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Dimanche, un million et demi d'électeurs appuieront sur un bouton pour voter. L'élection présidentielle électronique déchaîne les foudres des citoyens, informaticiens en tête. Pour l'électeur, l'ordinateur restera toujours une boîte
noire.
Près de 70 000 signatures sur la pétition de l'association Ordinateurs-de-vote.org, 26 dépôts en référés de citoyens d'Issy-les-Moulineaux, une demande de moratoire... A l'approche de l'échéance présidentielle, la colère se
fait plus forte contre le vote électronique. En effet, après des essais sporadiques, en particulier pour le référendum européen, près d'un million et demi d'électeurs accompliront ainsi leur devoir civique dimanche. Fini pour eux bulletins,
enveloppes et urne transparente. Ils n'auront pas d'autre choix. Surprise, le débat n'a rien d'une querelle entre anciens et modernes. Les informaticiens sont même en première ligne de la contestation.Pour les scrutins de 2007, le ministère de l'Intérieur a donc laissé aux communes de plus de 3 500 habitants le choix entre vote classique ou électronique. 82 villes ont sauté le pas et opté pour l'une des trois machines agréées
(lire encadré). Mais les premières élections électroniques significatives de l'Hexagone ne se dérouleront pas dans le calme. La polémique enfle, et chaque camp avance ses arguments, plus ou moins probants. Economies, écologie,
fraude, fiabilité, démocratie, secret... les grands mots sont lâchés.
Fiable ou pas fiable ?
Première et inévitable question : peut-on vraiment compter sur une fiabilité totale des machines, garantissant l'intégrité du scrutin ? Le modèle d'Indra Sistemas présente une configuration proche d'un PC sous Windows.
Ajoutons des rumeurs de différends avec son importateur français, et l'on comprendra qu'il est le plus évident à mettre en doute. Les deux autres sont des automates industriels, plus rassurants que les PC en termes de sécurité. Leurs logiciels, qui
enregistrent les votes et réalisent le dépouillement final, sont inscrits une fois pour toute dans une mémoire EEPROM. Même chose pour les votes qui sont stockés avec moult contrôles dans le même type de puce. Mais 01
informatique serait bien mal placé pour cautionner l'idée qu'un quelconque matériel ou logiciel puisse atteindre une fiabilité de 100 %. Nicolas Barcet, porte-parole du site Betapolitique engagé contre l'imminence du vote
électronique, se réfère à Ken Thompson, l'un des auteurs d'Unix. En 1983, ce dernier expliquait comment écrire un code qui semble faire une chose, mais en réalise une autre... Difficile de taxer Nicolas Barcet de partialité puisqu'il est
informaticien, et même fervent défenseur de l'administration électronique - il a participé à l'architecture de la déclaration d'impôts en ligne. Or, si un pourcentage très faible d'erreur est acceptable pour n'importe quelle application, il
n'est pas tolérable dans une élection.
Machines à voter, machines à tricher ?
Les fabricants et les mairies ne veulent pas y penser. Pourtant, même si c'est extrêmement difficile, il est possible de pirater ces machines. Bien sûr, elles sont scellées et, pour les forcer, mieux vaut s'armer de tournevis
spéciaux, voire d'un pied-de-biche. ' Il m'a fallu près de 8 minutes pour simplement enlever le capot, insiste Denis Muthuon, Directeur commercial Europe de ES&S. Infaisable dans le bureau de
vote. ' Oui, mais chez le fournisseur ? Pendant le transport ? En mairie ? Le risque existe même si toutes les précautions sont prises : ' Les machines sont fermées à clé, enfermées
dans des valises, puis dans une salle fermée à clé ', raconte Rémy Vorburger, responsable du service élections à Wintzenheim (Haut-Rhin). Arriver jusqu'à l'EEPROM est compliqué. Récrire le logiciel à partir du code source
original aussi. Mais... si un hacker génial travaille à la mairie et dispose des clés ? Une hypothèse peu probable. Mais peu, c'est déjà trop.
Desagréments douteux ?
Le ministère de l'Intérieur a confié à Bureau Veritas la procédure d'agrément. Mais personne, à part les fournisseurs, n'aurait pu en consulter les résultats pour ne pas violer le secret industriel. Mais ce ne sont pas les seuls
doutes qui planent sur ces documents. Toute modification, même de quelques lignes de code, contraint très logiquement le fournisseur à repasser par l'entière procédure. Ainsi, Nedap, le principal fournisseur des mairies, vient-il d'obtenir un nouvel
agrément, car il a changé la version de son logiciel en janvier. ' Timing plutôt opportun, non ? ', s'étonnent les opposants. ES&S, quant à lui, avait installé dans toutes ses mairies une
nouvelle version de ses machines Ivotronic, légèrement modifiée en 2006. Ce nouveau modèle serait en attente d'agrément depuis novembre, selon le constructeur. Mais mardi 17 avril, 26 électeurs d'Issy-les-Moulineaux ont déposé des référés pour
demander l'invalidation des modèles installés, et donc non agréés, et de fait, du vote électronique. ES&S a dû ressortir des cartons ses anciennes machines... nouvelle colère des opposants : ' Les assesseurs et
le président ont été formés sur l'autre modèle ! '
L'insupportable atteinte à la démocratie
Les griefs techniques ne sont presque que des prétextes. L'inquiétude la plus forte est citoyenne. En appuyant sur un bouton électronique pour voter, l'électeur perd le contrôle de son vote. Aussi fiable et contrôlée que soit la
machine, aucun électeur ne peut voir ce qui se passe quand il vote. Depuis 1988, les urnes sont transparentes pour que chacun puisse suivre son vote depuis le moment où il prend les bulletins sur le bureau jusqu'au dépôt de l'enveloppe dans l'urne,
et même au dépouillement. Gagner du temps, voire de l'argent, sur le dépouillement, ne pèse rien face à l'importance que revêt le devoir électoral aux yeux des citoyens. Le non au vote électronique n'a cependant rien de définitif.
' Laissons-nous le temps, insiste Nicolas Barcet. Il faut un débat citoyen avec des experts informaticiens, mais aussi juristes, constitutionnalistes, philosophes. ' La loi de 1913
sur le secret du vote a exigé plusieurs dizaines d'années de discussion...e.delsol@01informatique.presse.fr
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