Inscrivez-vous gratuitement à la Newsletter BFM Business
Intégration des applications, audits, indicateurs de performance ... L'entrée en vigueur des exigences comptables de la Lolf a soumis à rude épreuve les systèmes d'information du secteur public. Premier bilan d'étape.
Peut mieux faire ! Voici l'appréciation provisoire que l'on peut porter, au terme de la première année d'application de la Loi organique relative aux lois de finances (Lolf), ce texte qui oblige l'Administration d'Etat ?" et uniquement elle, pour le moment ?" à présenter des comptes plus transparents et plus simples à décrypter. C'est-à-dire conformes à la logique économique. L'objectif final se montre ambitieux. Il ne s'agit de rien moins que d'améliorer les performances du service public et de ses agents.L'exercice n'est pas nouveau. Dans le secteur privé, tout au moins. En 2002, l'apparition de la législation Sarbanes-Oxley avait matérialisé cette exigence de vérité des comptes pour les entreprises américaines cotées en Bourse. Dans la foulée, comme le rappelle opportunément Christian Raoul, spécialiste de la Lolf au cabinet Unilog Management, ' les normes IFRS (International Financial Reporting Standards) ont eu pour objectif d'appliquer les mêmes principes aux sociétés européennes. Maintenant, il s'agit d'aller un pont plus loin. Et de faire passer ce type d'exigence au c?"ur de la culture du secteur public à la française 'Le travail se révèle considérable. D'abord parce que, si le niveau de satisfaction des citoyens vis-à-vis de l'Administration atteint 76 %, et grimpe même jusqu'à 82 % chez les fonctionnaires, la méconnaissance des questions budgétaires dans la population reste totale. Selon une étude réalisée par TNS-Sofres, seuls 15 % des Français ont entendu parler de la Lolf, alors que cette loi réforme en profondeur la manière dont l'Etat gère l'argent public. Ensuite, peut-être plus grave encore, cette étude souligne que la moitié des salariés de la fonction publique d'Etat ignore toujours l'existence de ce chantier. Pourtant, le principe d'une loi organique régulant la présentation des comptes a été voté dès août 2001 par les parlementaires. Et cette loi s'applique depuis le 1er janvier 2006.Heureusement, sur le terrain, les choses progressent : selon une enquête de Markess International, publiée en septembre dernier, 56 % des administrations ont déployé ou déploient actuellement une solution décisionnelle, ce taux atteignant 89 % pour les ministères. Parallèlement, 140 millions d'euros ont été investis dans de tels projets par l'Administration durant la seule année 2006. Voilà tout le paradoxe de la Lolf : des avancées concrètes, handicapées par une prise de conscience tardive des impacts des systèmes d'information sur l'informatique de l'Etat.
Vers une meilleure transparence financière
Dans les ministères, les DSI reconnaissent volontiers que, sur le plan technique, la transformation des systèmes d'information indispensables à la fourniture d'une informatique intégrée se passe plutôt bien. Selon Christophe Alviset, l'un des DSI du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie (sous-directeur informatique à la direction des personnels et de l'adaptation de l'environnement professionnel), ' le basculement s'est convenablement effectué dès la fin du premier trimestre. Les choses se sont déroulées comme prévu, il n'y a pas eu de mauvaise surprise '. De fait, compte tenu de la complexité du processus, il était convenu de ne pas chercher à effectuer d'un seul coup l'intégration ?" sur un PGI unique ?" de toutes les applications constituant le système d'information financier de l'Etat. D'où la mise en ?"uvre d'une première phase de transition, baptisée Palier 2006, visant à une migration progressive des différents systèmes en activité.La priorité consiste désormais à amorcer, à partir de 2008, l'intégration totale des applications. C'est SAP qui a été sélectionné, face à Oracle, comme éditeur de référence pour mener à bien ce projet. ' Les tâches à réaliser concernent pour l'essentiel l'intégration des systèmes de reporting, et plus particulièrement la gestion de la masse salariale, détaille Christophe Alviset. Il faut roder le dispositif et faciliter une meilleure appropriation des outils par les utilisateurs. '
Un audit pour révéler les insuffisances
