La discussion de la loi sur le droit d'auteur fut une nouvelle occasion de fustiger le mythe de la gratuité des ?"uvres de l'esprit. Pourtant, l'initiative ne vient ni des internautes copieurs ni des barbus du logiciel libre. La diffusion radiotélévisée, l'internet et ses services, sans parler des quotidiens gratuits... Tout indique que la gratuité est au c?"ur des nouveaux modèles économiques. Même Universal Music y croit.Bien sûr, tout cela doit être payé, souvent par la publicité, l'objet de commerce étant le public vendu aux annonceurs, comme l'expliquait crûment Patrick Le Lay. Le logiciel libre aussi a un prix, que paient les développeurs en y trouvant leur compte par la mutualisation des efforts et le partage des résultats, ou par d'autres retours. Le ' développeur ' n'est pas nécessairement celui qui écrit le code, mais celui ?" personne physique ou morale ?" qui consacre des ressources pour que ce code soit écrit.
La gratuité fictive
Mais le fin du fin, c'est la gratuité fictive, apparente pour le client et rémunératrice pour le producteur. Ainsi, à l'époque du système DOS, Microsoft pratiquait le ' per processor pricing '. Lequel consistait à accorder d'importantes réductions, à condition que les constructeurs de PC le paient au nombre de processeurs vendus, avec ou sans DOS. Dans la facture du client, le concurrent DR-DOS apparaissait comme payant, et MS-DOS comme gratuit, avec les conséquences que l'on imagine. Certaines licences de sites pérennisent d'ailleurs ce modèle, mis en cause dans le procès DR-DOS de Caldera.La version moderne de cette pratique anticoncurrentielle est la vente, liée au matériel, de logiciel au prix caché et en pratique non remboursable. Une bonne application de la méthode TVA, impôt indolore, car invisible. Le coût caché de l'OS est une sorte de taxe privée sur les PC, qui rapporte en France quelque 400 à 500 millions d'euros annuels à l'éditeur (très discret sur ce montant).Evidemment, cela ne répand guère l'idée que le logiciel pourrait se payer ou que le droit d'auteur se respecte ?" effet que renforce une tolérance désastreuse : le piratage. Certes, personne ne l'encourage officiellement. Mais, en dépit de ses rodomontades et, surtout, de statistiques pour 2005 affirmant que 45 % des logiciels en entreprise sont piratés ?" chiffre énorme, puisque Windows est quasiment en vente forcée ?", Microsoft semble plutôt porté au laisser-faire. Notamment concernant MS-Office, dont une statistique indiquait 79 % de piratage chez les étudiants. La concurrence du logiciel libre OpenOffice.org est rude, comme est dure la loi économique. Il faut donc bien tolérer un segment de marché gratuit, mais inavoué. Même au prix d'une quasi-légitimation sociale du piratage.L'activisme protectionniste de Microsoft
Avec la baisse continue du prix du matériel ?" virtualisation des mainframes ou PC à 200 ou 300 euros, soit le prix moyen de MS-Office (de 170 à 700 euros) ?", le coût du logiciel devient dominant, et donc visible comme du fil blanc. L'inévitable poursuite de la baisse des coûts passe par plus de concurrence sur ce qui peut encore baisser : le logiciel. Ce que Microsoft veut éviter, et que propose le logiciel libre. D'où l'activisme de l'éditeur en faveur des brevets logiciels et des systèmes de protection des contenus sans droit à l'interopérabilité, et contre le référentiel général d'interopérabilité (RGI), auquel il veut faire adjoindre un prétendu standard de 6 039 pages. D'où aussi des pratiques anticoncurrentielles de contrôle des PC : PC tatoués n'acceptant que Windows, standard Flexgo et ' trusted computing ' qui font obéir le PC au fournisseur plutôt qu'à son propriétaire, au prix de moindres performances sur Vista.Mais, comme le constatent les distributeurs de musique, les mesures protectionnistes ne font qu'irriter les usagers, et ne peuvent remplacer l'adoption de modèles économiques plus adaptés à l'évolution des techniques et aux besoins du marché. La rupture technologique a, durant vingt-cinq ans, fait la fortune de Microsoft. Cette rupture se poursuit, et ceux qui s'arrêtent sont condamnés.* directeur de recherche à l'Inria et vice-président de l'Aful. Chercheur de l'Inria, il a contribué au débat européen sur les brevets logiciels. Il a pris part aussi à l'âpre discussion autour de la loi sur le droit dauteur.
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