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Comment rationaliser les innombrables systèmes informatiques censés régler la retraite des Français, dans un pays où l'émiettement des régimes constitue la règle ? Un dossier techniquement compliqué et socialement explosif, à l'heure du départ massif des générations du baby-boom.
Le morcellement des systèmes de retraite en France est légendaire. Au point que l'on éprouve quelques difficultés à les dénombrer : pas moins de trente-cinq dispositifs, pour se limiter aux principaux. Entre le régime général et les régimes spéciaux, ceux qui intéressent exclusivement les fonctionnaires, et ceux, souvent très avantageux, des régies et des établissements publics, le citoyen a de quoi s'y perdre. D'autant que personne n'a intérêt à lui expliquer les différences flagrantes de traitement, dont on peut arguer, avec quelque légitimité, qu'elles constituent un manquement au principe d'égalité devant la loi.Dans un récent rapport, la Cour des comptes n'a pas hésité à pointer du doigt les faiblesses qui caractérisent la chaîne informatique de traitement des pensions. Selon l'autorité de la rue Cambon, ' cette chaîne est marquée par la multiplicité des ruptures de charge, c'est-à-dire par des changements de support [...] et par des passages d'une application informatique de traitement à une autre impliquant diverses manipulations '. Pas très clair, ce jargon administratif, mais limpide dans son argument principal : ça ne va pas. La numérisation ?" et, surtout, l'harmonisation ?" des systèmes de retraite représente un chantier titanesque.
Faire face au flux des enfants du baby-boom
Le plus important des chantiers à mener a pour scène la Cnav (Caisse nationale d'assurance vieillesse). Cette gigantesque machinerie administre aujourd'hui 15 millions de cotisants, environ 2 millions d'entreprises de toutes natures, une bonne dizaine de millions de retraités, et autant de virements mensuels. La charge de travail ne fait qu'augmenter. Selon un document émis par l'organisme, le grand défi des années qui viennent consistera à faire face à l'arrivée à la retraite des générations du baby-boom. Environ 900 000 demandes à gérer chaque année. Autre défi, plus qualitatif : tenir compte de déroulements de carrières de moins en moins linéaires et de plus en plus complexes à suivre, et d'un public aux attentes diversifiées. Dans ce contexte, conclut le document, l'informatique doit concourir à l'amélioration de la qualité des services rendus aux usagers. Gérer le complexe pour le rendre fluide, simplifier les processus pour permettre à chacun de s'y retrouver, voilà l'objectif affiché par la Cnav.' Nous sommes actuellement lancés dans une opération de mutualisation des serveurs de production, explique Alain Poussereau, le DSI de cette immense administration. L'objectif est de ramener le nombre des serveurs de vingt à cinq. ' A son avis, plus de la moitié du chemin aurait déjà été accomplie, de sorte que le chantier devrait s'achever avec un peu d'avance sur l'échéance prévue, à savoir 2008. Avec une diminution progressive des effectifs : une partie des employés partira... à la retraite, justement, tandis que d'autres auront négocié un départ anticipé et que certains auront été formés à d'autres spécialités.Qualifiant l'harmonisation des divers systèmes de gestion des retraites de ' compliquée ', Alain Poussereau se déclare néanmoins ' confiant ' quant à la suite des opérations. Et d'insister sur la nécessité de développer parallèlement des services en ligne à destination des assurés, ainsi que des extranets pour les entreprises et les interlocuteurs des autres caisses. Dès à présent, plusieurs outils sont opérationnels. Ainsi le SNGI (Système national de gestion des identités) contient l'identité des salariés et des retraités, reconstituée à partir d'un simple numéro de sécurité sociale. Fin 2005, plusieurs millions de personnes étaient déjà recensés dans ce fichier. Les autres organismes de protection sociale (la Caisse nationale des allocations familiales et l'organisme de retraite complémentaire Arrco, par exemple) recourent fréquemment à ce référentiel. Autre fichier disponible, celui du SNGC (Système national de gestion des carrières). Ce dernier renferme l'ensemble des données relatives à la carrière des assurés qui sont indispensables pour calculer leur retraite. Un relevé de carrière peut être édité à tout moment. Au 31 décembre 2005, ce fichier renfermait l'historique de plus de 64,7 millions de carrières. Ce système est aussi beaucoup sollicité par les autres grands régimes, précise-t-on à la Cnav. L'harmonisation est en marche.
