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En test dans des collectivités territoriales depuis plus d'un an, cette procédure repose sur le volontariat des élus. La chaîne administrative, elle, n'est pas prête pour le zéro papier.
Hormis les diplômés en droit public, peu de Français connaissent le contrôle de légalité. De quoi s'agit-il ? L'article 72 de la Constitution fait obligation à l'ensemble des collectivités territoriales (les communes, les départements et régions, etc.) ainsi qu'à leurs établissements publics de transmettre toutes leurs décisions aux services du ministère de l'Intérieur pour la vérification de leur conformité à la loi.A titre indicatif, l'Hexagone compte près de 40 000 de ces collectivités. Et chacune d'elles émet, en moyenne, plusieurs centaines de délibérations au cours d'une l'année. A l'échelle nationale, cela représente environ huit millions de documents. Et si une décision tient parfois en quelques lignes, d'autres sont de taille beaucoup plus importante, et parfois accompagnées de nombreuses annexes. Chaque semaine, des flux continus et massifs de textes imprimés transitent entre les administrations territoriales et les 350 sites du ministère de l'Intérieur répartis dans le pays (préfectures, sous-préfectures, etc.).Le contexte semble a priori idéal pour mener une opération de dématérialisation. Les stratèges de la place Beauvau y songent depuis 2000. Mais c'est sur la méthode à adopter que l'on a eu à l'origine le plus de mal à s'accorder. Ainsi, dès 2002, le conseil général du Val d'Oise et la société Idealx planchent sur une solution logicielle à code ouvert. L'initiative aboutit à un prototype qui fonctionne. Mais un accord entre le ministère de l'Intérieur avec la Caisse des Dépôts coupe court à cette initiative locale en février 2003. Dans un premier temps, la Caisse des Dépôts assure donc cette prestation par l'intermédiaire de Fast, son service de messagerie sécurisée, élaboré par Thales, La Poste et le Crédit agricole. Depuis, des concurrents l'ont rejointe sur ce marché : SRCI, avec iXBus, et Omnikles, avec OK-Actes. D'autres devraient suivre au fur et à mesure que les collectivités miseront sur la dématérialisation.' Plutôt que de développer et de maintenir une application en interne, qui aurait été trop complexe à gérer sur le long terme, nous avons trouvé plus sage d'élaborer une norme d'échange à laquelle devraient se conformer des prestataires externes ', se souvient Jean-Yves Latournerie, qui fut jusqu'en 2005 le DSI du ministère de l'Intérieur. Aujourd'hui préfet de l'Ardèche, il se trouve dans la position de l'utilisateur d'une technologie qu'il a contribué à mettre en place dans l'exercice de ses précédentes fonctions. Ce projet baptisé Actes, pour Aide au contrôle de légalité dématérialisé, a été lancé au ministère de l'Intérieur, puis finalisé par une loi du 13 août 2004. Un décret daté du 7 avril 2005 a fixé les modalités de la télétransmission, et un arrêté du 26 octobre 2005 approuvé le cahier descharges de la transmission. Tandis qu'au printemps 2005, quatre départements (les Alpes-Maritimes, le Rhône, les Yvelines et le Val d'Oise) se portaient volontaires pour tenter l'expérience de la dématérialisation.Un an et demi après, où en est-on ? ' Au 31 octobre 2006, 35 préfectures étaient effectivement raccordées à l'application et plus de 26 000 actes ont été télétransmis ', confie François Chambon, directeur du projet Actes à la direction générale des collectivités locales du ministère de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire. Précision importante : les collectivités restent libres d'utiliser ou non la télétransmission, et décident seules de la nature des actes transmis par ce canal. Rien ne leur interdit de conserver l'envoi d'imprimés pour certaines décisions. ' Nous avons opté pour l'expédition des délibérations, qui sont au nombre de 1 500 par an, précise Claude-Eric Rio, DSI du Conseil général des Alpes-Maritimes. Après le deuxième semestre 2007, nous devrions élargir à l'ensemble des décisions du conseil, comme les arrêtés, par exemple. ' Pour la mise en place technique, un chef de projet a été désigné au sein de la direction informatique afin de tenir le rôle d'interface avec la direction Modernisation, finances et commandes publiques, qui pilotait ce chantier au sein de l'institution départementale. ' La limite de 20 mégaoctets pour l'envoi des documents n'est pas réellement contraignante. Mais, ajoute-t-il, avec l'extension du périmètre d'application, cette limite devra vraisemblablement être repoussée pour, par exemple, permettre la transmission de plans, ou encore de photos. ' En général, les prestataires ont offert à ces collectivités pionnières la première année de service afin qu'elles testent leur produit. L'année 2007 sera donc pour la plupart d'entre elles l'occasion de procéder au lancement de marchés publics en bonne et due forme et de conforter ou non le choix initial de leur fournisseur.
