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Entre veille stratégique et recherche et développement, les évolutions technologiques rythment la vie des DSI. A eux de préparer l'avenir, sans négliger le court terme. Suiveur ou pionnier.
' Innovation ? c'est comme ça que l'on appelle le jeu dans le monde des affaires ', assure The Economist du 18 novembre. C'est vrai. Rappelons à ce propos
l'exemple, ludique entre tous, de l'invention de la xérographie. Mise au point dans un petit appartement new-yorkais, où les voisins se plaignaient vivement des odeurs chimiques, cette technique fut exploitée par un homme d'affaires redoutable qui
l'imposa dans la vie quotidienne. Sans l'intervention inespérée de ce médiateur de génie, le père de la photocopie, Chester Carlson, aurait été obligé de déménager...C'est dire à quel point une idée intéressante, si elle est soutenue par un coup de poker financier, constitue la recette même du succès. Mais comment favoriser l'innovation dans les entreprises par une stimulation de l'imagination et
du talent, y compris au sein des directions informatiques, tout en maintenant, dans le même temps, le cap sur les exigences du court terme ?
Soutenir les start-up aux technologies débutantes
Les entreprises du CAC 40 s'y emploient. Chez L'Oréal, où le rouleau compresseur de la communication marketing n'arrive pas totalement à celer les secrets d'organisation, il existe une DSI spécifique pour l'activité de recherche
et de développement. Cette DSI très particulière est bien pourvue financièrement. Sa dot augmente avec les performances stratosphériques du groupe. Une telle situation facilite la gestion de projets et la gestion de portefeuille. Surtout, explique
un consultant, la DSI affectée à la recherche et développement de L'Oréal fournit l'infrastructure et les applications nécessaires pour gérer convenablement les tests effectués sur les cosmétiques. Elle accélère le processus de recherche et alimente
référentiel et bases de données au fur et à mesure de la validation des essais.Même préoccupation chez Saint-Gobain. Dans une revue interne destinée aux cadres du groupe, Didier Roux, directeur de la recherche, pointe l'indispensable ouverture des processus d'innovation. ' L'innovation
externe passe par des collaborations plus soutenues avec les start-up pour accéder aux technologies débutantes, et donner à ces jeunes pousses l'accès à de vastes marchés ', écrit-il. Et de
conclure : ' On ne fait pas avancer la recherche en restant isolé. ' Quant à Everett Johnson, le président de l'Isaca (Information Systems Audit and Control Association), il enfonce le clou en
vantant les mérites de la fertilisation croisée. ' L'innovation ne peut venir que lorsque, à l'intérieur des entreprises, les informaticiens s'assoient autour d'une table avec les représentants des métiers. L'échange
d'expériences fait naître les idées. Beaucoup de DSI le font bien. Mais ils sont encore plus nombreux à ne pas le faire. ' Décidément en veine d'humour, Everett Johnson réplique à ceux qui craignent que les entreprises
appuient trop sur le frein pour fixer le budget des DSI : ' Si on met des freins aux voitures, c'est justement pour leur permettre d'accélérer ! '
80 % des sociétés du Nasdaq ont moins de 20 ans
Gérer les contraintes de l'existant en sachant garder le cap, c'est l'exercice délicat qu'affrontent les DSI. Avec le sentiment d'une ardente obligation. Les enseignements des dernières décennies ne laissent place à aucune ambiguïté.
