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La stratégie IIN (Intelligent Information Network) de Cisco vise à rapprocher applications et réseaux. Le but : satisfaire en temps réel les besoins de communication des applications.
Pour qui possède un marteau, tout prend la forme d'un clou. Cisco a bâti sa fortune dans les réseaux, il en fait donc le c?"ur du système d'information. C'est le sens de sa stratégie IIN (Intelligent Information Network). Les
équipements réseaux situés près des serveurs héritent de nouvelles missions : déchiffrer les messages échangés entre les applications et, en fonction de leur contenu, exécuter des traitements applicatifs de bas niveau. Ce peut être le cryptage
de données sensibles ou l'envoi d'alertes lorsqu'un seuil est dépassé. Le réseau allège ainsi la tâche des serveurs. A la manière des cartes accélératrices SSL, que l'on trouve dans des équilibreurs de charge en frontal des serveurs de commerce
électronique.
Une tendance forte du secteur
Passé par la puissante moulinette marketing de Cisco, IIN est devenu un brillant concept. Mais il n'est pas que cela. La montée des acteurs du réseau dans les couches du modèle OSI vers les applications est une tendance du secteur.
D'autres constructeurs, comme Juniper ou Nortel, ont entamé la même démarche. Mais ils ne vont pas aussi loin dans le couplage entre le réseau et les applications. Certains intégrateurs, tels IBM avec On Demand, HP avec Adaptive Entreprise, ou EDS
et son programme Agility, introduisent aussi le temps réel dans leurs infrastructures. La différence est que Cisco place la solution non pas au niveau des serveurs, mais dans les routeurs et les commutateurs. Le réseau est le mieux placé, car il
constitue le trait d'union entre toutes les briques du système d'information, avance-t-on chez le constructeur. Le réseau façon Cisco se présente comme une couche intermédiaire entre les processus métier et la
' tuyauterie '. Il s'appuie sur l'architecture Sona (Service-Oriented Network Application) et des mécanismes comme AON (Application-Oriented Networking).Pour que le réseau se calque sur les applications, il doit effectuer en temps réel les traitements requis par les messages applicatifs. Jadis, cette nécessité n'existait pas. Les serveurs ne communiquaient qu'avec les terminaux, et
chaque réseau ne véhiculait qu'un type de flux. Avec les services web, les communications entre applications se sont multipliées, et tous les trafics empruntent une infrastructure commune, fondée sur IP. Il y a une quinzaine d'années, on dénombrait
une multitude de protocoles : Decnet, SNA, IPX, IP. Ce dernier a mis tout le monde d'accord. Malheureusement, le monde applicatif n'a pas adopté un langage commun. En attendant, il faut assurer la communication entre les applications. C'est là
qu'intervient AON (Application Oriented Network).
Des cartes qui lisent le contenu des paquets
Dans les grandes lignes, ce mécanisme assure le routage des messages interapplicatifs. Pour les interpréter, les cartes AON doivent les déchiffrer. Pour cela, le réseau se hisse au niveau 7. Jusque-là rien d'extraordinaire. Des
équilibreurs de charge, des boîtiers d'accélération de trafic vont jusqu'au niveau applicatif (niveau 7) pour affiner leur analyse des paquets. Mais ils ne déchiffrent pas entièrement le contenu des messages. C'est là que Cisco fait la différence.
On passe du routage traditionnel de paquets IP (niveau 3) à celui de routage de messages (niveau 7). Concrètement, AON prend la forme de cartes insérées dans deux types d'équipements : le routeur multifonction ISR (Integrated Service Router) et
le commutateur Catalyst 6500. Le premier se place généralement sur les sites distants, et le second en c?"ur de réseau ?" par exemple, en frontal des centres informatiques. Un boîtier AON spécifique (appliance) verra le jour en 2006 pour
ceux qui ne possèdent aucun de ces deux équipements.L'ensemble du trafic passe donc par les cartes AON. L'objectif n'est pas de déchiffrer tous les messages, mais de se concentrer sur certaines applications, jugées critiques. Par exemple, une banque décide que les ordres d'achat ou de
vente de titres excédant un certain montant doivent d'abord être approuvés par le chef de service. Lorsqu'un courtier dépasse ce seuil, son ordre n'est pas dirigé vers le serveur des transactions ; il est aiguillé, par la carte AON, vers un
serveur d'autorisation. De telles protections existent déjà, mais elles sont prises en charge par les serveurs eux-mêmes. Le serveur des transactions aurait redirigé l'ordre vers le serveur d'autorisation. Avec AON, c'est une carte dans le routeur,
placé au plus près de l'agent, qui applique la règle. Ce dispositif évite une traversée inutile du réseau vers le serveur des transactions et libère ce dernier des tâches de vérification. Autre exemple, dans l'entrepôt d'un magasin d'alimentation,
chaque lot de boîtes de conserve est scanné par un lecteur de code à barres. Lorsqu'un millier de boîtes d'une catégorie de conserves est sorti, il faut lancer un ordre de réapprovisionnement auprès du fournisseur. En fonctionnement classique, à
chaque sortie de boîte, un message est envoyé vers le serveur de gestion des stocks. Avec AON, la carte placée dans le routeur relié au réseau local de l'entrepôt comptabilise les sorties de conserves. Lorsque le seuil est atteint, elle donne
l'alerte. Un seul message est envoyé, au lieu de centaines. Les cartes AON doivent être programmées pour ces tâches. Cisco propose une bibliothèque de fonctions de base, que l'on peut enrichir par des développements spécifiques. Mais il n'entre pas
dans la vocation de Cisco de travailler à la traduction des messages entre toutes les applications.
Cinq ans pour convaincre
Fidèle à la politique de création d'écosystèmes, le constructeur a noué des partenariats avec des spécialistes du secteur comme IBM et Tibco. Cisco intègre leurs brokers dans ses cartes AON. Pour compléter le dispositif, il a
également accueilli dans son écosystème deux poids lourds du secteur des progiciels : SAP et Oracle. Mais il faudra élargir la famille. La bataille d'IIN n'est pas gagnée d'avance. Les éditeurs d'applications ont leur mot à dire. De grandes
sociétés de services comme IBM, EDS ou HP risquent de trouver que Cisco empiète sur leurs plates-bandes. De plus, l'ascension de Cisco vers les couches hautes du modèle OSI renforce son emprise sur le système d'information des entreprises. Il
dominait les marchés traditionnels du routage IP et de la commutation Ethernet. Mais attaqué par des concurrents comme Juniper, HP Procurve ou Foundry, le constructeur doit trouver d'autres marchés s'il veut poursuivre sa croissance. Le voici qui
arrive dans les applications. Une telle ambition peut faire peur ou séduire. ' C'est le genre de discours que les actionnaires aiment entendre. Il démontre une vision stratégique à long terme ', note
Jeremiah Caron, analyste chez Current Analysis. Cisco se donne trois à cinq ans pour convaincre. Ca passe ou ça casse. Mais si ça passe...jp.soules@01informatique.presse.fr
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