' La valse des directeurs des systèmes d'information s'accélère '
En 1999, 20 % des grands directeurs des systèmes d'information (DSI) ont été sommés de rendre leur tablier ou, plus rarement, ont pris l'initiative du départ justement dans le but de remplacer ceux qui s'étaient fait remercier. En 2002, aux dernières nouvelles, le taux explose à 30 %. Mon seul carnet personnel recense huit DSI remerciés ces huit dernières semaines. Est-ce à dire que 30 % des DSI sont incompétents ? Ou bien qu'ils sont inadaptés à leur PDG ? A un tel rythme, il serait temps, en effet, de se demander si l'erreur ne proviendrait pas plutôt du PDG coupeur de têtes.Statistiquement, la population des DSI n'est probablement ni plus stupide ni beaucoup plus intelligente qu'une autre. Masochiste, certainement, pour accepter de subir les avanies répétées des directions générales. Différente, surtout. Différence dont on lui fait reproche et qu'on lui conteste. On trouve même des DSI pour la nier, par crainte de se faire remarquer, par refus de la réalité, ou pour conjurer un sort qui s'annonce fatal autrement.Le DSI est sacrifié parce qu'il est différent. Je parle de celui qui exprime sa différence, certains se contentant d'être un maillon relais dans la chaîne de direction. Un maillon, ça ne doit pas bouger. C'est solide, ça transmet la force. Ca ne l'augmente pas, ça ne l'oriente pas, ça ne l'utilise pas. Même si c'est dans l'intérêt de l'entreprise.Combien de directeurs des systèmes d'information voient-ils leur demande et leur consommation croître de 20 % par an giga-octets, Mips, serveurs, progiciels, données stockées, accès aux fichiers, programmes nouveaux mis en production, complexité... choisissez votre catégorie , alors même que l'activité de l'entreprise est stable, voire déclinante ? Combien doivent tout savoir de tous les métiers de leur entreprise. Suffisamment, en tout cas, pour écouter, comprendre, conseiller, orienter, parfois même décider ?Combien doivent, le matin, savoir se situer au niveau de réflexion stratégique, parler de création de valeur, de retour sur investissement, de marketing, et, le soir même, diriger une cellule de crise pour garantir le traitement de la facturation ? Combien, enfin, doivent remettre sans cesse en question leurs connaissances pour gérer les matériels et les progiciels qu'ils ont acquis deux ans plus tôt seulement ?Le DSI est sacrifié parce qu'il dérange. Sacrifice expiatoire, pour offense aux idées du PDG, ou pour avoir osé troubler Sa digestion (trop de sociétés à absorber, trop de chiffres à ingurgiter). Le secteur de l'informatique ne va pas comme il veut : trop cher, trop lent, trop évolutif, trop de mécontents, trop technique pour être compris. Ce PDG ne se pose pas la question du pourquoi, ni même du comment. Il peine moins à remercier son DSI qu'à tenter de comprendre l'informatique. Il n'hésite pas à arracher le c?"ur de son DSI, ce fauteur de dépenses, pour faire plaisir à un directeur opérationnel qui se plaint du service rendu. Il ne prend pas le risque politique d'intimer à ce dernier de conformer ses ambitions informatiques à ses moyens. Il n'y songe même pas.Le DSI est sacrifié parce qu'il ne sait pas arrêter le cours de l'histoire. Et comme l'histoire s'accélère, valsent de plus en plus vite les DSI. Ce qui est contraire à l'histoire de la valse : la valse anglaise, ou valse lente, a succédé à la valse viennoise de la famille Strauss, trop rapide, en lui rajoutant pas et figures.Car le PDG s'inquiète. Il a tellement perdu d'agent à la corbeille, les consommateurs américains y ont tellement laissé leur chemise, que son chiffre d'affaires est en berne. Il doit se refaire une santé sur les frais généraux. Il considère son DSI incapable de redonner le souffle qu'il n'a pas su garder. Il sanctionne le DSI qui se refuse à couper des coûts en augmentation, incompressibles. Il pourrait les abaisser, à condition de réfréner les ambitions de ses dirigeants ou de dégrader le service.Mais le PDG veut plus avec moins. La musique étant impossible à conduire sauf à changer de compositeur et de rythme... , il remplace donc le chef d'orchestre plutôt que d'assumer pleinement la responsabilité des actions qu'il a commanditées ou laissé conduire. S'est-il jamais suffisamment préoccupé de piloter son informatique, avant de décider de jeter son DSI aux orties ? A-t-il une fois tenté de traiter les problèmes au fond, honnêtement, avant le couperet final ? Coupable, le DSI ? Responsable et coupable, le PDG. Il a eu l'informatique qu'il méritait. Il l'aura tout autant quand il aura changé de DSI. Même si le nouveau, désireux de rester accroché au siège, rompu à l'art de l'esquive, du faux-fuyant et du faux-semblant, finit par dire au PDG ce qu'il veut entendre. L'entreprise ne sen portera pas mieux. Le DSI, si. Mais qui se soucie du succès de sa société ? Le DSI, aussi. Merci.(*) Guy Lapassat a été directeur de division de SSII, puis DSI de Paribas BPCM, CCF et Générale des Eaux.
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