Selon Michel Mabille, auteur d'un livre remarqué, La Maîtrise de l'innovation technologique, 80 % des entreprises cotées au Nasdaq n'existaient pas il y a vingt ans. Elles sont tout simplement issues de jeunes pousses ayant
exploité les avancées technologiques bien avant leurs concurrentes. Autre chiffre, symptomatique d'une mondialisation peut-être plus ancienne qu'on ne le croit : un tiers des cinq cents plus grands groupes mondiaux recensés en 1970 avaient
disparu en 1983.Fort de ce constat, le groupe Société Générale a décidé d'envoyer à San Francisco, à titre permanent, une tête chercheuse chargée de dénicher des idées susceptibles d'une exploitation commerciale. ' Richard
Hababou reste sur place pour nous alerter sur les occasions qui peuvent se présenter ', explique René Querret, DSI de la Société Générale. ' Son travail consiste à prendre contact avec des porteurs de
projets prometteurs. Pour ce faire, il rencontre régulièrement un capital-risqueur d'origine française, Jean-Louis Gassée, qui a monté de nombreux dossiers de financement de jeunes et détient un carnet d'adresses
impressionnant. ' Fait remarquable : l'envoyé de la Société Générale en Californie rapporte directement au DSI et lui montre, le cas échéant, des preuves matérielles pour attester la réalité de l'innovation... Mais
comment être certain qu'une innovation, une fois détectée, n'échappera pas au contrôle de la banque ? ' Quand cela s'avère nécessaire, pour s'assurer de l'exclusivité, on investit en direct dans la start-up
qui s'en trouve à l'origine ', précise René Querret. Afin de garder le contact, Richard Hababou revient régulièrement dans l'Hexagone présenter les pépites découvertes lors de cette incroyable ruée vers l'or. Le
reste du temps, il communique par Internet avec près d'un millier de collègues restés en France. Ce fut d'abord via un portail destiné à collaborer, échanger des informations et évaluer la progression des contrats envisagés.Aujourd'hui, le vecteur d'innovation le plus couramment utilisé est celui du ' mashup ', un concept qui monte en flèche aux Etats-Unis : il s'agit d'agréger, de mouliner et
d'optimiser des logiciels issus de différentes sources. La tendance s'épanouit sur la côte Ouest depuis son invention, au début de l'année 2005, par Paul Radermacher, fondateur du site
Housingmaps.com. Lequel voulait alors parvenir à combiner les données de Google Maps et celles provenant de fichiers immobiliers de type Craigslist.
Le Web collaboratif inspire les fournisseurs
Francis Dangel, DSI du Conseil de l'Europe, n'y va pas par quatre chemins : ' Il apparaît essentiel de réorganiser régulièrement les structures d'innovation si l'on veut éviter les risques de
sclérose. ' Et d'ajouter : ' Jusqu'à maintenant, il existait une cellule innovation. Maintenant, cette fonction est devenue transversale. ' Concrètement, l'innovation dans
cette DSI concerne, d'une part, une mission de veille sur la modernisation des services publics ?" et notamment sur tout ce qui concerne l'administration électronique ?" et, d'autre part, une veille technologique autour du
web 2.0. C'est la seule fois, au cours de cette enquête, que ce concept a été spontanément évoqué par un DSI. Une occurrence qui s'explique, selon Francis Dangel, par le tropisme du Conseil de l'Europe, orienté vers les questions de société, de
citoyenneté et de démocratie participative dans les pays européens adhérents. Créé par le traité de Londres, la plus ancienne des structures intergouvernementales du Vieux Continent a, en effet, pour vocation de défendre les droits de l'homme et de
conclure des accords pour harmoniser les pratiques sociales et juridiques des Etats membres.Reste qu'en milieu professionnel, le web 2.0 fait déjà l'objet de toutes les attentions. Côté fournisseurs, Intel s'y intéresse de près et travaille sur des solutions collaboratives, tandis que dans des entreprises comme Dassault
Systèmes ou Bouygues Télécom, on suit avec attention les usages, amorcés pour l'essentiel par le grand public. Mais la déferlante n'a pas encore débuté. Jean-Jacques Camps, DSI grande industrie Europe et ingénierie à Air Liquide, le note :
' Le web 2.0, c'est juste un peu de formalisation de ce qui existe déjà en matière de sites personnels et de blogs. 'Pourtant, le même Jean-Jacques Camps se montre bien plus prolixe à propos des entités innovantes dans sa propre division. ' Nous sommes dans une position paradoxale. D'abord, Air Liquide est une société tout
entière tournée vers l'innovation. C'est très formalisé, très organisé au niveau du groupe. Et régulièrement, à travers plusieurs manifestations, nous faisons appel aux contributions extérieures. Ensuite, il y a l'innovation dans les diverses
entités du groupe. ' A la DSI, il existe ainsi des ' responsables d'outils ', dont chacun est garant de sa ligne de produits et doit suivre tout ce qui s'y passe, y compris en
termes d'innovation. ' Au sein de la DSI, l'innovation se développe en impliquant les responsables d'outils ', explique Jean-Jacques Camps, qui croit aux vertus d'une habilitation du personnel étendue à
tous les niveaux.
