Jean-Pierre Coudreuse, directeur d'un laboratoire de recherche en télécoms
C'est un regard désabusé que pose Jean-Pierre Coudreuse, à l'origine de la standardisation de l'ATM, sur le monde des télécoms.
A six mois de la retraite, refusez-vous toujours le qualificatif de père de l'ATM ?Jean-Pierre Coudreuse : J'ai mis du temps à me rendre compte que les idées nouvelles avaient besoin d'un médiateur, et que c'était peut-être ce que je savais faire. Finalement, j'accepte le titre de père de l'ATM, même si je préfère toujours être considéré comme celui qui a porté le message d'une équipe de recherche tout entière.Quel est votre meilleur souvenir de carrière ?J-P.C. : L'expérience très forte d'avoir été responsable de l'élaboration collective d'un document qui allait devenir une spécification et de conduire au consensus une audience de spécialistes venus des quatre coins de la planète. Participer ainsi à l'accouchement de l'acte de naissance de l'ATM, qui prendra une dizaine d'années. Certes, nous aurions aimé que cette technique se déploie jusqu'aux terminaux... Mais l'ATM reste caché au c?"ur du réseau d'aujourd'hui. Une fierté aussi : aucun de mes trois enfants ne fait le même métier que moi. Ils ont su prendre leur liberté.Aviez-vous conscience de marquer l'Histoire avec vos travaux de standardisation ?J-P.C. : On croit profondément à ce que l'on fait, évidemment. De là à prétendre marquer ou avoir marqué l'Histoire... L'Histoire, c'est une écriture collective !A l'inverse, votre plus grande déception ?J-P.C. : J'ai beaucoup aimé le côté humain de mon métier. Seul regret : être passé à côté de quelques personnes brillantes dont je fus responsable, mais que je n'ai pas su bien comprendre, ni conduire. Ce n'est pas toujours facile d'être patron de chercheurs ! Mais une déception, je ne crois pas. Une nostalgie plutôt. Je ne reconnais plus le monde de l'informatique et des télécoms, ni l'environnement dans lequel s'y développe la recherche. Aujourd'hui, l'objectif n'est pas tant de construire un bon standard que d'y introduire le plus possible de brevets. Avant, on déposait des brevets, mais on s'empressait de partager les idées pour emporter l'adhésion. Recherche publique, industrie, exploitants de réseaux, et utilisateurs y trouvaient leur compte. On aspirait plus à construire des réseaux que des portefeuilles. Je suis peut-être un dinosaure, mais je le revendique.A la retraite, comptez-vous garder un pied dans les télécoms ?J-P.C. : Non, et sans nostalgie réelle. J'ai d'autres centres d'intérêt qui n'attendent que ma disponibilité... J'ai eu la chance d'arriver au début de la révolution numérique et de l'accompagner jusqu'à son terme, quand les télédiffuseurs se sont enfin convertis.Quitterez-vous cette terre de télécoms qu'est la Bretagne ?J-P.C. : Je garde un point de chute à Lannion et un autre dans les montagnes du Dauphiné, deux régions que j'aime. Et Lannion n'est plus le fief des télécoms. Aujourd'hui, la ville échappe à cette image de monoculture qu'elle a pu avoir pendant plusieurs décennies, elle a su se diversifier.Qu'auriez-vous fait si la vie avait pris un autre chemin ?J-P.C. : Qui peut savoir ? J'aurais marché... Au départ, je voulais enseigner. Si je n'avais pas raté Normale Sup', je ne serais pas entré à l'Ecole polytechnique. J'aurais enseigné les mathématiques, la physique, ou encore la musique.
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