Le moteur caché de la croissance
Robert Solow, prix Nobel d'économie en 1987, a démontré que le progrès technique stimule la croissance économique. Cependant, notait-il avec surprise, l'informatisation ne semble guère corrélée avec la richesse nationale :
' Je vois des ordinateurs partout, disait-il, sauf dans nos indicateurs de croissance ! ' Pierre dans le jardin des économètres, ce paradoxe alimenta le doute sur l'utilité de
l'informatique après l'implosion, en 2001, de la ' nouvelle économie '. Le constat de Solow reste-il d'actualité ? Si oui, ce qui suit aidera peut-être les DSI à justifier leurs
investissements.Agglomérant à l'échelle nationale les résultats des entreprises et administrations, le produit intérieur brut (PIB) estime la production cumulée de toute l'économie. Seule la valeur monétaire portée dans les comptes des entreprises et
les budgets des administrations est fournie aux comptables nationaux. Ceux-ci construisent ensuite un indicateur du volume de la production du pays, à partir de la valeur monétaire des produits et services échangés sur le territoire et d'hypothèses
sur le volume que représente cette production par rapport à la valeur de chaque produit.Le calcul du PIB et de ses variations (croissance s'il augmente, récession s'il diminue) a toujours été délicat car il additionne poires et navets. De nos jours, c'est un casse-tête : à cause de l'importance des prestations de
services (telle l'infogérance, au ' volume ' bien difficile à définir) ; et en raison de l'extraordinaire progrès technique, qui périme les produits à vive allure, notamment dans l'informatique, où
les prix s'effondrent à performances constantes, tandis que les performances explosent à prix comparables.Le paradoxe de Solow sonnait comme un défi aux comptables locaux d'adapter leurs décomptes aux réalités. La comptabilité nationale a été établie pour une économie fermée, manufacturière, où la production se mesurait au nombre de
pièces fabriquées en usine, à la tonne de charbon extraite et au quintal de blé récolté par hectare. Or, notre espace économique est devenu transnational. Les deux tiers des échanges concernent des services et le commerce a dépassé la production
manufacturière. A-t-on pour autant modifié le calcul de notre PIB ? Très peu. Que représente-t-il bien ? La quote-part industrielle de nos activités, qui se réduit pourtant comme peau de chagrin.Solow a poussé à moderniser ces calculs. Les statistiques américaines ont, les premières, réévalué l'investissement logiciel. Ainsi, depuis 1995, la contribution des technologies de l'information à la croissance apparaît deux fois
plus forte aux Etats-Unis qu'en France ou en Allemagne, fidèles à la mesure classique.Le paradoxe n'était pas un simple effet d'optique. Les comptables sont partout à l'?"uvre : dans les entreprises, pour évaluer les ' invisibles ' et les investissements en
information et en communication ; dans les instituts de statistique, comme l'Insee, où l'on s'efforce de prouver que les calculs antérieurs n'étaient pas tout à fait faux, même s'ils n'étaient pas entièrement justes ! Que les DSI se
rassurent, le monde a encore besoin d'eux pour résoudre lénigme du sphinx Solow.