Un mal nécessaire ou une marque de fabrique
Dans le tissu des petites et moyennes entreprises, on observe plusieurs cas de figure. Le premier, sans doute le plus répandu, reste celui où les DSI adoptent l'innovation technologique quand elle a été testée avec succès par les
autres. Et qu'elle tend à devenir un standard. C'est la situation décrite par Françoise Hemery, DSI de Vilmorin. Dans cette société ancestrale (créée en 1743, quai de la Mégisserie, à Paris), on revendique fièrement le titre de
' quatrième opérateur mondial du marché des semences potagères et de grandes cultures '. Et, à l'instar de Françoise Hemery, on reconnaît sans faux-semblant que ' seule la DSI
s'occupe véritablement d'innovation à l'intérieur du groupe '. Elle ajoute : ' Je fais de la veille technologique pour le compte de la société. Ce travail m'intéresse beaucoup et fait partie de ma
mission '. Pour autant, ces innovations arrivent lentement : il y a des projets pour rendre plus mobile et performant l'équipement des commerciaux (les ' vendeurs ', en
langage maison), et aussi la fourniture d'assistants personnels à certains horticulteurs. Certes, de l'aveu même de son responsable, ' le budget de la DSI, qui ne compte que onze personnes, n'est pas vraiment significatif.
Dans les PME, l'informatique est encore souvent considérée comme un mal nécessaire '.Puis il y a les autres, qui font de l'innovation leur principale marque de fabrique. Tel Dictao, société française qui se consacre au développement de solutions d'authentification forte pour l'Administration, et destine une part
majeure de son chiffre d'affaires à l'innovation. Dans ce groupe piloté par une équipe d'ingénieurs, on ne sépare pas l'innovation de toute l'activité. Ainsi, Anysign, la plate-forme de Dictao, a pu être mise au point. Une équipe de développeurs
?" population qui forme la majorité des salariés de l'entreprise ?" a écrit une succession d'algorithmes de cryptographie conçus pour authentifier les transactions. Autant dire que les processus d'innovation sont entièrement
intégrés au fonctionnement et à l'organisation de Dictao. Avec succès, puisque des structures aussi diverses que le Crédit Lyonnais ou les Journaux officiels figurent désormais parmi les clients.
Les PME au c?"ur d'un réseau en plein essor
Même observation pour l'afficheur JCDecaux, qui s'est allié avec l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) pour mener à bien un projet de transfert de technologies autour de la mobilité en milieu
urbain. Dans toutes ces initiatives, on évolue à la frontière entre innovation technologique et innovation d'usage, mais aussi à la lisière de la recherche et du développement. Les PME se situent au centre d'un maillage, d'un système fonctionnant en
réseau. Et qui ne va faire que se développer à mesure que le web collaboratif se banalisera.Ce dont témoigne, à sa manière, Steve Wozniak. Le cofondateur d'Apple, bien oublié aujourd'hui, a sorti, le mois dernier, aux Etats-Unis, un ouvrage de mémorialiste inspiré. Il y raconte ce que furent les débuts d'Apple et la
cohabitation avec son comparse Steve Jobs. Reconnaissant dans un grand éclat de rire, et visiblement sans amertume, qu'il a toujours préféré le côté ludique de l'innovation aux promesses de l'argent qui corrompt, il en conclut que le fait même
d'innover avec succès procède de l'heureuse conjonction de trois facteurs : la transpiration, la patience et la coïncidence. Dans cet ordre chronologique. A la vérité, en travaillant voilà trente ans au fond de son garage, Steve Wozniak était
déjà bien le DSI d'une sorte de PME innovante. Même si, maintenant, il est pauvre... comme Jobs ?
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