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Ecoles d'ingénieurs privées et publiques accordent plus de place à l'enseignement en mode projet. Expérience à l'international et apprentissage des technologies à la mode renforcent ce cursus.
Des statuts d'école généraliste ou spécialisée, privée ou publique, universitaire ou non, des programmes et des contenus de plus en plus complexes... les écoles d'ingénieurs ne renvoient pas au public une image d'elles très claire. Cette dernière est encore plus brouillée depuis la prolifération d'écoles dites ' d'ingénieurs ', mais dont le diplôme n'est pas validé par la Commission des titres d'ingénieur (CTI).Pour ajouter à la confusion générale, les technologies de l'information, longtemps considérées comme une matière scientifique à part entière, se mêlent et s'entremêlent avec toutes les autres disciplines, qu'elles soient scientifiques ou non. ' L'informatique est enseignée à tous les ingénieurs. Entre l'informatique outil ou destination, la cloison est de plus en plus fine ! ' indique ainsi Michel Mudry, délégué général de la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs (CDEFI).
Une généralisation des prépas intégrées
Pire encore : entre ceux qui considèrent que l'informaticien est voué aux grandes destinées qui l'amèneront vite à piloter, manager et concevoir, et ceux dont le rêve est de concevoir et de réaliser des systèmes techniques novateurs, la marge est énorme. Et le chemin bien différent. Alors comment trouver sa voie dans ce dédale ?A leur arrivée, les étudiants ont le plus souvent des idées bien arrêtées : ' Je veux créer des jeux vidéo ', rêvent nombre de jeunes lycéens et futurs informaticiens. Quant à ceux qui sont un peu plus réalistes, ils se voient pourtant maniant le code et l'algorithme avec brio, des nuits durant les lunettes vissées sur le nez. En réalité, l'objectif des écoles d'ingénieurs n'a pas véritablement changé sur le fond depuis plus d'un siècle : former des gens de haut niveau, capables d'apprendre rapidement et, surtout, de prendre des décisions en connaissance de cause, et diriger.Un objectif commun à toutes les disciplines, mais qui a été particulièrement dissimulé dans les technologies de l'information : quantité de jeunes considèrent ainsi que le titre d'ingénieur leur permettra de développer des programmes. Jamais une telle croyance n'a été aussi fausse, à l'heure de l'externalisation et surtout de l'offshore, qui gagne sensiblement du terrain.Choisir une formation d'ingénieur n'a donc rien d'une sinécure. Des modalités d'accès à l'école au contenu des enseignements, en passant par l'internationalisation croissante, les formations initiales évoluent rapidement.L'entrée en école d'ingénieurs s'est largement diversifiée ces dernières années. Selon les établissements, la classe préparatoire classique perd du terrain, en particulier dans les écoles privées et spécialisées. ' Notre prépa intégrée existe depuis dix ans et représente actuellement un quart de nos élèves. Les autres sont issus d'autres prépas ou de BTS, de DUT. Mon objectif est de faire progresser cette part ', indique ainsi Claude Guillermet, directeur général de l'ESIGELEC. Et cette école n'est pas la seule à avoir fait ce choix. L'avantage est indéniable : les prépas intégrées aident les futurs ingénieurs à entrer de plain-pied dans la matière informatique dès la première année de leur cursus. Mais la filière universitaire progresse elle aussi. Issus de DUT ou de licence (L2 ou L3), les étudiants sont de plus en plus nombreux à rejoindre les rangs des écoles d'ingénieurs ?" entraînant une raréfaction des diplômés de bac +2 ou +3. Les populations des écoles d'ingénieurs se diversifient également progressivement. Seuls les établissements de très haut niveau ?" comme Centrale ou Polytechnique ?" restent résolument attachés aux prépas classiques, triées sur le volet.