Des économies difficiles à quantifier
Au Conseil général du Rhône, le passage au contrôle de légalité dématérialisé ne fut pas vécu comme une révolution. ' Nous disposions depuis 2003 d'une application pour gérer les délibérations, confie Denis Imhoff, son directeur des systèmes d'information et télécommunications. L'outil permet de rédiger les rapports et de les faire circuler par voie électronique dans les différents services pour visa technique, puis de les transmettre au président pour qu'il les signe. Le contrôle de légalité n'était alors qu'un maillon supplémentaire dans la chaîne numérique. ' Le procédé devrait prochainement concerner l'ensemble des délibérations et des arrêtés pris par l'assemblée départementale. Au cours de la période expérimentale, les problèmes se sont essentiellement résumés à des défauts de réception des accusés de réception.Au Conseil général du Val d'Oise, pas de problème majeur non plus, mais une adaptation progressive aux systèmes existants : ' Il nous aura fallu presque un an de calage pour que nous puissions employer Fast sans accroc avec Gedelib, l'outil de gestion des délibérations que nous utilisons depuis 1994 ', rapporte Bruno Perrin, le DSI. Ce dernier traite désormais par voie électronique toutes les délibérations de l'assemblée. Ce qui représente environ 1 400 décisions dans l'année. ' Comme ce fut le cas avec la dématérialisation des marchés publics, on constate inévitablement quelques bogues, mais qui ont pu être corrigés lors de la phase de rodage ', admet Claude-Eric Rio. Avant de poursuivre : ' Le conseil général s'inscrit dans une démarche de modernisation et d'administration électronique. D'autant que cela va dans le sens de l'Histoire, il faut donc le faire. Cela devrait s'avérer profitable, notamment pour les communes de l'arrière-pays niçois, une région plutôt escarpée, ce qui ne facilite pas les déplacements des usagers. 'L'envoi électronique dispense de dépêcher quelqu'un en voiture pour déposer les plis à la préfecture ou à la sous-préfecture locale. Une économie d'énergie et de temps. François Chambon, au ministère de l'Intérieur, se garde bien d'avancer des chiffres pour quantifier les sommes ainsi épargnées : ' Tout dépend de la taille de la collectivité et du volume de ses décisions prises dans l'année ', déclare-t-il prudemment. Pourtant, un DSI d'une importante collectivité territoriale se rappelle avec malice : ' Un représentant de la Caisse des Dépôts m'a indiqué que le coût de sa solution représenterait seulement un tiers de ce que nous dépensions pour nos envois papier. Je lui ai proposé de venir faire une étude afin de lui permettre d'établir son tarif. Mais, curieusement, je n'ai pas eu connaissance du résultat de son audit... 'Paradoxalement, et contrairement aux discours volontaristes plaidant en faveur de l'administration électronique, le législateur n'encourage pas vraiment la dématérialisation. Ainsi, la ' rematérialisation ' de la version électronique est le plus souvent la norme. Car, pour qu'elle soit exécutoire, la loi exige que la décision soit affichée. Or l'affichage numérique, sur une borne électronique par exemple, n'est pas autorisé à ce jour. Il faut donc l'imprimer à nouveau pour pouvoir l'apposer sur un panneau. De même, nombre de délibérations servent de justificatifs. C'est le cas notamment pour le versement d'une subvention. Pour pouvoir être payé, il faut présenter un document imprimé. Enfin, pour l'heure, le ministère de l'Intérieur accepte les actes électroniques dépourvus de la signature des présidents de collectivités. Mais qu'adviendra-t-il lorsqu'il faudra faire signer à ces derniers des dizaines de décisions ?" c'est-à-dire aussi composer, pour chacun des actes, un code d'accès à partir du même ordinateur ?La plupart des élus demeurent de fervents partisans du parapheur, qu'ils peuvent emporter à leur guise. ' La dématérialisation correspond à une banalisation de l'usage des technologies de l'information, mais c'est certainement un processus qui prendra du temps, admet Jean-Yves Latournerie. Nous avons enregistré la première télétransmission du département en février dernier, à partir de La Voulte, une ville de 5 000 habitants. Nous misons sur une montée en puissance progressive pour atteindre environ 30 % des communes ardéchoises en 2008. ' Un objectif modeste qui pourrait être aisément dépassé si le bouche à oreille entre élus s'avère positif. ' Le bilan d'étape qui sera réalisé en juin 2007 devrait nous permettre de peaufiner le dispositif, indique François Chambon. Ce sera l'occasion de prendre en compte de nécessaires adaptations, comme, par exemple, l'augmentation de la taille des enveloppes des documents pouvant être télétransmis. '
Une facture modique, mais un enjeu politique
Et qu'en est-il des coûts de la procédure ? Dans une note du 28 septembre 2006, la direction de la réglementation de la préfecture de l'Ardèche se livre à une estimation au vu des tarifs communiqués par deux des trois opérateurs à ce jour homologués. Pour une commune de moins de 500 habitants, la dépense serait de 150 à 250 euros par an. Pour une commune de 500 à 1 500 habitants, la facture s'établirait entre 200 et 400 euros. Et elle culminerait entre 500 et 2 500 euros pour une ville comptant plus de 1 500 habitants.Le coût de la mesure ne constitue donc pas un frein. C'est plutôt l'intérêt mitigé des collectivités territoriales qu'il faut incriminer. Lorsqu'elles se trouvent à proximité géographique des services de la préfecture, elles ne bénéficient pas directement du gain de temps, et perçoivent souvent mal leur intérêt à opter pour la version numérisée du contrôle de légalité. Les réticents objectent que l'opération bénéficie avant tout aux équipes préfectorales, qui peuvent plus facilement exploiter des documents déjà numérisés et indexés. Et pourront, à terme, rassembler leurs effectifs sur un site centralisé, puisqu'il ne sera plus guère utile de maintenir des bureaux disséminés à travers le département. Et voici comment la question, a priori essentiellement technique, du contrôle de légalité par voie électronique fait son entrée dans le débat politique sur l'aménagement du territoire.