La troisième loterie du monde mise lourd sur son SI
À la fois éditrice de logiciels, conceptrice de terminaux et productrice de normes de sécurité pour les systèmes d'information, La Française des jeux est avant tout une entreprise de haute technologie.
Près de 90 % des investissements annuels de La Française des jeux vont à l'informatique. Un rêve de DSI ?Pierre Caron : Il n'y a pas un projet ou une de nos actions qui n'inclue la dimension système d'information. A tel point que l'on peut considérer que notre premier métier n'est pas de faire des jeux, mais d'optimiser
la gestion de notre informatique. Ainsi, 40 % des 830 collaborateurs appartiennent à la DSIO (Direction des systèmes d'information et opérations). Et celle-ci a bénéficié, en 2005, de 26 millions d'euros d'investissement. Soit, en effet,
89 % des 29 millions investis par la société dans ses activités.Christophe Blanchard-Dignac : Notre système d'information sert 29 millions de clients et 40 000 points de vente. La technologie représente 44 % de nos charges annuelles. Elle est tellement au c?"ur de
notre métier que nous nous devons d'en maîtriser les aspects stratégiques. Nous privilégions donc l'achat de solutions informatiques de base, en prenant soin de les intégrer, chaque fois que cela est nécessaire, grâce à des transferts de compétence.
L'exigence de sécurité nous conduit à privilégier des relations de moyen terme avec nos fournisseurs, en misant sur des échanges de savoir-faire. Pas question d'essuyer les plâtres en recourant à des innovations technologiques hasardeuses. En fait,
nous avons une structure de PME avec des contraintes de grands groupes.Outre l'aspect budgétaire, comment se traduit cette importance des systèmes d'information ?C.B.-D. : Le DSI fait incontestablement partie de ma garde rapprochée. Et il est l'un des pivots du comité exécutif. Je me suis toujours intéressé aux technologies de l'information, sans les comprendre vraiment.
Alors, je mets à profit nos rencontres hebdomadaires, et surtout nos heures de voyage pour que Pierre Caron m'éclaire sur le sujet. Nous partageons la même curiosité intellectuelle et échangeons très régulièrement à propos des effets des TIC sur nos
métiers. A titre personnel, en dehors d'un passage de deux ans à La Poste, je n'avais jamais assisté à la mise en ?"uvre opérationnelle de projets informatiques. Je les connaissais en tant que contrôleur, lorsque j'étais en poste à la direction du
Budget, au ministère de l'Economie. Ici, c'est un vrai plaisir de suivre les évolutions technologiques au quotidien.Monsieur Caron, que recouvre le terme ' opérations ', dans votre titre de DSOI (directeur des systèmes d'information et des opérations). ?P.C. : Il désigne la logistique de nos 40 000 points de vente. Qu'il s'agisse du mobilier, des équipements techniques, de leur entretien, de l'approvisionnement en consommables divers ou des différents produits
à gratter, dont le tirage annuel atteint les deux milliards d'exemplaires.Comment caractérisez-vous vos besoins en systèmes d'information ?C.B.-D. : Avec nos points de vente de métropole, ceux installés dans les Dom-Tom et en Polynésie, l'informatique de La Française des jeux est sollicitée 24 h/24. Cela complexifie les opérations de maintenance
technique. Naturellement, notre activité suscite des convoitises. Nous sommes la troisième loterie au monde. Et les mises des joueurs ont représenté 8,9 milliards d'euros en 2005. La sécurité technologique constitue donc une priorité.P.C. : La sécurité de nos systèmes d'information occupe une équipe de onze ingénieurs, pilotée par un responsable (RSSI). Ses membres se répartissent en deux groupes. Le premier participe aux projets informatiques
dès leur origine. Afin que la prise en compte de la sécurité soit omniprésente à chaque étape du développement. Le second a en charge la sécurité opérationnelle. Il contrôle les diverses clés d'accès au système informatique et exerce une
surveillance permanente de l'ensemble de notre réseau interne. Vous comprendrez que l'on observe une certaine retenue pour décrire les dispositifs technologiques de protection de nos installations.Nous travaillons étroitement avec la direction de la sécurité de l'entreprise, responsable de la surveillance physique de nos sites. Et avec la direction de l'audit groupe, qui effectue les missions d'audit informatique. Ils procèdent
notamment, avec le concours de différents cabinets spécialisés, à des exercices d'intrusion. Dans ce cas, seul le PDG est informé des tentatives, afin que les conditions d'examen soient les plus proches possibles de la réalité. Sans déclencher pour
