La cyberdissidence en question

Les récentes révolutions arabes ont été l'occasion de célébrer ? avec raison ? le courage des cyberdissidents et d'exalter ? avec moins de raisons ? les pouvoir libérateurs des réseaux sociaux.

Les récentes révolutions arabes ont été l'occasion de célébrer – avec raison – le courage des cyberdissidents et d'exalter – avec moins de raisons – les pouvoir libérateurs des réseaux sociaux. N'oublions pas qu'ils furent en concurrence avec celui des chaînes par satellites, mais aussi avec les discussions de quartier lorsqu'il s'est agi de répandre les nouvelles et les slogans sans que la police tunisienne ou égyptienne puisse l'empêcher.
On a vu aussi ces Etats tenter qui de filtrer, qui de couper internet. D’ailleurs, un récent débat s'est développé autour du livre d'Eugeny Morozov, The Net Dellusion, dont la thèse est que Big Brother n'a peut-être pas forcément perdu la partie. Ou, si l'on préfère, que des régimes autoritaires ne sont pas nécessairement dépassés par l'évolution technique du web 2.0 et sauront demain tracer, espionner, infiltrer ou tromper des groupes d'opposition avec les mêmes instruments qui permettent à ceux-ci de s'exprimer ou de se coordonner.
Enfin, autre donnée du problème, les Etats ne jouent pas forcément en défense à ce jeu. En janvier 2010, Hillary Clinton a prononcé un discours dit de cyberguerre froide ( à l'époque dirigé contre la Chine) ; une thématique qu’elle a repris récemment dans le contexte des révoltes arabes.
Pour résumer, la doctrine américaine consiste à réclamer un droit universel à la connexion et son programme à aider les dissidences en leur fournissant des moyens techniques et en encourageant les industries américaines à favoriser la liberté d'internet dans les négociations commerciales avec des pays censurés. Nous ne chercherons pas ici à discuter si cela est en contradiction avec les pratiques étatsuniennes dans l'affaire Wikileaks, ou d'autres. Simplement, cet engagement, sincère ou pas, des Etats-Unis et de son secteur privé (fondations, associations ou entreprises) a deux conséquences prévisibles.
Ambiguïtés de la technique
D’abord, une escalade technique aura lieu dans les deux sens, qu'il s'agisse de traçage ou d'anonymisation, de proxies ou de géolocalisation, de cryptologie ou de cryptanalyse, et à chaque avancée dans une direction (des outils de plus en plus souples de contournement permettant aux dissidents de communiquer et, surtout, de former des réseaux éventuellement hors frontières). Cela correspondra sans doute à un progrès des techniques d'interception, de propagande, de repérage des réseaux d'opposants, voire l'anticipation des déviances. Avec cette conséquence paradoxale que pour être un bon révolutionnaire, il faudra être un internaute averti, pour ne pas dire un geek. Ce qui n'est pas forcément très démocratique, dans la mesure où les acteurs des mouvements populaires ne sont pas nécessairement ceux qui possèdent le mieux les technologies de l'information et de la communication.
Seconde conséquence : cette aide des gouvernements, des ONG ou des fournisseurs d'outils de contournement est considérée par certains dissidents arabes comme un baiser de la mort. N'est-ce pas fournir le meilleur argument aux gouvernements autoritaires que de laisser penser que les blogueurs opposants sont entraînés ou aidés par les impérialistes ou les cyberdissidents subventionnés par des sociétés ou des associations étrangères ?
Une fois de plus nous découvrons que les outils techniques ne sont en eux-mêmes ni libérateurs, ni « big brothériens », mais qu'ils dépendent d'un rapport politique.
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