Industriels : trouvez des idées dans les labos publics !

En informatique, les laboratoires académiques sont souvent à l'origine de changements importants. Les entreprises françaises auraient tout à gagner à s'intéresser à leurs idées.
En France, il y a un fossé entre laboratoires publics et entreprises. Aux USA, où j’ai travaillé plusieurs années dans des labos universitaires à USC (Université de Californie du Sud) et Stanford University, ce fossé n’existe pas. Là-bas, les industriels de nos domaines ont compris l’importance déterminante de la recherche en amont. Ils suivent de très près les progrès académiques, par exemple en participant aux travaux des laboratoires et en assistant à des séminaires de recherche. Et je ne parle pas seulement des chercheurs-industriels de labos comme ceux d’IBM, de Microsoft ou de Google, mais aussi des développeurs de produits innovants dans toutes les entreprises d’informatique, depuis les plus grosses jusqu’aux start up. Nous sommes à mille lieues des pratiques françaises.
Des idées à trouver dans les laboratoires publics
Suivant mon expérience personnelle, quand un industriel français vient voir un (enseignant-) chercheur, c’est le plus souvent soit pour trouver des moyens financiers auprès de l’ANR (Agence nationale de la recherche) ou de l’Europe, soit pour trouver des solutions à ses problèmes, travailler sur ses idées à lui. Il n’y a rien à redire à ça. Le problème de l’industriel peut être porteur de sujets de recherche passionnants. Si le problème est ambitieux, si le chercheur garde sa liberté, c’est un modèle qui marche. Mais ce n’est pas le seul.
L’industriel devrait aussi s’intéresser aux idées qui « traînent » dans les laboratoires publics. En particulier en informatique, les idées qui révolutionnent le monde sont souvent issues des laboratoires académiques, comme l’algorithme PageRank de Google né à Stanford University. Mon impression est que cela ne se passe pas comme ça chez nous. Les idées des autres (surtout celles des chercheurs) ne se retrouvent pas dans le « business plan » des entreprises ! Pourtant la recherche française a beaucoup à offrir.
Prenons juste l'Inria (Institut national de recherche en informatique et automatique). Notre recherche est compétitive comme en témoignent, parmi beaucoup d’autres exemples, nos 27 lauréats ERC (European Research Council). Ce sont donc 27 projets en informatique (au sens large) qui ont été jugés les plus intéressants, ambitieux, prometteurs, risqués, et à très fort potentiel – à un niveau international. On a parfois l’impression que les industriels français n’ont pas conscience de ce que nos laboratoires publics comme l'Inria recèlent.
Une culture collaborative à construire
Et pour critiquer cette fois autant les milieux académiques qu’industriels, nous ne voyons pas (ou très peu) se mettre en place d’opérations « volontaristes » sur des sujets très porteurs pour lesquels une réaction rapide est nécessaire pour rester compétitifs, comme le cloud ou le big data. Ah oui ! Les industriels en parlent beaucoup, un peu tard, quand le sujet devient branché. Mais le plus souvent, ils ne font que bricoler et les chercheurs se cantonnent à chercher dans leur coin. Il faudrait pourtant mettre en commun toutes les compétences disponibles.
Les temps de réaction de structures comme l’ANR ou les programmes européens sont beaucoup trop longs. Nous n’avons pas, en France, la culture de nous regrouper très rapidement à quelques-uns, chercheurs avec des technologies complémentaires et industriels avec d’autres talents, et la possibilité de mobiliser très vite des moyens. Pourtant, c’est le moyen de faire éclore à grande échelle des idées en rupture avec l’existant. A titre d’exemple, citons le projet « Amplab » à l’Université de Berkeley avec un esprit presque BarCamp et des financements industriels.
En France, on aurait passé des années à chercher des financements à Bruxelles et laissé à des avocats le soin de définir comment on collaborait, et qui en tirerait quoi. Les logiciels d’Amplab sont diffusés en open source. Il n’y a aucune restriction sur les publications. Les industriels qui paient n’ont aucune exclusivité sur les résultats et aucun droit de propriété. En revanche, ils ont un accès privilégié aux résultats et aux étudiants formés dans le laboratoire. Et je suis prêt à parier qu’ils vont y trouver leur bonheur (et peut être un « business plan »).
La recherche publique n’est pas gratuite
Les mentalités sont à changer sur un autre point aussi : l’argent. Le chercheur français est encore trop souvent un idéaliste. C’est vrai qu’avec les salaires que nous offrons à nos jeunes chercheurs – autour de 2 000 euros net à niveau d’étude thèse +10 –, il faut une bonne dose d’idéalisme. Donc, les industriels sont le plus souvent dans l’optique que le chercheur du public est « gratuit ». Après tout, le chercheur du public n’est-il pas déjà payé pour ça ? Eh bien, il faut savoir qu’un chercheur d’un labo public est très sollicité, surtout en informatique, surtout s’il est aussi enseignant. Donc, s’il passe facilement une demi-journée ou deux gratuitement à travailler sur les problèmes d’un autre, pour le convaincre de faire plus, il est nécessaire qu’il en retire financièrement quelque chose. Ça peut être à titre personnel, via du consulting. Ou pour son équipe qui a besoin de moyens pour conduire une recherche de qualité. C’est vrai que c’est un peu compliqué pour les start up, mais, à mon avis, c’est non seulement possible mais ce serait même bénéfique. Cela tire la start up vers le haut plutôt que la laisser s’engluer dans le quotidien.
Changeons les mœurs
Aucune barrière institutionnelle n’empêche un industriel de venir assister à un groupe de travail. Rien n’empêche celui-ci de passer six mois en sabbatique dans un labo de recherche pour s’approprier une idée. Rien n’empêche non plus d’organiser des séminaires communs industrie et recherche publique, ni de monter ensemble des opérations ambitieuses. Tout cela existe à l'Inria, qui a une longue tradition de collaboration avec les entreprises. Mais on pourrait faire beaucoup plus s’il n’y avait les lourdeurs de la bureaucratie et les freins de la propriété intellectuelle à court terme, qui découragent. Et surtout, il faut changer d’état d’esprit, de mœurs, d’usages.
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davidex
Il existe en France des initiatives locales qui travaillent au quotidien à rapprocher Universitaires et Entreprises, à les mettre en relations, à montrer les potentialités des labos de recherche et l'innovation industrielle qui peut en découler...
Sur le bassin Grenoblois/Rhône-Alpin, il existe l'AUEG - Alliance Université-Entreprise de Grenoble - qui existe depuis plus de 60 ans (fondée par Paul Louis Merlin entre autres), et qui oeuvre à cela. Une association qui mérite d'être connue à une plus grande échelle, et d'essaimer son mode de fonctionnement sur la France entière (et au delà).
Site: http://www.aueg.org
(voir aussi AUEG sur wikipedia)
Cordialement,
David. -
SamW
C'est aussi un problème d'éducation. Quels sont les liens entre les instituts de recherche et les écoles de management?
C'est pourtant là qu'on fabrique les futurs dirigeants et souvent les futurs entrepreneurs.
Je rève d'un barcamp monstrueux avec un mélange explosif d'élèves apprentis requins, des geeks autistes des écoles d'ingé et des chercheurs venus d'ailleurs, 2 semaines par an tous ensembles enfermés dans un camp de vacances en lozère.....
A j'oubliais avec un banquier qui a des c...
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