sacrée des industriels face à Google ?
Franck Cazenave conclut toutefois son livre sur une note optimiste. La bataille de la voiture connectée ne fait que s’engager et les constructeurs autos peuvent encore renouer les liens avec les conducteurs en répondant à leurs aspirations. Disposant de données stratégiques sur l’usure du véhicule ou le comportement au volant ils pourraient, à l’image du californien Tesla, proposer des services innovants comme l’intervention à distance évitant au client de se déplacer au garage.
Cela suppose de proposer des interfaces évolutives, reposant sur des standards ouverts de type Linux. Au lieu de ça, actuellement, le chauffeur conserve le même écran dépassé pendant quinze ans, la durée de vie moyenne d’une voiture. « Les industriels devraient se mettre d’accord sur des solutions ouvertes, communes et évolutives, sans quoi c’est un boulevard offert à Google et Android ! »
L’Europe a initié ce rapprochement. Elle finance à hauteur de 25 millions d’euros le projet Aide, pour Adaptive integrated drive-vehicule interface. Travaillant sur la conduite automatisée, ce projet réunit 29 partenaires dont BMW, Renault, PSA, Volvo ou Fiat.
(*) Ouvrage à paraître le 3 octobre aux éditions Pearson.
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