La fuite en avant dans l'ingénierie des systèmes d'information
Léon Lévy-Bencheton, directeur de Cogitique Systèmes et auteur(*), estime que l'on fait trop souvent croire que la complexité des logiciels serait soluble dans les panacées méthodologiques ou technologiques. Il nomme cela le déni de complexité.Une contrepartie considérable, et peu reconnue, du formidable développement de l'informatique en quelques décennies est l'extrême complication des systèmes d'information (SI). Celle-ci découlant de la complexité des organisations, produits et processus qu'ils automatisent, amplifiée par l'exigence propre à cette démarche (le système devant être capable de traiter toutes les situations potentielles), sans compter les exigences de fiabilité, de sécurité et de temps de traitement. Ainsi dans un SI, se combinent plusieurs natures de difficultés, qu'elles soient fonctionnelles (systémique, interface homme/machine, algorithmique), ou dues à l'architecture (applicative, infrastructures matérielles et logicielles). Avec un accent mis sur le fait que cette complexité systémique fonctionnelle, et donc applicative, rend les SI durs à concevoir, à tester, puis à maintenir.
le management considérera le parc applicatif comme un patrimoine de l'entreprise, et ne réduira pas l'informatique au seul statut de centre de coûts ;
la priorité sera donnée à la qualité sur la quantité dans la constitution des équipes des projets, et tout particulièrement dans les travaux de conception, lesquels exigent expérience et connaissance profondes ;
l'intelligence et la souplesse l'emporteront sur le formalisme et la rigidité contractuels dans les relations avec les fournisseurs et les prestataires ;
dans les approches d'externalisation, la connaissance des systèmes du cœur de métier sera protégée et pérennisée en conservant la maîtrise des activités de conception ;
les clivages entre les acteurs des projets au sein de l'entreprise (maîtrises d'œuvre et d'ouvrage) seront combattus ;
les experts en conception de SI, internes ou externes, seront valorisés et fidélisés, et on cherchera de jeunes diplômés ayant des capacités de conceptualisation et de structuration.(*) L'infotechnocratie : le déni de complexité dans l'informatique, aux éditions Hermes-Lavoisier.
Un héritage applicatif de plusieurs décennies
De plus, l'histoire de l'informatisation d'un organisme est faite d'une succession de projets de construction et d'évolution des systèmes d'information, aboutissant, en deux ou trois décennies, à des parcs applicatifs de taille et de sophistication considérables. Une cause profonde de projets de plus en plus ardus et, plus largement, de maîtrise insuffisante de l'ingénierie de ces SI. Mais cette complexité invisible, de par l'immatérialité et l'abstraction logicielle, laisse, cachées derrière les séduisantes interfaces homme/machine des outils de la révolution numérique, des couches impressionnantes de traitements et de données. Par conséquent, la profession fait l'impasse sur cette complexité et les attentes vis-à-vis de l'informatique continuent de croître, jusqu'à ce qu'on oublie la nécessité impérieuse de réguler ces phénomènes.Nous sommes donc en présence d'un véritable déni, une forme d'ignorance voire de refus de cette réalité, associés à une quête de panacées technologiques (architecture orientée services, cloud, web 2.0), méthodologiques (Agile, CMMi, UML, BPM), organisationnelles (industrialisation, externalisation, achat de forfaits, mise en concurrence, homologation de fournisseurs)… dans l'espoir de surmonter les difficultés tenaces de cette ingénierie.C'est dans ce contexte que s'inscrit une erreur essentielle, qui consiste à oublier ou à ignorer que chaque système d'information est unique (même lorsqu'on réutilise des logiciels existants pour sa construction) et donc à prôner l'industrialisation de son ingénierie. Ce qui mésestime l'importance de la conception, mais aussi celle de la rareté de ressources humaines caractérisées autant par leur connaissance des métiers de l'entreprise et des systèmes existants (knowledge) que par leur profil intellectuel et leurs compétences (skills).Combattre le déni de complexité
Le néologisme infotechnocratie est introduit pour désigner ce comportement collectif, caractérisé schématiquement par des fuites en avant par cercles successifs, centrés sur le déni de complexité. Démarquons-nous énergiquement de ces pratiques et proposons quelques lignes de force sous ce slogan mobilisateur : “ L'informatique est une affaire trop sérieuse pour qu'on l'abandonne aux infotechnocrates. ” Soit :le management considérera le parc applicatif comme un patrimoine de l'entreprise, et ne réduira pas l'informatique au seul statut de centre de coûts ;
la priorité sera donnée à la qualité sur la quantité dans la constitution des équipes des projets, et tout particulièrement dans les travaux de conception, lesquels exigent expérience et connaissance profondes ;
l'intelligence et la souplesse l'emporteront sur le formalisme et la rigidité contractuels dans les relations avec les fournisseurs et les prestataires ;
dans les approches d'externalisation, la connaissance des systèmes du cœur de métier sera protégée et pérennisée en conservant la maîtrise des activités de conception ;
les clivages entre les acteurs des projets au sein de l'entreprise (maîtrises d'œuvre et d'ouvrage) seront combattus ;
les experts en conception de SI, internes ou externes, seront valorisés et fidélisés, et on cherchera de jeunes diplômés ayant des capacités de conceptualisation et de structuration.(*) L'infotechnocratie : le déni de complexité dans l'informatique, aux éditions Hermes-Lavoisier.
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