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Ultime brique technologique de la dématérialisation des contrats, la souscription électronique va transformer en profondeur la relation client chez les courtiers et dans les agences bancaires.
Les interminables rendez-vous chez le banquier ou l'assureur à parapher des dizaines de documents, c'est presque déjà du passé. La tendance est à la signature électronique, sur tablette ou en ligne. Pour les assureurs et les banquiers, ce n'est pas seulement l'occasion d'améliorer leur image ; c'est avant tout et surtout le moyen de réduire drastiquement leurs coûts administratifs et de focaliser l'énergie de leurs commerciaux sur le processus de vente, plutôt que sur le classement de photocopies.
Des taux de transformation parfois doublés
“ Dans l'assurance santé, les courtiers ne veulent plus travailler avec des assureurs refusant la signature électronique de leurs contrats ”, affirme Julien Bes, responsable maîtrise d'ouvrage à la direction commerciale d'Alptis. Cette société d'assurance lyonnaise travaille essentiellement avec des courtiers indépendants. Pour elle, la signature numérique est devenue stratégique, car “ les taux de transformation vont parfois du simple au double selon que le contrat a été paraphé ou non électroniquement ”, indique Julien Bes.La signature électronique n'est pas nouvelle. Cela fait maintenant presque treize ans qu'elle est reconnue par le droit français, et la conservation sous forme numérique d'une empreinte manuscrite sur un écran tactile est autorisée depuis 2010. Mais si son décollage a été lent dans l'assurance et la banque, le phénomène est désormais en pleine accélération. Pour Nicolas Dulman, directeur général de Kelassur, “ la signature électronique est le moyen le plus abouti en termes de transformation d'opportunités commerciales ”. C'est d'autant plus vrai en matière d'assurance santé, secteur où intervient Kelassur. “ L'intérêt pour les contrats d'assurance santé est important, car il y a seulement un document à parapher et à envoyer ”, explique Nicolas Dulman. Ce comparateur d'assurances santé en ligne propose à ses partenaires, des assureurs et des courtiers listés sur son site, un service de signature numérique en marque blanche. Déjà sept mutuelles sur 19 ont adopté cette option. “ Pour d'autres produits comme l'assurance automobile, c'est plus compliqué, tempère Nicolas Dulman. Outre le contrat proprement dit, il faut envoyer une copie de la carte grise, un certificat de non-gage…, ce qui complexifie la dématérialisation totale du processus. ”Alptis s'est lancé dans l'aventure il y a trois ans, pour offrir à ses clients “ un service moderne, faciliter les transactions et accélérer la mise en gestion ”, rappelle Julien Bes. Mais les usages ont vraiment décollé il y a dix-huit mois environ, passant d'une cinquantaine de contrats conclus en ligne par mois à 700 ou 800 aujourd'hui. “ Cela représente 50 % de notre production dans le domaine de l'assurance santé ”, précise Julien Bes.Le paraphe numérique n'est plus l'apanage des assureurs en ligne et de quelques acteurs spécialisés. Les assureurs traditionnels y viennent aussi. Axa, par exemple, a lancé en avril 2012 son projet I-Nov qui consiste à doter d'ici à 2013 tous ses commerciaux itinérants d'iPad équipés d'un dispositif de signature électronique. En juillet dernier, c'est le GPMA (Groupement militaire de prévoyance des armées) qui a adopté la souscription numérique avec une tablette fournie à chacun de ses conseillers nomades. Les bénéfices attendus ? Un gain de productivité et une diminution du délai de traitement des dossiers.Dans la banque, l'empreinte électronique est également en plein boom. Filiale de crédit à la consommation de la Société générale, Franfinance a été le premier des acteurs du crédit à la consommation à la déployer massivement. Cette expérimentation de contrat entièrement numérique, débutée en début d'année, a été généralisée à un millier de distributeurs en septembre 2012. “ L'enjeu réside dans la souplesse et la facilité d'accès aux produits financiers, quel que