Jérôme Tafani et Michel Masson (McDonald's France) : ' nos franchisés valident les choix technos de la DSI '
Dans cette société planétaire, le pilotage du système d'information revient à des équipes restreintes. La régulation opérée par la DSI s'exerce sous la double pression des gérants de restaurants, friands d'améliorations des services, et du client, toujours plus exigeant.
En France, huit restaurants McDonald's sur dix sont détenus par des franchisés. Comment cela influe-t-il sur l'organisation de l'entreprise ?Jérôme Tafani : Cela nous oblige à avoir un mode de décision très décentralisé. Si nos produits c?"urs, tel le Big Mac, demeurent les mêmes dans tous les pays où le groupe est installé, notre philosophie reste de
confier la prise de décision à l'échelon le plus proche du consommateur final. C'est la raison pour laquelle les filiales sont systématiquement dirigées par des managers du cru. D'ailleurs, le siège européen de Londres n'existe que depuis trois ans,
et il emploie seulement une dizaine de personnes.Michel Masson : C'est la même chose dans le domaine des technologies de l'information. Tous les mois, les équipes informatiques présentent les projets en cours à une commission composée de dix franchisés élus par
leurs pairs. Les sujets actuellement débattus sont l'ardoise de prise de commande, reliée par Wi-Fi aux écrans installés en cuisine et aux caisses, et la monétique intégrée sur réseau IP. 80 % de nos ressources informatiques sont consacrées à
l'optimisation de l'activité commerciale. Il nous faut ensuite convaincre les franchisés d'acheter les solutions technologiques que nous avons sélectionnées.Comment cela se passe-t-il ?J.T. : Nous distinguons deux catégories de produits. Tout d'abord, ceux qui font l'objet d'une homologation. Il s'agit des équipements et solutions dont McDonald's s'engage à assurer la maintenance sur la durée. Par
exemple, des terminaux de paiement ou des systèmes de caisse. Cela concerne une centaine de références. Les exploitants des restaurants savent ainsi qu'on ne leur demandera pas de changer d'équipement dans les douze mois qui suivent. Et que les
versions à venir seront forcément compatibles. En tant que franchiseur, nous devons protéger les investissements demandés à nos locataires gérants.M.M. : L'autre catégorie regroupe des produits compatibles avec nos infrastructures et systèmes, agréés par la DSI, mais dont nous n'assurons pas la maintenance. Par exemple, l'offre d'accès Wi-Fi est confiée à
Météor, les panneaux électroniques d'affichage des menus à Acrelec. Les produits et services homologués et référencés sont présentés dans un catalogue annuel, mais mis à jour en permanence sur l'intranet. Soit une dizaine de modèles. Chaque année,
tous les franchisés signent un contrat de maintenance par lequel ils s'engagent à n'utiliser que des équipements ainsi référencés ou homologués. Sinon, les dégâts qu'ils pourraient occasionner sur le système d'information seraient à leur
charge.Quel rôle joue l'informatique dans un restaurant ?J.T. : Près de 70 % du chiffre d'affaires d'un restaurant s'effectue aux heures des repas. Soit quatre heures par jour. Une panne qui surviendrait à ce moment-là serait très dommageable. Idem pour les commandes
à partir des voitures. Cette clientèle fournit presque 50 % du chiffre d'affaires en France, soit 1,2 milliard sur 2,5 milliards d'euros. Ce service n'existerait pas sans informatique. Celle-ci permet, via trois guichets successifs, la prise de
commande, le paiement, la remise au client et, simultanément, le suivi de la préparation en cuisine au moyen d'écrans et la facturation. Nos clients viennent aussi pour la rapidité de la prestation. Si les délais s'allongent, ils risquent de partir
avant même d'avoir commandé.L'approvisionnement des restaurants passe-t-il par le réseau informatique ?M.M. : L'informatique rend possible une anticipation très fine des besoins. Nous sommes en mesure de proposer quotidiennement une commande à chacun de nos restaurants. Et cela en fonction de ses ventes passées et du
croisement d'une vingtaine de critères : date, météo, vacances scolaires, éventuelles grèves de transport, configuration de l'établissement... Le progiciel logistique de notre centre de distribution, Manugistics, rédige une commande idéale
et la soumet au responsable du restaurant. J.T. : Grâce à cette numérisation poussée des processus, tous les membres du comité de direction reçoivent tous les jours les chiffres des ventes par courriel ou SMS. Avec un comparatif
