' La nouvelle économie, éclairée par le soleil des technologies de l'information, a rayonné dans les têtes et illuminé les médias. Qui ne s'est pas réjoui de ce changement de décor qui rappelait les Trente Glorieuses ? À la fin
des années 1990, pour certains, l'optimisme d'un cycle long de croissance était de mise. Pour d'autres, auxquels j'appartiens [voir l'article ' Nouvelle croissance ou vieilles lunes ? ' de Michel Godet, paru dans
la revue Futuribles en octobre 2000, NDLR], cette reprise n'était qu'un feu de paille, comme une force de rappel, après la récession du début de la décennie. Pourquoi les experts n'avaient-ils pas vu venir cette
' nouvelle croissance ' ? Était-elle vraiment portée par les ' nouvelles ' technologies ? Pourquoi l'embellie n'a-t-elle pas résisté au fléchissement de la croissance
américaine ? L'hypothèse que nous privilégions est la suivante : les facteurs économiques classiques jouent un rôle plus important dans la croissance que les technologies. Et lorsque ces dernières ont eu un impact sur la croissance, c'est parce
qu'elles avaient contribué à la modernisation de l'organisation des entreprises et changé les habitudes de travail de leurs salariés.
Un modèle vertueux de baisse des prix
L'effort continu des entreprises pour rendre les circuits de production et de distribution plus efficaces, avec une gestion en flux tendus et zéro stock, n'aurait pu, en effet, se faire sans le levier des technologies de l'information
et les possibilités nouvelles de transmettre, en temps réel et à coût dérisoire, des informations à tous les maillons dispersés qui relient les producteurs aux consommateurs. Tout cela a été remarquablement bien analysé par Philippe Lemoine,
vice-président du groupe des Galeries Lafayette, dans son article paru dans Cahier Laser, en juillet 2000 : ' La nouvelle économie, c'est l'informatisation de l'échange, par opposition à une ancienne économie
où domine encore le modèle stratégique impliqué par l'informatisation de la production et de la gestion. ' L'ancienne économie recherchait des gains de productivité par la réduction des effectifs et les plans sociaux, qui étaient
une manière de soutenir les cours de Bourse. L'ancienne économie était aussi caractérisée par le phénomène de ' rétention de la valeur ' : même dans l'industrie informatique, où l'on constatait depuis 1965 une
division par deux, tous les dix-huit mois, du coût des produits avec la fameuse loi de Moore, ces gains de productivité n'étaient guère répercutés sur les prix, mais se traduisaient par une augmentation des performances et de la sophistication des
produits. Le même phénomène se vérifiait dans la plupart des autres secteurs industriels - l'automobile, notamment. Désormais, sur certains marchés, comme le souligne Philippe Lemoine dans son article ' c'est la loi des prix
inversés : les produits s'améliorent et sont de moins en moins chers. ' C'est aussi l'inversion des chaînes de valeur : la demande conditionne de plus en plus l'offre et le client finit par lancer un appel d'offres au producteur.
On a là une tendance classique des activités qui arrivent à maturité ; pour garder la demande de renouvellement, les producteurs doivent être à l'écoute. Mais la mutation causée par les technologies de l'information est d'assurer une plus grande
transparence de l'information pour les consommateurs ou les producteurs isolés, de faciliter les rapprochements entre des offres et des demandes auparavant cloisonnées. Bref, de stimuler la concurrence et, du même coup, la baisse des prix.La nouvelle économie serait donc un modèle vertueux de baisse des prix, d'innovation dans l'offre pour répondre à des demandes, toujours plus diversifiées, de réduction des stocks par une plus grande rotation performante et
d'augmentation des effectifs ainsi que des services. Le tout pour mieux coller aux attentes des consommateurs. Philippe Lemoine donne une illustration étonnante de ce modèle en comparant un hypermarché français moyen et Wall-Mart, le leader
américain de la distribution. Ce dernier emploie deux fois plus de personnel pour un même chiffre d'affaires : ' La clef de la compétitivité de Wall-Mart est dans la rotation du capital circulant : les stocks tournent vingt-cinq
fois dans l'année, contre dix fois en France. ' Ajoutons à cela la croissance exponentielle de certaines activités en raison des effets de réseau : l'utilité d'un bien ou d'un service croît comme le carré du nombre d'utilisateurs
! Mais tout cela n'est pas propre au monde des technologies. La grande erreur est d'avoir confondu nouvelle économie et nouvelles technologies. '
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