autant de panique en interne.Comment l'architecture de vos systèmes d'information est-elle organisée ?P.C. : Nous disposons de deux systèmes distincts, mais interconnectés. L'un est utilisé pour les jeux de tirage (Loto, Keno, Euromillions, etc.). L'autre, employé pour les jeux de grattage (Millionnaire, Tac O Tac,
etc.), est alimenté par les imprimeurs de billets. C'est aussi un outil de logistique et de contrôle. L'interconnexion permet qu'un même terminal donne accès aux deux systèmes. Sur nos 40 000 points de vente, 24 000 détiennent un terminal
multifonctions. Celui-ci a été élaboré sur la base d'un cahier des charges que nous avons rédigé. La Française des jeux a ensuite lancé un appel d'offres pour sa fabrication, remporté par Sagem. Cette société assure désormais les réparations. Et
elle commercialise cet appareil à l'étranger. Il fonctionne avec des logiciels développés en interne.Que représente l'activité d'édition de logiciels pour vous ?C.B.-D. : Nous sommes partis de solutions mises au point par deux éditeurs américains de systèmes de jeu, Gitech et Scientific Games International, et nous les avons adaptés à notre environnement. La Française des
jeux s'appuie désormais sur sa propre société d'ingénierie, Lot-Sys, une filiale à 100 %. Celle-ci emploie aujourd'hui une cinquantaine de collaborateurs et commercialise nos logiciels et terminaux. Notamment en Suède et en Allemagne. Plus que
de dégager des profits ?" La Française des jeux n'est pas une entreprise comme les autres : elle reverse l'essentiel des sommes perçues aux joueurs (environ 60 %) et à l'Etat (environ 27 %) ?", cette activité représente un
formidable moyen de conserver une solide compétence en interne. Elle confronte aux réactions du marché, ce qui nous évite l'enfermement technologique.Quelle importance revêt le terminal informatique installé chez les détaillants dans le bon fonctionnement du système d'information ?C.B.-D. : Ce sont les points d'entrée qui servent aux joueurs à miser. Sans eux, pas de Française des jeux.P.C. : Le terminal que nous avons mis au point informe une base de données centrale de ses défaillances. Il comporte un compteur d'unités d'?"uvre afin de surveiller l'usure de ses composants et celle de
l'imprimante. Ce système autorise des opérations préventives. La méthode a diminué nos coûts de maintenance et d'intervention, et rendu possible une amélioration de l'efficacité des équipes d'entretien et des équipements mis à la disposition des
détaillants. Par exemple, grâce à notre technologie, nous sommes en mesure de téléphoner à un buraliste pour lui indiquer qu'il faudrait nettoyer la vitre de son scanner. Car l'ordinateur a analysé que la saleté présente à cet endroit rend difficile
la lecture des codes à barres des tickets à gratter.C.B.-D. : Trois fois sur quatre, le centre d'appels interne réussit à dépanner à distance les problèmes de terminaux. Les demandes non traitées sont automatiquement transférées sur le système d'information d'EDS
(Electronic Data Systems), chargé de la maintenance, qui envoie une équipe sur place. Ces techniciens adresseront un compte rendu de leur intervention à notre centre d'appels. Afin d'enrichir une base de connaissances. C'est un apprentissage
permanent.Comment sont organisées les communications entre votre central et les points de vente ?P.C. : Le réseau historique était en X25, via le Transpac de France Télécom. En 2003, nous avons sommes passés à l'ADSL. Nous déployons notre nouveau dispositif depuis la mi-2005. Or, il n'existait pas de précédent,
dans le monde de la loterie, où l'on ait modifié le système de communication sans changer simultanément son parc de terminaux. Ne voulant pas aboutir à une cathédrale informatique, forcément fragile, nous avons préféré avancer progressivement. En
faisant évoluer d'abord le système central, puis le mode de communication avec les points de vente. Sachant qu'il était inenvisageable d'interrompre le service en raison de ce chantier technologique.C.B.-D. : En juin 2006, nous aurons ainsi équipé 24 000 points de vente. Ce qui représente 500 transferts par semaine ! Pour chacun d'eux, il faut ouvrir une ligne téléphonique ADSL. Ce mode de connexion
rendra possible à terme l'utilisation des terminaux pour des animations spécifiques : diffusion de programmes vidéo ou d'informations ' citoyennes '... Evidemment, la fourniture des terminaux