soit le canal considéré, assène Rémi Vécina, directeur du programme de dématérialisation du groupe Société générale. Dans un contexte très concurrentiel, les clients sont devenus très volatils. Leur faciliter l'accès à nos produits devient une priorité. ” Concrètement, le client se rend dans l'agence, où un employé vérifie son identité et génère dans la foulée un certificat numérique à usage unique. Une fois le contrat créé au format PDF, le client y appose sa signature manuscrite à l'aide d'une tablette numérique. Le document est ensuite horodaté et scellé par un sceau électronique des deux parties. Résultat : les vendeurs qui passaient auparavant vingt minutes en tâches administratives lors du paraphe d'un contrat n'y consacrent plus que dix minutes. “ Il y a également un enjeu d'image. Apparaître comme une entreprise innovante est important pour capter la génération Y, rajoute Rémi Vécina. Celle-ci arrive massivement sur le marché et recherche des produits et des services modernes. ” Un enjeu tel, que La Société générale s'est engagée dans un projet d'équipement de toutes ses forces de vente itinérantes avec une tablette embarquant un module de signature numérique.Les autres grandes banques ne sont pas en reste. Cet été, BNP Paribas a ainsi réalisé un premier déploiement dans son agence de Pointe-à-Pitre. Celle-ci propose ainsi des contrats numériques pour l'ensemble de son offre : plans d'épargne logement, cartes… Installée par la société Sima, la solution ne requiert pas de certificat côté client : le paraphe manuscrit sur une tablette Wacom suffit. Une expérimentation qui devrait vite se généraliser à l'ensemble du réseau. Chez Crédit agricole, LCL ou Barclays, on ne reste pas inactif, et les tests se multiplient.Si la signature électronique est un phénomène nouveau dans la banque de détail, elle est toutefois utilisée depuis longtemps dans la banque d'investissement et les salles de marché. Mais ses perspectives de développement sont encore immenses. “ L'évolution technologique est un sujet d'actualité, et plus particulièrement le renforcement de la sécurisation des paiements, qui doit permettre de lutter contre les tentatives de fraude en masse sévissant actuellement, témoigne Olivier Laborde, directeur marketing et innovation pour le métier Global Transactions Banking, au sein de Natixis, et responsable du Cash Management Lab. Nous étions dans un monde très papier et nous évoluons vers la dématérialisation totale et en temps réel. Les systèmes de contrôle des transactions doivent évoluer également. ”
Des tests de signature par empreinte biométrique
Cela fait déjà une dizaine d'années que Natixis distribue des certificats numériques à ses grands clients. “ Nous avons été confrontés à des tentatives d'escroquerie via des ordres de virement par fax, explique Olivier Laborde. Un soi-disant PDG arguait de l'urgence d'un virement à l'international. Nos équipes savent réagir à ce type d'attaque sur des ordres papier. Mais il y a danger si les escrocs persuadent les entreprises d'effectuer elles-mêmes les ordres de virement et de les intégrer dans leurs instructions électroniques. ” Natixis a d'abord mis à la disposition des clients des certificats logiciels, puis matériels sur une carte à puce. Depuis six ans, la banque en distribue via des clés USB. “ Mais c'est toujours perçu comme intrusif sur les systèmes d'information (SI) des clients, et cela peut créer des dysfonctionnements, notamment des conflits entre plusieurs certificats. ” C'est pourquoi, depuis septembre 2012, la banque d'investissement teste la signature par empreinte biométrique. Les grands comptes sont demandeurs de cette technologie. Souvent multibancarisés, leurs responsables gèrent de nombreux certificats. Même avec la mise en place de la politique d'acceptation commune initiée il y a deux ans entre plusieurs grands établissements financiers, demeurait la problématique du mot de passe venant se rajouter aux autres sésames nécessaires (messagerie, portail…). “ Si l'appétence est avérée, nous passerons en phase d'industrialisation ”, prévoit Olivier Laborde.