sur les deux années précédentes.Comment s'organisent les relations avec l'échelon européen ?M.M. : Un comité informatique d'une dizaine de personnes a été constitué à partir des divisions française, allemande, britannique et de celles de l'Europe centrale. Soit les principaux pays en termes de chiffre
d'affaires. Des représentants de pays de taille plus modeste les rejoignent ponctuellement. Ce comité se réunit tous les deux mois pendant deux jours. Avec principalement deux missions. La première consiste à gérer un portefeuille de projets menés à
l'échelon européen. Histoire d'harmoniser le fonctionnement et d'éviter les doublons. Quand un DSI s'engage sur le déploiement d'une solution dans son pays, il doit tenir informé le comité du respect de son calendrier. Seconde mission : veiller
à la bonne coordination avec le siège de Chicago et les 128 filiales de McDonald's dans le monde. Car nous sommes en permanence soumis à la double pression des franchisés, qui formulent des besoins de technologies, et des consommateurs, de plus en
plus exigeants.McDonald's dispose de sa propre SSII interne. Quand intervient-elle ?M.M. : Il existe en effet une structure baptisée EITS (European Information Technology Services) composée d'une quarantaine de personnes, basées principalement à Londres et à Vienne. Son rôle est de soutenir la mise
en ?"uvre des projets internationaux. Par exemple, une solution d'analyse des ventes. L'EITS est pilotée par le comité informatique. Elle assiste aussi les petits pays ne disposant pas d'un effectif suffisant au sein de leur propre direction
informatique. De même, cette équipe est intervenue en soutien technique lorsqu'il a fallu adapter nos tarifs à la fiscalité française. Notamment pour le taux de TVA, qui varie selon que le plat est consommé sur place ou emporté par le client. Pour
ce faire, ils ont validé nos adaptations du logiciel maison de gestion des caisses.Que reste-t-il à faire alors à la DSI installée en France ?J.T. : Nous avons choisi d'externaliser les tâches récurrentes et ce que nous savons bien faire. Afin de laisser à la vingtaine de collaborateurs de la DSI du temps pour les missions stratégiques, le fonctionnel et
les nouveaux projets. Nous travaillons avec plusieurs partenaires. Notamment les équipes de mainteneurs, qui traitent environ 7 500 appels par mois en provenance des restaurants. Employés par deux fournisseurs (Cartes & Services et Cegelec
Info Services), ils assurent la maintenance de premier niveau et résolvent le plus souvent le problème à distance. L'an passé, il n'a fallu effectuer que 300 interventions sur nos sites. Essentiellement pour des pannes physiques de matériel. De son
côté, la DSI de McDonald's France traite les demandes de niveau 2 (la résolution des anomalies), et de niveau 3 (les éventuels développements de solutions ad hoc). Ces requêtes représentent une centaine d'appels dans le mois.Prenez-vous aussi en charge les achats informatiques ?J.T. : Global Technology Procurement (GTP) est une cellule chargée, au niveau mondial, de référencer des équipements et de négocier leurs tarifs avec les fournisseurs (Cisco, Epson, IBM...) après avoir établi un
catalogue. Mais elle ne possède pas le pouvoir de s'engager sur les achats. Les restaurants achètent à partir de cette sélection, en payant GTP, qui se charge de régler les fournisseurs. GTP s'assure également que les éléments d'une solution
composée à partir de divers fournisseurs (PC, logiciels, imprimante, par exemple), seront bien livrés ensemble. Nous avons créé une autre structure installée à Tours, GMS, qui vérifie la cohérence et la livraison des stocks pour les
restaurants.M.M. : Afin d'éviter les ruptures d'approvisionnement sur 90 % des équipements nécessaires au bon fonctionnement d'un restaurant, GMS a pour mission de constituer un stock tampon. Nous appliquons à
l'informatique la politique de flux suivie pour les matières premières alimentaires. Rien ne doit manquer ! Depuis 2002, GMS assure le zéro défaut, avec des commandes livrées à jour J + 1 pour une commande passée avant 16
heures.Quels sont les investissements technologiques requis pour équiper vos restaurants ?M.M. : Il faut compter 50 000 euros environ à l'ouverture d'un restaurant. Pour les caisses PC, les écrans de production pour la cuisine... Soit environ 130 kilos de matériel. Le budget des mises à jour
