Les brevets, en première ligne dans la bataille des smartphones

En mettant la main sur 24 000 brevets, Google se constitue ainsi un épais bouclier de protection face aux menaces concurrentielles de Microsoft, Apple et consorts.
L’heure est à la redistribution des cartes entre les acteurs du marché de la téléphonie mobile. En témoigne Google, jusque-là éditeur, et aujourd’hui en passe d’obtenir le titre de constructeur de terminaux. En s’offrant Motorola Mobility et ses quelque 17 000 brevets déposés et plus de 7 000 en cours de validation, la firme de Mountain View s’arme pour lutter contre Apple et Microsoft.
« L’acquisition de Motorola Mobility […] va renforcer le portefeuille de brevets de Google […], protégeant Android des menaces anticoncurrentielles de Microsoft, Apple et autres sociétés », affirme Larry Page. Depuis deux ans, la guerre des brevets va crescendo sur le marché de la mobilité. Apple attaque Samsung et HTC, tant sur le design des smartphones que sur leurs fonctionnalités logicielles (Android). Google, qui jusqu’alors détenait peu de brevets, sera donc en mesure de soutenir ses partenaires contre ces attaques, par un simple effet de dissuasion ou « en nouant des accords de licences croisées avec ses concurrents », explique Carolina Milanesi. De fait, l’acquisition des brevets semble être la raison majeure pour laquelle Google a réalisé le plus important rachat de son histoire. Et si cette course aux brevets a pour but la protection des actifs, elle a toutefois un effet pervers : elle freine l’innovation alors que la protection de la propriété industrielle et intellectuelle devrait la stimuler.
La guerre des brevets

Depuis environ un an, la compétition autour du très juteux marché de la mobilité se déplace de plus en plus dans la sphère juridique. Une poignée de grands acteurs high-tech se livre des combats virulents, à coup de procès et de royalties, soit pour engranger des revenus supplémentaires, soit pour freiner des adversaires devenus gênants. On constate ainsi une véritable course à l’armement, chacun essayant de se doter d’un arsenal de brevets suffisamment important pour être dissuasif vis-à-vis des autres.
Qui attaque qui, et comment ? En avril 2010, Microsoft accuse HTC de violer ses brevets avec ses téléphones Android. Depuis, le Taïwanais verse 5 $ de royalties par téléphone vendu. Oracle porte plainte contre Google pour violation de brevets relatifs à Java : l’affaire est en cours. En juin 2011, ce sont Apple, EMC, Ericsson, Microsoft, RIM et Sony qui raflent les 6 000 brevets de feu Nortel, à la barbe de Google. Lequel, aujourd’hui, met la main sur ceux de Motorola. En parallèle, Apple attaque HTC et Samsung, freinant la commercialisation de la tablette de ce dernier,Galaxy Tab. Puis HTC attaque Apple, et ainsi de suite…
Quelles peuvent être les conséquences de cette guerre juridique ? Beaucoup d’incertitudes. Les attaques contre Android risquent, par exemple, d’inciter les constructeurs à délaisser ce système, le rendant du coup moins intéressant pour les éditeurs et les développeurs. Les fournisseurs de plates-formes pourraient se voir obligés de modifier voire de supprimer des fonctionnalités. Difficile alors pour les entreprises de planifier des stratégies d’achat à long terme.
Une tactique anticoncurrentielle

S’il est encore trop tôt pour savoir ce que Google fera de son acquisition, plusieurs pistes sont envisageables. L’éditeur d’Android (un des systèmes d’exploitation pour smartphones) pourrait, à l’image d’Apple, créer un mobile parfaitement intégré. Avantage : la mise en œuvre des innovations est plus rapide et les fonctionnalités logicielles optimisées pour le matériel. En confirmant ce statut de fabricant, Google risque toutefois de se mettre à dos Samsung, HTC, LG, ou encore Sony Ericsson, qui installent Android dans leurs téléphones. Mais vers qui se tourneraient-ils ? Microsoft ? Peu probable, puisque ce dernier s’est déjà allié à Nokia. RIM ? Le Canadien perd des parts de marché depuis plusieurs trimestres et la stratégie concernant son système d’exploitation est dans un état transitoire (RIMOS et QNX sont les deux systèmes développés par RIM). Quant à HP, il a arrêté la production de smartphones et tablettes, hypothéquant dans la foulée l’avenir de WebOS. Samsung pourrait en profiter pour donner un coup de fouet à Bada, son propre logiciel pour smartphones.
Dans un post publié sur le blog officiel de Google, Larry Page, PDG de la firme, affirme que « Motorola continuera de prendre des licences Android » et assure aussi vouloir « toujours travailler avec les autres fabricants de mobiles ». Carolina Milanesi, analyste chez Gartner, précise : « Pour atteindre le marché de masse, Google a besoin de ses partenaires. Cependant, il risque de devenir plus strict vis-à-vis des modifications que ces derniers apporteront à Android. »

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