Le Guide de la curation (7) - Les perspectives

Après avoir évoqué les concepts, les pratiques, les outils et les usages, nous concluerons ce guide sur les perspectives de la curation.
Le sujet de la curation n’a pas fini de faire parler de lui. Entre les intéressés, les enthousiastes, les sceptiques, les agacés, les discours s’entrechoquent. Peut-on déjà parler d’un futur de la curation ? On évoquera ici la curation de curators, la qualification de curators, la curation de données, etc.
Parmi les pistes d’évolution de la curation, on mentionne souvent le web sémantique. Son objectif est de rendre le web intelligent, utilisable par des machines en rajoutant aux données des métadonnées qui leur donnent du sens. D’une certaine manière, le web sémantique poursuit le même but que la curation, aider à trouver l’information pertinente. Mais au lieu d’exploiter l’intelligence collective des réseaux sociaux, il utilise des donnés liées et des algorithmes. Deux démarches que l’on a tendance à opposer. Et pourtant…
Comme le souligne Nicolas Cynober, « le web sémantique se nourrit de contenus édités humainement et les données liées s’enrichissent par des éditions externes ». De la curation par anticipation ? Toujours est-il que les deux démarches ne sont pas incompatibles, et peuvent même se compléter.
Tous curators ? Entretien avec Dominique Cardon
Dominique Cardon, sociologue au laboratoire des usages chez Orange Labs, s’interroge sur les enjeux de la curation : « Tous éditeurs ? Les promesses incertaines de la « curation ». Selon lui, la curation est une nouvelle mode amenée notamment par les éditeurs d’outils. Ces derniers promettent à tout internaute de devenir curator, d’une part en exploitant la recherche sociale, et d’autre part en se réappropriant l’édition de l’information détenue jusqu’alors par les professionnels.
01netPro. La curation demande moins de temps et de compétences que la production de contenu, mais tous les internautes peuvent-ils pour autant devenir des curators ?
Dominique Cardon. Deux discours s’entrechoquent. Il y a, d’une part, la logique des éditeurs qui voudraient qu’il y ait une prolifération de l’information sur le web, nécessitant la mise en place de filtres pertinents. Ici, le curator est une profession qui va re-insuffler de la qualité dans le web. D’autre part, le discours qui vient du bas, celui des internautes qui refusent de s’en remettre à l’agenda des gardiens de l’information (les gatekeepers), qui veulent proposer leur propre hiérarchie de l’information. Et puis ces sites de curation qui font ce pari assez juste : tout le monde n’est pas blogueur, n’a pas les capacités à produire du contenu mais est en mesure d’effectuer une opération plus simple, sélectionner et éditer du contenu.
La curation s’appuie sur des pratiques de relais de liens via Twitter ou Facebook. Pour certains, elle se fait dans une posture de professionnel : les curators se signalent aux autres par la qualité des liens qu’ils partagent. Pour d’autres, il s'agit d'une démarche de singularité, une manière de porter des badges : je partage ceci, je suis donc comme cela.
Peut-on donc dire que des curators dont la démarche est professionnelle co-existeront avec d'autres dont l'approche est personnelle ? N’est-on pas en train de reproduire la dualité journaliste-blogueur ?
En quelque sorte, oui. En revanche, ce qui est nouveau, c’est que le choix du contenu est devenu un acte subjectif et collectif. L’utilisateur lambda a la possibilité de contribuer à l’édition du web. Cela peut avoir des conséquences sur la hiérarchie de l’information.
Selon vous, le concept de la curation est déjà démodé ?
Il n’existe pas. La pratique est déjà là et perdurera. C’est le vocabulaire qui est déjà démodé. Il faut lancer la mode pour vendre des familles de services. Mais une tension existe entre les professionnels qui veulent mettre la main sur l’organisation du web, et les utilisateurs.
Comment voyez-vous le futur de la curation ?
Que va-t-on faire de toute cette curation ? On pourrait imaginer un algorithme, une autorité qui filtrerait cette information de manière sociale. Il existe déjà des stratégies de communautés, comme dans Pearltrees, des communautés de curators. Avec de l’algorithmie, on pourrait retourner vers un Wikio de la curation.
Vous avez déclaré que le web sémantique avait échoué face au web social. Pourrait-on imaginer dans l’algorithmie un retour du web sémantique ?
Ce qui me gêne dans le web sémantique, c’est la sémantique pure. Il faut la combiner avec du social. Dans le futur, je vois un intérêt pour les métriques socio-sémantiques. La sémantique pourrait simplifier l’accès au contenu, mais en pondérant tout cela par du social.
Merci Dominique.
Qualifier les curators ? Entretien avec Vincent Barberot
Vincent Barberot (@networkvb), fondateur de Network Vincent Barberot, travaille sur un projet qui combine curation et web sémantique.
01netPro : Quel est l’objectif de votre projet « networkvb » ?
Vincent Barberot. Nous cherchons à relier les personnes et les données, dans une approche SIRH (Système d'information de gestion des ressources humaines) 3.0.
Pour ma curation, j’utilise Pearltrees. C’est un outil très visuel, plus parlant que des portails de type Netvibes. Mais, à part la collection de liens, je ne vois pas son intérêt en termes de logique métier. Le produit n’est pas fini, mais le système de perles permet de gérer ses informations selon sa propre logique. L’export des données au format RDF (Resource Description Framework) est une fonctionnalité intéressante : on peut les réutiliser pour créer un moteur de recherche sur Twitter, Linkedin ou sur Pearltrees lui-même. Car, avec toutes ces perles, au bout d’un moment on ne s’y retrouve plus.
Pearltrees ne possède-t-il pas déjà un moteur de recherche ?
Oui, mais il n’est pas vraiment efficace. Depuis plus d’un an, Pearltrees promet une API, mais on ne voit rien venir.
Comment utilisez-vous ces données RDF ?
Grâce à elles, j’automatise la recherche de tags sur les sites web 2.0, afin de contextualiser les profils, sur Linkedin par exemple. Dans une approche personal branding, il s’agit de qualifier une personne dans des domaines spécifiques.
Il existe déjà des systèmes de scoring tels que Klout ?
Je suis contre le scoring pur de Klout. Je préfère m'inscrire dans une démarche qualité, avec un nuage de tags sur les domaines d’expertises par exemple. A terme, « Networkb » sera un outil de productivité et de réactivité pour l’entreprise.
Merci Vincent.
Vers une curation des données

Jean-Luc Raymond, comme évoqué dans son interview, envisage lui aussi la sémantique pour améliorer la curation en amont. Mais, surtout, il met le doigt sur un domaine qui va exploser : la curation de données. Avec l’ouverture des données publiques, le besoin de les qualifier, de les compléter, de les configurer va se développer.
L’explosion du volume d'information est un des enjeux du futur. Comment filtrer, sélectionner, qualifier les données brutes, leur donner du sens ? Pour ce faire, il faudra les convertir sous une forme compréhensible par les humains. Une des pistes à suivre : les outils de visualisation de données tels que Google Data Explorer, de plus en plus accessibles.
La qualification des données reste un problème crucial et sans doute un marché à explorer. Typiquement, la start up Crowdflower aide les entreprises à qualifier leurs données en distribuant la tâche à une armée de sous-traitants individuels. Une forme de curation de données à grande échelle en somme.
Notre Guide de la curation se conclut ici. Il reste encore de nombreuses pistes à explorer : quels modèles économiques derrière tout cela ? Quel futurs pour les médias ? Si ces sujets ou d'autres vous interpellent, n'hésitez pas à nous transmettre vos commentaires.
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