La longue histoire de l'Inria et des voitures autonomes

Il y a 17 ans, bien avant Google, l'Inria travaillait déjà sur des véhicules sans conducteur mais le sujet était nettement moins à la mode qu'aujourd'hui. Petit aperçu des projets et des technologies utilisées.
Grâce aux Google cars, les véhicules autonomes sont à la mode, mais Google est loin d’être le seul à s’intéresser aux voitures qui roulent sans l’aide d’un conducteur. L’Inria (Institut national de recherche en informatique et en automatique) travaille depuis très longtemps sur le sujet.
« Il y a 17 ans, nous avons fait les premiers systèmes pour se garer automatiquement que l’on retrouve sur les voitures Toyota haut de gamme » se souvient Christian Laugier, chef de projet à l’Inria (voir la vidéo de démonstration du système SIPA, Simple intelligent park assist). A l’époque, le chercheur souhaite déposer des brevets, mais les constructeurs automobiles français ne manifestent aucun intérêt pour la technologie, qui sera donc récupérée par leur homologue japonais.
Les projets de véhicules autonomes se répartissent en deux catégories : ceux qui sont complètement autonomes, et ceux qui possèdent des volants et s’apparentent à des systèmes d’aide à la conduite ou ADAS (Advanced driving automatic système). Les assurances ne voient pas forcément d’un très bon œil les véhicules de la première catégorie qui ne permettent pas de reprendre le contrôle du véhicule. « Elles veulent un responsable en cas d’accident » ajoute Christian Laugier.
Du coup, les systèmes sont adaptés pour que le conducteur ait quand même une action à faire. Pour le parking automatique, c’est la voiture qui manœuvre par rapport à la taille de la place, mais le conducteur appuie sur l’accélérateur pour faire avancer la voiture. Dans d’autres cas, le conducteur doit maintenir la main sur une tablette pour enclencher la conduite automatique.
Bref historique des projets de l'Inria

Le projet Cycab de l’Inria fait partie des « véhicules automatiques sans pédale ni volant, mais avec un écran plat pour interagir », explique Christian Laugier. Ces petits véhicules de trois ou quatre places se sont retrouvés dans les parcs d’attraction, ou dans les parkings d’aéroport, autrement dit dans des environnements protégés. Ils sont notamment commercialisés par la société Robosoft, une spin-off de l’Inria. La Cycab est équipée de laser, d’un système de suivi de véhicule et d’une caméra linéaire avec des cibles infrarouge pour faire des trains de véhicule. Plusieurs versions de la CyCab se sont succédées.

De 1997 à 1999, une expérimentation a même eu lieu à Saint-Quentin-en-Yvelines pour mettre en place une flotte de véhicules automatiques en libre-service. Avec Praxitèle, un employé de la ville conduisait une file de voitures autonomes à travers la ville, chacune se détachant du convoi quand elle était arrivée à destination. « A l’époque, la technologie n’était pas assez sûre. Nous manquions de robustesse, les capteurs n’étaient pas assez bons et trop chers » se souvient Christian Laugier. Cette solution fait penser de loin aux autolib parisiens, mais sans borne de rechargement et sans volant.
Le projet européen CityNet Mobil continue à travailler sur ce type de solution. La voiture se rend seule automatiquement au lieu de l’appel (voir la vidéo ci-dessous). L’utilisateur récupère la voiture et indique sa destination comme sur un GPS avant d’appuyer sur le bouton « Démarrer ». Sur le même mode de fonctionnement que des taxis, les voitures du parc sont appelées depuis un téléphone mobile ou une borne.
Prendre en compte les interactions avec les hommes
Sur ces projets, la partie la plus facile consiste à calculer la trajectoire pour se rendre à destination. La partie la plus difficile est celle qui détecte les obstacles et surtout les piétons. « Il y a toujours un pourcentage de cas où ça ne marche pas » note Christian Laugier. L’environnement est dynamique, incertain et peuplé d’humains. Il faut donc construire un modèle au fur et à mesure à l’aide des capteurs, gérer les incertitudes (car les capteurs ne sont pas capables de tout mesurer), et prendre en compte les interactions avec les hommes. Au final, la conduite sur autoroute de ce type de voiture est plus facile qu’en ville.
Techniquement, « nous ne pensons pas que nous pouvons obtenir assez d’information avec un seul capteur, une seule prise de vue. Pour améliorer la robustesse nous avons choisi de nous servir de plusieurs capteurs différents : un radar avec une caméra, ou un caméra avec un laser (un lidar) » explique Christian Laugier. Les radars sont basé sur l’effet doppler comme ceux qui existent déjà sur les voiture. Ils permettent d’asservir la voiture avec le véhicule de devant en calculant par onde radio la distance ou plutôt le temps à collision. « Les BMW possèdent ce type de système » précise Christian Laugier.
De son côté, la Google Car utilise un laser 3D installé « qui coûte cher, plusieurs dizaines de milliers d’euros » explique Christian Laugier. Grâce à lui, Google cartographie en 3D l’environnement et détecte les obstacles. « Les européens utilisent des capteurs moins chers, intégrés à la carrosserie et pas sur le toit du véhicule comme chez Google. Mais cette approche demande beaucoup plus de travail sur le logiciel, pour comprendre la scène en temps-réel ».
L’Inria améliore les détections en raisonnant sur une petite fenêtre temporelle. Autrement dit, les détections passées aident les prédictions futures. Si le système a détecté un piéton une seconde avant, il y a de forte chance pour qu’il soit toujours là. « C’est ce que nous faisons avec Toyota et Renault. Nous sommes capables de prédire à deux ou trois secondes ce que le véhicule va faire. En moins d’une seconde, on manque de temps pour réagir » explique Christian Laugier. Concrètement, les capteurs regardent les véhicules autour, les suivent et évaluent la probabilité pour que le véhicule change de voie ou reste sur sa ligne. Un calcul du risque est ensuite fait selon le comportement estimé du véhicule. Et si le système estime que le véhicule va à collision, il peut par exemple tendre la ceinture du conducteur…
Communiquer avec l'infrastructure routière
Une autre voie est explorée : la communication des voitures entre elles et avec l’infrastructure routière. Les véhicules peuvent alors se coordonner au passage d’une intersection en fonction des comportements des autres véhicules, du code de la route et des infrastructures en place comme un stop qui oblige à réduire la vitesse. Une caméra à un carrefour permettrait par exemple à une voiture de savoir ce qui se passe sur une voie qu’elle ne voit pas. En France, l’IRT (Institut de recherche technologique) SystemX travaille sur les systèmes embarqués des véhicules autonomes et notamment la sécurité des communications.
Parmi les freins à la circulation de ces véhicules sur les routes, on compte bien sûr la législation. Les voitures ne sont pas habilitées à rouler sur route. Il est donc difficile de faire des tests grandeur nature. Mais les choses pourraient changer dans le cadre des 34 plans de la Nouvelle France industrielle. L’un d’entre eux a pour sujet les véhicules autonomes. « Des premiers essais en route ouverte auront lieu dès 2015, en parallèle du lancement de projets de recherche et développement » précise un document de Bercy .
Quoi qu’il en soit, les recherches sur les voitures autonomes auront au moins permis d’intégrer de plus en plus d’automatismes dans les voitures et de faire évoluer les voitures existantes avec des systèmes comme l’assistance au freinage par un ordinateur appelé ABS ou la détection du fait que le véhicule franchi une ligne blanche avec une vibration du volant ou l’enclenchement d’une alarme.