Vers l'interconnexion totale des systèmes
Le temps presse, pour la Cnav comme pour les autres caisses. A partir du 1er janvier 2007, tout citoyen bénéficiera du droit à l'information consacré par l'article 10 de la loi du 21 août 2003. Aux termes de cette disposition législative, chacun pourra obtenir un relevé de sa situation individuelle prenant en compte l'ensemble des droits qu'il se sera constitués dans les régimes de retraite ' légalement obligatoires '. D'où l'apparition, depuis quelques mois, de divers GIE (groupement d'intérêt économique) informatiques ayant pour vocation de former les premières briques qui permettront l'interconnexion totale du système français.Systalians figure parmi les groupements devant participer à la coordination des divers régimes. Futur ' acteur majeur de la mutualisation des moyens informatiques de la protection sociale ', comme il se définit, il doit permettre au groupe Réunica Bayard, ' puis aux partenaires qui le rejoindront (institutions de retraite, de prévoyance, mutuelles...) de mettre en commun leurs systèmes d'information. Et, par conséquence, de réduire les coûts '. Une phrase sybilline signale l'étendue du problème : ' Pour les systèmes de gestion de la retraite complémentaire, les actions de convergence se renforceront au fur et à mesure du déploiement de " l'usine retraite " (sic), selon la feuille de route imposée par les fédérations de retraite complémentaires Agirc et Arrco. Pour la prévoyance, la convergence s'effectuera progressivement, en tant que de besoin. ' Diable ! ça n'a pas l'air simple. D'autant que pour Jean-Christophe Combey, directeur général de Systalians : ' Il faut réécrire tout le système d'information de la retraite complémentaire, mais d'abord obtenir le feu vert des fédérations Agirc et Arrco, puis ce sera l'intégration et la qualification de toutes les briques de régimes de retraite, ensuite la recette et le packaging avant livraison. ' On n'en est donc qu'au début de la chaîne, visiblement. Mais la voie est tracée et les premières briques s'emboîtent bien.Même son de cloche du côté du GIE Cent. Lui aussi concourt, dans le cadre du projet ' usine retraite ', à la convergence des systèmes de gestion de la retraite. Il est plus spécialement responsable de la brique ' déclaration nominative '. Avec la participation d'autres groupements, il devrait aboutir, au cours de l'année 2007, à la création du GIE Informatique retraite.De leur côté, les prestataires dont le projet est d'établir, à destination des directions des ressources humaines, des relevés de retraite pour leurs cadres et leurs employés, commencent à proposer des outils complets. France retraite réalise ainsi des ' bilans prévisionnels ' pour ses clients. Les estimations sont envoyées par courrier électronique aux services des ressources humaines qui les demandent, chaque document archivé faisant l'objet d'un scellement et d'un horodatage certifiant la provenance et la date d'archivage. Le coffre-fort électronique retenu est celui de CDC Arkhinéo (une filiale de la Caisse des dépôts). Le stockage dure dix années. Le client de France retraite a le loisir de consulter ses données à tout moment, à partir d'une plate-forme internet et de l'index réalisé grâce à l'archivage des métadonnées.
Une refonte suspendue au calendrier électoral
' Les problèmes techniques pour numériser et harmoniser les systèmes de retraite existent. Mais ils ne sont rien par rapport aux réticences culturelles, sociales et politiques ', résume un bon connaisseur du dossier. Dans ces conditions, il est vraisemblable que les enjeux ne seront pas évoqués pendant la période électorale qui s'ouvre. Et que la progression des chantiers se trouvera bloquée pendant plusieurs mois. Au surplus, les retraites représentent par définition une question nationale : le dispositif dépend de la philosophie pratique choisie par les pouvoirs publics (répartition, capitalisation, ou un peu des deux). Aucun espoir, donc, que les bonnes pratiques européennes fassent école. L'interconnexion informatique des régimes se fera, mais ne dépassera pas les frontières de l'Hexagone.
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