Des volumes horaires qui sont en baisse
Entrer en école d'ingénieurs évoque, pour la plupart des élèves, un rythme soutenu, voire infernal, où l'on enchaîne les nombreuses heures de cours aux travaux personnels. En réalité, et contrairement à la complexité et l'évolution croissante des technologies, les cursus ont évolué en sens contraire. La plupart des écoles font état d'une baisse des cours magistraux et des ' présentiels ' au profit d'une pédagogie en mode projet. Raison de cette tendance ? Des amphis déserts, avec un absentéisme dans les cours classiques pouvant aller jusqu'à 80 % des effectifs.En quête de solutions, les équipes pédagogiques ont tenté de se rapprocher des comportements des jeunes. Des étudiants qui ne travaillent pas moins mais différemment. Avec, notamment, une forte difficulté de concentration sur une longue durée. ' Les volumes horaires classiques sont en diminution, suivant la directive de la CTI qui limite le nombre d'heures (425 heures maximum par semestre ?" NDLR). La consigne est claire : n'envahissez pas les emplois du temps des étudiants par du présentiel. Il leur faut davantage d'autonomie. C'est donc la pédagogie par projet qui domine désormais largement ', explique Pierre Aliphat de la Conférence des grandes écoles (CGE).
Le tronc commun, un passage obligé
Le tronc commun, c'est le fondement, la base du cursus d'ingénieur. Il contient l'ensemble des connaissances, concepts et notions essentiels que tout ingénieur doit maîtriser pour exercer son métier. ' Nous dispensons trois semestres identiques pour tous ', indique Philippe Depincé, directeur des études de l'école centrale à Nantes. Si le tronc commun est ici destiné aux ingénieurs généralistes, il sera plus spécifique aux technologies de l'information dans les écoles spécialisées, comme l'Epita par exemple : ' Le tronc commun constitue la moitié du cycle et dispense les fondamentaux : langages et systèmes, réseaux, bases de données. Lorsqu'on maîtrise ces piliers, le reste, c'est de la décoration ! ' raille son directeur, Joël Courtois. L'essentiel réside ainsi dans cette unification partielle : méthodologie, principes fondamentaux, c'est une grande partie du choix initial entre les écoles généralistes et spécialisées, privées et publiques. Et son analyse peut se faire sereinement : ces matières n'évoluent que très lentement et rarement. Normal : ' Le socle fondamental ne bouge pas, les grands théorèmes n'évoluent pas ', sourit Pierre Baylet, directeur du développement et de la prospective de l'Institut Telecom (ex-GET).C'est cependant bien au niveau des options, et donc de la deuxième partie du cursus d'ingénieur, que résident toutes les évolutions, voire les révolutions. La tendance est nette : fini les dominantes ou majeures hyperstructurées. Comme les technologies elles-mêmes, les options tendent à suivre le mouvement de la convergence des technologies. Electronique, informatique, réseaux, télécoms... aucune de ces disciplines ne se suffit désormais à elle-même. Il faut jouer la carte de la transversalité. ' Nous devons répondre aux désirs des élèves qui sont de plus en plus variés. Nous procédons ainsi au décloisonnement des disciplines, permettant aux jeunes de trouver les options qui correspondent à leurs goûts ', explique Jean-Pierre Jourdan, directeur adjoint de l'Isep. ' Nos programmes sont structurés par briques. Les élèves s'organisent en fonction de leurs centres d'intérêt et choisissent leurs options à la carte, comme au restaurant, confirme Pierre Baylet. A Paris, nous proposons ainsi 80 plats différents ! ' poursuit- il. Impossible donc d'enseigner la même chose à tout le monde. Une tendance générale qui rend les parcours à la fois plus complexes et plus souples.