Même son de cloche au Quai d'Orsay. Selon Nadi BouHanna, DSI adjoint, le projet est parti de très loin. Un audit a d'abord précisé l'état des lieux. ' La performance de la fonction informatique avait été jugée peu satisfaisante par les utilisateurs, et les moyens mis en ?"uvre par le ministère pour tout ce qui touche au système d'information afin de fournir le service attendu ont semblé très inférieurs à ceux mobilisés par des ministères des Affaires étrangères comparables. L'audit conduit en 2004 a également permis de mettre en évidence que le système était trop vertical, cloisonné, et ne favorisait pas la communication. Il est apparu que les processus d'interaction avec les donneurs d'ordres étaient insuffisants. Le concept de donneur d'ordres n'existait même pas : le système d'information se chargeait, certes, de l'informatique du ministère, mais il ne se préoccupait pas des finalités ou des objectifs à atteindre. Enfin, l'audit a révélé que le management interne des équipes informatiques pouvait être amélioré. 'Cette longue citation résume exactement la situation qui prévalait dans presque tous les ministères avant la mise en place de la Lolf. En somme, celle-ci est arrivée à point nommé pour accélérer, et parfois lancer, la réforme de l'Etat. Première décision arrêtée au Quai d'Orsay : ' Pour gérer les affaires qu'elle met en ?"uvre, chaque direction du ministère peut désormais utiliser les services de la DSI ou bien se tourner vers des SSII ou des intégrateurs. Le DSI se trouve donc dans une position de concurrence, et a perdu le monopole dont il bénéficiait pour les services du ministère, tout en restant garant de la cohérence d'ensemble du système d'information. ' Une petite révolution, clairement affichée.Parmi les autres changements apportés par la Lolf : la DSI se réorganise en trois sous-directions. L'une se charge des infrastructures, l'autre des applications, et la dernière du fonctionnement et de la satisfaction des utilisateurs. En outre, pour tout nouveau projet, les directions métier sont amenées à consulter la DSI afin qu'elle les aide à formaliser leur démarche. Enfin, le retour sur investissement des opérations sort de l'ombre : comme le note un DSI qui tient à garder l'anonymat, ' il n'est pas nécessaire d'être en secteur concurrentiel pour être compétitif '. Nadi BouHanna, lui, n'en démord pas : ' Au Quai d'Orsay, jusqu'à présent, la DSI ne se préoccupait pas du retour sur investissement. Désormais, la somme des demandes étant supérieure à la capacité de réponse, les arbitrages rendus par les décideurs prennent en compte le retour sur investissement. Surtout en présence de démarches très structurantes en termes de projets informatiques. Ainsi, des arbitrages autrefois rendus sous un angle essentiellement budgétaire doivent tenir compte de la capacité de la DSI à piloter et à mener à bien les projets. '
Les collectivités locales adoptent la démarche
Mais la Lolf ne concerne pas que les ministères : les services dits ' déconcentrés ' ?" telles les directions régionales du travail, les directions départementales des services vétérinaires, les directions régionales des affaires culturelles et les académies ?" sont directement impliqués. En effet, toutes ces structures sont des services de l'Etat exerçant son activité en région. Mais la déconcentration, qui constitue le bras armé de l'Etat au-delà du périphérique, n'est pas synonyme de décentralisation. Encore que...Même les collectivités locales s'y mettent. Jean-Pierre Bailly, DSI de la ville de Nantes et de sa communauté urbaine, s'en réjouit. ' Nous n'avons pas, à proprement parler, une obligation légale ou réglementaire de nous conformer à la Lolf. Celle-ci ne concerne que l'Etat. Mais nous avons engagé une réflexion très active dans ce domaine avec le plan managérial " Nantes s'engage " et l'activité budgétaire " Démarche performance ". C'est une priorité pour 2007-2008. ' Selon le DSI de Nantes, pour améliorer la transparence financière de sa ville, il était important de se doter d'un progiciel de gestion (en l'occurrence, fourni par Bull). Et d'inaugurer un nouveau paramétrage budgétaire, au sein même de la DSI, pour optimiser l'affichage des priorités. ' On s'inspire beaucoup des principes de la Lolf. Par exemple, dans l'idée de promouvoir une politique de centre d'appels, on va tout de suite examiner les moyens budgétaires et humains devant être mobilisés à cet effet. ' De fait, le déclenchement d'une telle simulation financière s'avère typique de la démarche lolfienne.Les établissements publics suivent le mouvement. Pour se conformer à la nouvelle logique comptable, l'Agence de l'eau Loire-Bretagne a entrepris la refonte de son système d'information. La nouvelle organisation des données forme le point clé de cette évolution. Un énorme chantier, avec à l'arrivée un référentiel reliant les métiers de l'agence aux données relatives à la ressource. ' A travers ce système d'information à vue globale, nous connaissons la pression fiscale sur un lieu géographique, et sommes en mesure de dire où vont les aides et pourquoi. Cela grâce à la localisation géographique des ouvrages et des aides ', précise Jacques Névians, DSI de l'agence.
