En France, il existe un fossé entre laboratoires publics et entreprises. Contrairement aux Etats-Unis, où j'ai travaillé au sein des laboratoires universitaires de l'Université de Californie du Sud et de la Stanford University. Là-bas, les industriels ont compris l'importance de la recherche amont. Ils suivent de près les progrès académiques, en participant aux travaux des laboratoires ou en assistant à des séminaires de recherche. En France, nous sommes à 1 000 lieues de ces pratiques.
Une culture collaborative à construire
Un industriel français qui vient voir un chercheur est surtout en quête de moyens financiers auprès de l'ANR (Agence nationale de la recherche) ou de l'Europe pour trouver des solutions à ses problèmes ou développer ses propres idées. La problématique de l'industriel peut être porteuse de sujets de recherche passionnants. Si le problème est ambitieux, si le chercheur garde sa liberté, c'est un modèle qui marche. Mais ce n'est pas le seul.L'industriel devrait aussi s'intéresser aux idées qui “ traînent ” dans les laboratoires publics. Celles qui révolutionnent le monde sont en effet souvent issues des laboratoires académiques, tel l'algorithme Pagerank de Google né à la Stanford University. En France, les idées des chercheurs ne se retrouvent pas dans le business plan des entreprises. Pourtant, la recherche hexagonale à beaucoup à offrir. L'Inria (Institut national de recherche en informatique et automatique) a par exemple vu 27 de ses projets informatiques récompensés par l'ERC (European Research Council). Aux industriels à prendre conscience de ce que recèlent les laboratoires publics français.Il existe trop peu d'opérations “ volontaristes ” sur des sujets porteurs comme le cloud ou le big data. Les industriels en parlent beaucoup, surtout quand le sujet devient “ branché ”. Mais le plus souvent ils bricolent, pendant que les chercheurs cherchent dans leur coin. Il faudrait mettre toutes nos compétences en commun.Les temps de réaction de structures comme l'ANR ou les programmes européens sont trop longs. En France, nous ne bénéficions pas d'une culture collaborative. C'est pourtant le moyen de faire éclore à grande échelle des idées en rupture avec l'existant.La recherche publique n'est pas gratuite
Les mentalités doivent également évoluer sur un autre point : l'argent. Le chercheur français est trop idéaliste, et les industriels pensent souvent que le chercheur du public est “ gratuit ”. Il faut savoir qu'un chercheur d'un laboratoire public est très sollicité, surtout en informatique, et surtout s'il est aussi enseignant. Donc, pour qu'il consacre plus d'une journée à un problème, il faut qu'il en retire financièrement quelque chose, que ce soit à titre personnel (consulting) ou pour son équipe.Aucune barrière institutionnelle n'empêche un industriel d'assister à un groupe de travail. Ni celui-ci de passer six mois sabbatiques dans un laboratoire pour s'approprier une idée. Ni d'organiser des séminaires industrie-recherche publique, ni de monter ensemble des opérations ambitieuses. Tout cela existe à Inria, qui a une longue tradition de collaboration avec les entreprises. Mais les lourdeurs de la bureaucratie et les freins de la propriété intellectuelle empêchent de faire plus. Il faudrait surtout changer d'état d'esprit, de mœurs et d'usages.
Votre opinion