Des entreprises s'invitent dans l'élaboration du contenu
Quelques technologies clés restent cependant incontournables : les technologies objet, le développement d'applications internet, la sécurité, la mobilité... Chaque année, cette liste est analysée par un comité pédagogique qui la met à jour. Une étude réalisée en général avec l'aide des entreprises partenaires. C'est bien là que se jouent les différences entre les écoles. ' Chaque année, nous demandons à nos partenaires de critiquer nos enseignements ', raconte Johann Koullepis, directeur régional de Supinfo Normandie. Objectif : mettre les parcours en adéquation avec les besoins des entreprises. Encore faut-il qu'elles aient une vision suffisamment large pour ne pas s'attacher à des modes passagères. ' Chez nos partenaires, nous choisissons des interlocuteurs qui ont du recul et une vision à moyen terme des technologies ', précise Pierre Baylet. Un exemple ? Le passage à l'an 2000 a généré une forte pression sur les écoles pour l'enseignement du Cobol. Une pression à laquelle la plupart des établissements ont résisté, faute d'avenir pour les futurs ingénieurs.
40 % d'enseignement ' non technique '
La tendance n'est certes pas nouvelle, mais elle progresse. ' On assiste à une très forte diminution de la technicité du métier contre une montée en puissance du management ', constate Joël Courtois, qui précise qu'' il est important de sortir du pur codage tout en maintenant une compétence technique '. Un savant dosage qui complique encore les choix des élèves tout en leur procurant l'ensemble des éléments qui leur permettront d'évoluer rapidement dans leur métier.Gestion, finances, économie, management, ressources humaines, création d'entreprise... la liste des enseignements dits ' non techniques ' s'allonge chaque année. Sur les trois dernières années du cycle d'ingénieur, ces enseignements peuvent constituer 40 % de l'ensemble du cursus. C'est dire si ces matières prennent une importance particulière.' Pour certains étudiants, le virage est difficile à gérer. Nous continuons à former des supertechnos, mais il faut aller plus loin dans les aspects liés au management ', indique encore Joël Courtois. Une fois qu'ils en comprennent l'intérêt, les élèves favorisent très largement les options liées à la finance. Marketing, gestion ou économie ont aussi leurs nombreux adeptes.Mais ce n'est pas tout : certains établissements ont mis en place des options relatives aux technologies et environnements d'un secteur d'activité. Ainsi, à l'école centrale de Nantes, les élèves ont la possibilité de découvrir l'ensemble des technologies liées au transports par exemple. Cela va du contrôle commande sur la régulation à la réservation des billets sur Amadeus ou à la logistique... Les parcours élaborés sont plus axés sur le métier des utilisateurs, une notion qui prend de plus en plus d'importante actuellement.
Des ingénieurs français de plus en plus globe-trotters
Côté langues, les futurs ingénieurs doivent impérativement en acquérir une première, une deuxième bien souvent, et les parfaire par des stages à l'étranger, et cela depuis plusieurs années déjà. Mais aujourd'hui, la part de l'international dans le cursus augmente sensiblement : les études à l'étranger deviennent un passage obligé dans un nombre croissant d'écoles. En moyenne, un semestre se déroule donc dans un établissement partenaire étranger. Europe, Chine, Inde, Brésil, Etats-Unis... l'ingénieur français se mondialise. ' L'université de technologie de Compiègne (UTC) a conclu des partenariats avec de nombreuses universités étrangères, confirme Abdelmadjid Bouabdallah, professeur et responsable de la branche génie informatique. Cela peut d'ailleurs être l'occasion pour les étudiants de préparer un double diplôme. 'Les raisons de cette forte évolution ne sont pas à attribuer à un phénomène de mode. ' Les ingénieurs sont appelés à manager des projets qui seront développés dans des pays de part le monde, avec des langues et des cultures différentes. Il nous faut donc former des chefs de projets internationaux. Par chance, pour l'instant, nos ingénieurs français restent en effet les pilotes de ces projets ', constate Pierre Aliphat. D'où l'importance stratégique de cet aspect de la formation initiale. C'est au prix d'une forte montée en compétences des aspects internationaux du métier que les entreprises françaises conserveront la maîtrise des grands projets.La prise de conscience de cet enjeu majeur, qui est relativement récente, se heurte aux réticences ' historiques ' des Français face aux langues étrangères. En revanche, les nombreux étudiants étrangers qui affluent dans les écoles hexagonales seront, pour leur part, tout à fait capables de rafler la mise !
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