s'élève à quelque 2 000 euros par établissement et par an.Comment utilisez-vous internet ?J.T. : C'est assurément un puissant outil de communication pour toucher nos publics prioritaires : nos clients et les 45 000 équipiers des 1 060 restaurants. Pour cela, nous recourons environ une fois
par mois au chat à partir de notre site institutionnel. Lors du salon de l'agriculture, nous sommes intervenus sur la question de l'alimentation et des relations avec nos fournisseurs du milieu agricole. En outre, nous allons équiper les restaurants
franciliens d'accès gratuits Wi-Fi en libre-service. La mesure devrait s'étendre aux autres établissements lors des deux prochaines années.M.M. : Il nous a fallu convaincre chaque franchisé du bien-fondé de ce service. Pour internet et, plus généralement, pour les télécommunications internes, nous avions fait des tentatives depuis 2001 avec divers
opérateurs pour notre projet de réseau privé virtuel. En 2005, nous avons choisi la solution Météore, d'Interway, un opérateur virtuel. Il nous garantit la connexion ADSL et en Numéris sur les zones non couvertes par le haut débit. C'est par ce même
tuyau que passent la connexion Wi-Fi, les données de vente, et que passeront, demain, les flux monétiques. Pour ces derniers, c'est devenu un véritable outil stratégique. Le haut débit permet d'effectuer les encaissements de cartes bancaires en dix
secondes. Contre quarante secondes auparavant. Cette performance se traduit mécaniquement, par une accélération du rythme de passage de la clientèle.Quelles sont vos contraintes en matière de sécurité ?M.M. : A titre indicatif, notre pare-feu recense de 8 000 à 9 000 attaques par semaine. Nous devons trouver un tique suffisante et efficace et des procédures trop contraignantes. En 2002, nous avons
travaillé avec IBM à l'application de la norme Iso 17799. Au sein de la DSI, le manager en charge des infrastructures occupe le poste de responsable de la sécurité des systèmes d'information. Il pilote également la mise en conformité du système
d'information avec les différentes réglementations financières, comme la loi Sarbanes-Oxley aux Etats-Unis, ou bien la loi sur la sécurité financière en France.J.T. : Une semaine par an, une sélection de collaborateurs de McDonald's France simule la poursuite de l'activité après une destruction virtuelle de notre siège social. Les équipes informatiques disposent alors de
deux jours, avec notre prestataire Sungard, pour redémarrer les activités classées vitales. Notamment les serveurs applicatifs clés, les fichiers personnels, la messagerie.Comment arrêtez-vous le choix des solutions logicielles ?M.M. : Pour les systèmes d'exploitation, notre premier critère est la stabilité. Et si Windows NT n'était pas toujours très fiable, ce n'est pas le cas de Windows XP. Nous avons donc moins la tentation de passer sur
Linux qu'il y a quelques années. Pour les applications, nous n'envisageons des développements spécifiques que lorsque nous ne sommes pas parvenus à trouver sur le marché ce qui nous convient. Par exemple, nous utilisons Linux pour certains noyaux
télécoms très pointus. Dans cette situation, nous privilégions les développements en commun au niveau européen, voire au niveau mondial.Les filiales nationales ont-elles une part d'autonomie en matière d'innovation ?J.T. : Nous disposons d'une entité originale qui s'appelle Vito (Virtual Information Technology Organization). Il s'agit d'une équipe de huit personnes : six experts dans le domaine des infrastructures et de la
gestion technique des restaurants venant d'Allemagne, de Grande-Bretagne et de France, un spécialiste de l'EITS, et un représentant des autres pays européens. Ils évoquent leurs besoins de manière informelle lors de conférences téléphoniques
hebdomadaires. Ces conversations servent à identifier les technologies les plus en accord avec les exigences de nos métiers. Qu'il s'agisse de télécommunications, de matériel ou de sécurité informatique... C'est aussi le moyen d'identifier des
pistes à explorer.M.M. : C'est lors de ces séances que la DSI française s'est vue charger pour la fin de cette année de trouver une solution satisfaisante pour nos communications reposant sur la voix sur IP. Nous devons établir un
comparatif des offres et émettre une recommandation. Le choix arrêté, GTP négociera le meilleur tarif. Cette collaboration étroite avec mes homologues des autres filiales explique qu'environ un tiers de mon temps est consacré à la coordination au
niveau européen. Une vaste zone qui comprend 44 pays, du Maroc à la Sibérie.