Gagner en réactivité et améliorer le service client
Si la signature électronique est une technologie stratégique, elle n'est que la touche finale d'une dématérialisation complète des activités. “ C'est seulement quand un processus est dématérialisé dans son intégralité que l'on parle d'innovation et que l'on constate une amélioration spectaculaire du service client ”, constate Rémi Vécina. “ L'idée est de fluidifier toute la chaîne du traitement d'un nouveau contrat, pour être en mesure de gagner en réactivité en cas d'anomalie ou de document manquant, renchérit Nicolas Dulman. Avec, au final, une meilleure satisfaction du client. ” Encore faut-il que tous les processus concernés soient déjà dématérialisés. Ainsi, la Société générale a initié, en 2005, le projet Orchestra visant à réorganiser la répartition du travail entre les back offices et les agences. Nouveaux outils de GED, déploiement de la solution de wokflow de Tibco Software… Après cinq ans de travail, la Société générale a fini par équiper toutes ses agences avec 14 000 scanners pour numériser tous types de documents en provenance de ses clients. Et c'est seulement maintenant qu'elle œuvre à la mise en place de la signature numérique. “ Nos SI sont déjà orientés dématérialisation avec le déploiement de scanners et de workflow de traitement des documents, annonce Rémi Vécina. Notre architecture nous permet de rajouter aisément la brique signature électronique. ” Pour lui, c'est sûr, “ entre 2013 et 2014, la contractualisation numérique va être massivement adoptée ”.Dans le cas d'Alptis, la réflexion sur la signature électronique a été engagée en 2009 afin d'offrir un service moderne à ses clients, mais aussi et surtout pour gagner en productivité et améliorer la gestion. “ Il a fallu adapter notre processus de gestion, en limitant au maximum les interventions humaines, et nos outils informatiques pour passer du papier à la dématérialisation complète ”, confirme Julien Bes. Désormais, un contrat signé en ligne est mis en gestion le soir même, contre plusieurs jours de délai auparavant (acheminement postal du contrat, numérisation des documents, puis traitement…).Les pure players de l'assurance sont pour l'instant les mieux placés dans cette course à la dématérialisation totale. Ainsi, certains d'entre eux, par exemple Direct Assurance, proposent-ils d'ores et déjà la signature numérique sur des produits qui s'y prêtent moins comme l'assurance automobile. Ils s'appuient notamment sur les fonctionnalités des smartphones, capables de prendre des documents en photo et de les expédier numériquement.
Des enjeux juridiques importants
Alptis, de son côté, après avoir dématérialisé la quasi-totalité de ses contrats d'assurance santé, s'est attaqué en 2012 à l'assurance obsèques. “ Et l'année prochaine, nous étendrons la signature électronique à l'assurance emprunteur, annonce Julien Bes. C'est un gros chantier, avec des enjeux juridiques importants et des processus différents. ” Le paraphe de plusieurs documents, dont le fameux questionnaire de santé, est, en effet, nécessaire. Et la cinématique est différente également avec deux signataires distincts, pas forcément simultanément. “ Il nous faudra prévoir une durée d'instance plus longue ”, anticipe Julien Bes. Freinés par leurs lourds héritages organisationnel et technologique, les grands établissements financiers, banques et compagnies d'assurance tentent aujourd'hui de rattraper le retard. Et la vitesse est un élément important, “ dans un contexte où le time to market est un des leviers majeurs du succès d'un nouveau service dématérialisé ”, souligne Rémi Vécina. Le projet Franfinance, par exemple, a été réalisé en six mois. “ Il nous serait très difficile d'acquérir et de maîtriser les compétences relatives à la signature numérique dans des délais aussi courts ”, concède Rémi Vécina. Le délai de mise au point ne doit pas dépasser douze mois sous peine d'être dépassé. “ Les technologies évoluant très vite, le recours à des PME innovantes proposant des applications de signature électronique en mode Saas (Software as a Service ? NDLR) me semble le plus approprié, détaille Rémi Vécina. Bien évidemment, tout est sous le contrôle de nos DSI qui imposent les protocoles forts d'échange et de sécurité des informations. ” Ainsi, Société générale a fait appel au prestataire français Dictao pour le projet de Franfinance. Concernant celui de signature numérique dans ses agences, “ là encore, nous étudierons le recours à une solution en mode Saas ”, confirme Rémi Vécina.La solution en mode Saas de Dictao a également été choisie par Alptis. “ Le projet de signature électronique a été développé en deux mois, précise Julien Bes. En effet, de par notre activité entièrement en ligne, nous maîtrisons les services web, moyen d'interaction avec la solution de Dictao. ”Chez Kelassur, c'est la solution en mode Saas de Cryptolog qui a été retenue. “ A partir de leur brique de signature numérique, nous avons tout développé pour l'adapter aux besoins spécifiques de nos clients ”, pointe Nicolas Dulman. Il a fallu, par exemple, transformer le document PDF à parapher en image pour être sûr qu'il soit lu sur tous types de tablettes. Le logiciel d'Adobe n'étant pas aussi abouti pour ces terminaux que pour les ordinateurs.Néanmoins, le volet technique est rarement le plus complexe dans un programme de signature électronique. “ Ce type de projet est très classique, il est même plutôt indolore technologiquement à partir du moment où il est validé par les responsables de la sécurité du groupe, acquiesce Olivier Laborde. Cela peut se résumer à la mise en place de l'équivalent d'une API pour gérer l'interaction avec la chaîne de confiance. ” Mais c'est surtout l'organisation du travail de toute une industrie financière qui devra se réinventer grâce, ou à cause de, la signature numérique.
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