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L'équivalent de la Cour des comptes au sein du ministère de la Défense a déployé un système de veille et de partage des savoirs pour ses contrôleurs généraux. Encore inimaginable il y a quelques années…
Ils sont 70 contrôleurs généraux des armées. Soixante-dix à investiguer, à auditer, à disséquer tous les domaines de la Défense nationale (finances, équipements, patrimoine, ressources humaines, santé…). Pour produire leurs rapports, tous partagent une même base de connaissance. Non seulement ils y consultent les documents qui sont déjà publiés ainsi que les contributions internes de leurs collègues, mais ils y suivent aussi les fils des veilles auxquels ils sont personnellement abonnés.Cette mutualisation des contenus était impensable il y a encore trois ans : jusqu'alors, chaque contrôleur conservait précieusement ses travaux sur son poste. Ce sont les récentes contraintes de productivité qui, indirectement, ont forcé le service à décloisonner ses contenus. “ Vers 2005, notre périmètre s'est largement étendu. Nos domaines concernaient de plus en plus les sphères interministérielle et internationale. Quant aux rapports, qui étaient d'un rythme semestriel, ils sont progressivement devenus trimestriels ”, se souvient Daniel Hervouët, le contrôleur général qui a conduit le projet de gestion des connaissances Spinoza.C'est en 2005 qu'il en esquisse les contours. L'idée sous-jacente a germé chez lui dans les années 2000, alors qu'il avait la responsabilité du campus de défense de l'Ecole militaire : “ Je voyais ce système comme une bourse. S'y côtoieraient, d'un côté, l'équivalent de vendeurs, à savoir les chercheurs spécialisés dans les conflits, les zones géographiques ou les technologies et, de l'autre, ceux qu'on peut assimiler à des acheteurs, soit les organismes du ministère chargés de préparer l'avenir en termes d'organisation, d'équipements ou de doctrines. ”
Créer une bourse d'échanges d'informations
Entre ces deux profils, le dialogue a toujours été difficile. Résultat : d'énormes quantités de savoirs étaient perdues, car trop disséminées, trop vastes et trop complexes à appréhender. D'où la vocation de ce campus de proposer une intermédiation et une réconciliation sémantique des deux mondes. Jugé trop cher, le projet est enterré. Mais c'est précisément cette bourse d'échanges d'informations que l'on retrouve au cœur de Spinoza lorsque, plus tard, le chef du contrôle général ? au sommet de la hiérarchie de l'institution ? s'empare du projet. La plupart des éditeurs répondant alors à l'appel d'offres ne correspondent pas à ses attentes, dans la mesure où leurs outils (essentiellement de la gestion électronique de documents et du workflow) sont avant tout calés sur des logiques de production documentaire. “ A l'inverse, nous nous situions sur le terrain créatif. Chaque individu devait enrichir le fonds commun, non seulement en documents mais aussi en commentaires, afin de donner une valeur à ces informations ”, relate Daniel Hervouët. Le choix se porte sur Logica (à l'époque, Unilog), l'intégrateur le plus proche de cette vision.La mise en production a lieu début 2008. La plate-forme déployée s'articule autour de trois composants, fournis par Nuxeo pour le socle documentaire, Antidot pour le moteur de recherche et Mondeca pour l'analyse sémantique. “ Les liens sémantiques qui ont été créés dans Mondeca se sont appuyés sur Eurovoc, un thésaurus de l'Union européenne. Nous l'avons adapté à la Défense ”, explique Laure Gitton, chef de projet chez Logica, et en charge de la maîtrise d'ouvrage.
Mutualiser les savoirs malgré les réticences
Le déploiement s'est accompagné d'un travail de numérisation des fonds, soit 120 000 pages, dont 600 rapports produits depuis dix ans. Cette opération, qui a pris deux mois à Scan Concept, nécessitait une remise en forme des contenus, ainsi que leur indexation et leur catégorisation. Parallèlement à cette reprise de masse, il a fallu inciter les contrôleurs à verser dans Spinoza un maximum de contenus utiles, qu'ils avaient accumulés de leur propre initiative… Dans un premier temps, le projet s'est heurté aux freins classiques rencontrés sur tous les chantiers de mutualisation des savoirs. Certains craignaient que la machine prenne le contrôle sur l'organisation de leur travail. D'autres que leur statut d'expert soit amoindri du fait de l'ouverture des contenus…Ces réticences ont été vaincues avec le temps. Ou plutôt grâce à certains éléments facilitateurs du système. Au moment du versement, par exemple, seule la saisie de quelques métadonnées (titre, source et résumé du document) est nécessaire. L'auteur et la date sont automatiquement générés. La bonne volonté et le professionnalisme sont indirectement encouragés : un mauvais référencement se paie directement lors des recherches, qui deviennent infructueuses, sans compter que l'auteur de ce versement bâclé est identifiable par tous les utilisateurs…Autre élément particulièrement incitateur : la richesse et la pertinence des services de veille personnalisée. Ces deux qualités n'auraient jamais été possibles sans une restructuration du back office et de ses usages. Il n'y avait auparavant qu'un centre de documentation, dont les personnels n'étaient même pas habilités à modifier les métadonnées des rapports. Aujourd'hui, ils sont une dizaine de veilleurs à qualifier sans cesse de nouvelles sources, à en suggérer d'autres, à établir des contacts avec des experts et à se rendre sur des colloques ou des salons spécialisés. “ Toutes les sources d'informations ont fait l'objet d'une appréciation intellectuelle. Les contrôleurs ont ainsi l'assurance que ce qui leur est remonté est fiable. Hors de question de se faire submerger par un flot d'informations incertaines issues d'internet ! ”
Garantir des contenus pertinents et récents
Outre la qualification des sources, les veilleurs assurent également un travail de supervision, en contrôlant notamment le taux de consultation des contenus, afin d'en affiner progressivement la pertinence. Au final, Spinoza fait office de mémoire électronique. Et si ce projet permet d'accéder instantanément aux documents là où auparavant il fallait souvent en appeler à des tiers (documentaliste ou contrôleur), il garantit surtout de cibler la bonne version de ces documents. Un progrès, car les documents étant disséminés un peu partout, personne n'avait jusqu'alors l'assurance de disposer des dernières mises à jour.Maintenant que Spinoza est déployé, il ne demande qu'à être enrichi. Pour 2011, les priorités vont dans trois directions. D'abord inciter un maximum de contrôleurs à commenter les contenus et à émettre des jugements. Pour l'heure, ce type de contribution reste trop faible. Ensuite, il s'agira de personnaliser le thésaurus avec des relations sémantiques et des vocabulaires encore plus adaptés à la Défense. Enfin, la présentation devra être revue. Elle s'appuiera sur Microsoft Pivot, une récente technologie de visualisation partielle et de distribution des contenus. Ces derniers devraient par ailleurs s'ouvrir aux images, au son et à la vidéo. Et ce, au cours d'un second marché, qui s'étalera de 2012 à 2014.
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