et leurs coûts de communication restent à notre charge.Quelles normes utilisez-vous en matière de sécurité informatique ?C.B.-D. : La maîtrise des processus constitue une nécessité absolue en matière de jeux d'argent. A fortiori dans le domaine de la sécurité informatique. Nous nous appuyons sur des normes de base Iso, auxquelles nous
apportons des développements spécifiques à l'univers des loteries. Au lancement d'Euromillions, nous étions trois pays. Aujourd'hui nous sommes dix. Et nos travaux communs dans le champ des normes de sécurité des systèmes d'information ont abouti à
la mise au point d'un référentiel mondial dont les Etats-Unis s'inspirent aujourd'hui. Une chose est sûre : la sécurité demeure une exigence constante.De telles dispositions ne vous mettent pas totalement à l'abri des pannes informatiques. La Française des jeux en a connu une d'importance, le 26 décembre 2005. Que s'est-il passé exactement ce jour-là ?C.B.-D. : Il faut d'abord préciser que ce fut la première panne informatique de l'histoire de la société. Elle nous a forcé à interrompre nos activités pendant quatre heures en pleine journée.P.C. : Nous avons été victimes ce 26 décembre de deux erreurs indépendantes l'une de l'autre. La première a consisté en une faute de saisie, commise lors d'une opération de maintenance effectuée au cours de la
nuit précédente, qui a retardé le démarrage du réseau. D'habitude progressif, de 6 h à 9 h du matin environ, il a été imposé dès 8h, à un moment où 17 000 terminaux demandaient la connexion. La montée en puissance a été impossible
après que quelques milliers d'entre eux eurent été acceptés par le site central. Les analyses réalisées a posteriori ont montré qu'il y avait un bogue dans un des programmes centraux d'origine du système, nécessaire à un démarrage brutal, à froid.
Un cas de figure jamais rencontré en quatre années et demies. Le 26 décembre, nous avons perdu du temps à éliminer les fausses pistes, par exemple, à cette date, nous avions réalisé environ 50 % de la migration de Transpac vers l'ADSL.
Avec l'aide de France Télécom, nous avons placé notre réseau informatique en situation de redémarrage progressif au cours de l'après-midi. Sans la première erreur, le second dysfonctionnement n'aurait pas eu lieu, sans le second dysfonctionnement,
le premier serait passé totalement inaperçu.Comment utilisez-vous internet dans vos activités de jeux ?C.B.-D. : Les cyberloteries pullulent sur la Toile. Il était de notre mission d'apporter une réponse légale, autorisée et contrôlée, face à ces multiples offres illégales qui présentent de sérieux risques pour les
joueurs. En 2001, les jeux en ligne de La Française des jeux apportaient 1 million d'euros de chiffre d'affaires. En 2005, le montant s'élève à 70 millions d'euros. Une somme encore modeste au regard des 8,9 milliards d'euros de lotos et paris gérés
dans l'année. Mais 800 000 personnes se sont déjà inscrites sur notre site (www.fdjeux.com), pour miser des sommes raisonnables.P.C. : Notre plate-forme actuelle pour les jeux en ligne repose sur un logiciel édité par la société australienne Access Gaming, spécialisée dans les jeux de casino. Les ingénieurs de Lot-Sys l'adaptent désormais à
nos spécificités maison. Une nouvelle mouture fonctionnant en Flash devrait être opérationnelle en juin 2006 . L'architecture de la version actuelle, réalisée sous Java, est obsolète. Elle ne supporterait pas une augmentation du nombre des
connexions. Et elle ne permettait pas de jouer avec un ordinateur Macintosh.C.B.-D. : Avec internet, il ne s'agit certainement pas de faire une e-Française des jeux indépendante. Les activités en ligne et dans notre réseau sont parfaitement convergentes. Au début du Net, la clientèle était
essentiellement masculine, urbaine et financièrement aisée. Mais avec le déploiement du haut débit dans l'Hexagone, les joueurs du Loto et les parieurs en ligne ressemblent de plus en plus à l'image du grand public. La Toile sert en outre à tester
des jeux en les proposant aux seuls internautes quelques semaines durant.Et au-delà d'internet, vous pensez à d'autres supports high-tech ?P.C. : La nouvelle plate-forme fonctionnera avec une grande variété de supports, le téléphone mobile, par exemple. Toutefois, pour lancer de nouveau jeux, nous sommes contraints par le cadre légal, qui nous impose de
nous limiter aux jeux de hasard et de pronostic. Or, il nous faut prendre en compte la particularité de l'internaute. Très sollicité par ailleurs, c'est certainement un public qui se lasse plus vite que les autres.