Fiabiliser les indicateurs de performance
On le voit, la ' mécanique ' de la Lolf semble plutôt bien réglée. Mais il n'en va pas encore de même pour les indicateurs de performance. Autant les méthodes Itil, Cobit et autres Six Sigma commencent à être bien acceptées dans l'industrie et les services, autant leur arrivée en force dans la fonction publique d'Etat pose problème. C'est une façon pudique de s'exprimer. Et pourtant, comment préconiser une philosophie de la transparence au niveau des engagements financiers ?" y compris et surtout dans les rouages de l'Administration ?" si tout le monde ne joue pas le jeu ? Les DSI se montrent conscients du danger. ' Cela va se faire, mais lentement, tempère l'un d'eux. Il existe un problème d'acculturation des personnels, même dans les services informatiques. Les gestionnaires du changement doivent changer eux aussi. 'Pour Christophe Alviset, un autre défi doit être relevé : ' Fiabiliser les indicateurs, ainsi que les résultats obtenus grâce à leur mise en ?"uvre. Une opération plus complexe qu'on ne le dit. ' Dans tous les cas, il faut restructurer le plan comptable en fonction d'objectifs, puis déployer un système décisionnel, nécessaire à la diffusion des indicateurs. Et définir, hiérarchiser et corréler ces derniers. Bref, leur donner une logique, une cohérence, tant au sein de la DSI que dans les divers métiers.Au ministère de l'Agriculture, par exemple, seuls 60 % des 250 indicateurs exigés dans le cadre de la Lolf sont actuellement générés automatiquement. A Bercy, fin 2005, le service chargé de la modernisation de l'Administration (DPMA) prévoyait l'atteinte d'objectifs très précis. Exemple : 90 % des projets informatiques devaient intégrer l'analyse de la valeur dès 2007. De la même façon, au ministère des Affaires étrangères, on mesure d'ores et déjà les taux de couverture, d'agilité (plus délicat) et de disponibilité du système d'information, le taux de pilotage des projets et... celui de satisfaction des utilisateurs. Christian Raoul en témoigne : ' On avait défini plus de quarante indicateurs, et finalement on en a gardé une douzaine pour pouvoir se concentrer efficacement dessus. '
Un problème avant tout organisationnel
Le ministère de la Culture n'est pas en reste. Il intègre dans son organisation une maîtrise d'ouvrage transverse au pilotage et au contrôle de gestion, à laquelle ont été dévolues différentes missions : ' Mener, au niveau ministériel, tous les projets de systèmes d'information comprenant des fonctionnalités de pilotage et de contrôle de gestion. Vérifier dans les autres projets que les besoins de pilotage des métiers servis sont bien pris en compte. S'assurer enfin que ces projets s'appuient sur des référentiels définis, communs et partagés. ' Une fois menées à bien, ces multiples missions faciliteront ' la mise en ?"uvre des indicateurs pertinents, selon les priorités de la Lolf '. Du point de vue du ministère, il s'agit donc ' d'observer pour agir, plutôt que d'observer pour observer '. Dans cette optique, il apparaît urgent ' d'établir le noyau dur des données à collecter (...) et d'analyser les données, les indicateurs et les tableaux de bords produits pour la prise de décision '.Finalement, la mise en place de la Lolf engendre moins un problème technique qu'organisationnel. La marche à l'intégration de l'informatique financière de l'Etat s'effectue (presque) aussi rapidement que la grande bascule vers l'an 2000 et vers l'euro. Mais la gestion des équipes, dans les DSI ainsi que dans les métiers, ne fait que commencer.