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Depuis vingt-cinq ans, la convention Cifre scelle le partenariat entre un doctorant, un laboratoire de recherche académique et une entreprise pour une durée de trois ans.
' Thésard : n. m. Eternel étudiant incapable de respecter les jalons d'un projet. ' Les clichés ne manquent pas dans les entreprises pour qualifier ces jeunes chercheurs. Ces
derniers en ont tout autant à l'encontre du monde de l'entreprise dont ' les exigences économiques entravent leur créativité '. Depuis vingt-cinq ans, l'Association nationale de la recherche technique
(ANRT) s'attelle à dépasser cette incompréhension mutuelle grâce à la Convention industrielle de formation par la recherche (Cifre). Elle incite les thésards à s'intéresser à la recherche industrielle, et les entreprises à leur ouvrir leurs portes
en les impliquant dans un projet. Un contrat tripartite entre le doctorant, son laboratoire académique de rattachement et l'entreprise, formalise cette collaboration. Pour le seul secteur de l'informatique et des télécoms, 1 900 étudiants
thésards (soit un peu moins de dix par an) ont ainsi démarré leurs carrières en entreprise.Embaucher un thésard c'est avant tout miser sur des compétences scientifiques et technologiques de haut niveau. Un argument essentiel chez France Télécom ou Bull, par exemple. L'opérateur historique emploie ces étudiants
principalement pour travailler sur les sciences de l'interface et de la connaissance, l'infrastructure et les réseaux, mais aussi sur les usages et les mathématiques appliquées. Bull, quant à lui, focalise ses recherches sur le calcul intensif et
les mathématiques financières. Des connaissances d'autant plus appréciables qu'elles ne coûtent pas cher. Le contrat de l'ANRT impose une rémunération annuelle du thésard d'environ 20 000 euros annuels bruts. Sans spolier le doctorant, ce
salaire ne grève pas le budget de l'entreprise, car cette dernière perçoit une subvention de 14 635 euros. Une incitation destinée notamment aux entreprises qui n'ont pas les moyens de recruter de jeunes chercheurs. A l'occasion de la journée
anniversaire de la convention Cifre, le représentant d'un éditeur strasbourgeois de 50 personnes a témoigné : ' Depuis trois ans, chaque année, nous embauchons un Cifre, car nous avons rentabilisé le recrutement du
premier en un an. Ce dernier nous a apporté une culture de veille technologique et de recherche, qui a complètement changé notre stratégie, aujourd'hui davantage tournée vers l'innovation. '
Une prise de recul salutaire pour l'entreprise
Au-delà de l'apport de compétences de haut niveau, l'entreprise améliore son potentiel d'innovation. Souvent engluée dans son quotidien, le Cifre l'aide à prendre de la distance. Ainsi, en 2004, Souheil Zina, jeune étudiant chercheur
a poussé Lascom, éditeur français de PLM (Product Lifecycle Management), à s'interroger sur des éléments de base de ses logiciels mis de côté (l'optimisation des arborescences, les architectures spécifiques de la gestion de données technique).
' Notre effectif de 90 personnes nous empêchait de dégager du temps pour réfléchir, et prendre du recul ', confirme Dominique Piolle, directeur marketing de Lascom. Cette collaboration a même abouti à
la création d'une cellule de recherche chez l'éditeur. Un effet Cifre plus fréquent qu'on ne pense dans les petites et moyennes structures. Pour la toute jeune société Wavestorm, née en 2004, et spécialisée dans les objets communicants, la démarche
s'est imposée comme une évidence. ' Nous ne nous contenterons pas de devenir un petit intégrateur, explique Alexandre Casassovici, président et fondateur. Nous voulons prendre de l'avance sur le marché.
Nous devons pour cela travailler sur des prospectives de recherche, trouver des solutions, créer de la propriété intellectuelle... ' Pour Bernard Robinet, directeur de l'Ecole doctorale d'informatique, télécommunications
et électronique (Edite) de Paris, ' aider les petites entreprises avec de la recherche directe ou indirecte reflète bien l'esprit des Cifre. Les start up de notre propre incubateur recrutent ainsi régulièrement nos
thésards. '
Une ouverture plus grande sur le monde scientifique
En contrepartie, le Cifre représente aussi un engagement pour l'entreprise. Celle-ci encadre le stagiaire dans sa recherche en le confiant à un maître de stage motivé, et accepte de partager l'étudiant avec le laboratoire académique.
Elle doit aussi comprendre que l'objectif du jeune chercheur est de soutenir sa thèse.Certains grands comptes adhèrent totalement au concept. Jusqu'en 2005, France Télécom recrutait peu de Cifre. Mais en 2006, ils constituaient déjà le quart de ses effectifs de doctorants. Et l'opérateur devrait bientôt passer à
100 %. ' Notre démarche s'inscrit dans une meilleure prise en compte des doctorants dans l'entreprise, explique Gérard Eude, directeur délégué de la recherche France Télécom. Nous avons toujours
traité le volet scientifique des thésards, mais nous allons désormais nous attacher aussi à leur employabilité. ' Rien dans la convention n'oblige une société à embaucher le Cifre en fin de contrat. France Télécom recrute
environ 30 % de ses thésards. Pour autant, les trois quarts restants ne sont pas abandonnés : ' Nous nous assurons qu'ils trouvent le chemin de l'emploi. Nous nous rapprochons, par exemple, de l'association Bernard
Gregory dont le rôle consiste à s'occuper des doctorants. 'Autre avantage : le Cifre ouvre grand les portes de la recherche académique à une entreprise. Son département R&D voit souvent ses rapports avec les laboratoires se détendre avec le temps. Ainsi, les relations historiques
régulières entre le Centre de recherche en automatique de Nancy et Lascom se sont étendues depuis l'arrivée de Souheil Zina. De nouveaux liens sont tissés également avec l'université de Bordeaux et l'université de technologie de Troyes.
' Bâtir une communauté devient essentiel pour la pratique de la recherche, analyse Claude Camozzi, vice-président stratégie des plates-formes du groupe Bull. Notre société n'a pas toujours les moyens
d'ouvrir un cercle de recherche suffisamment étendu. Les Cifre sont un des outils pour y contribuer. Ils constituent même de vrais postes avancés dans les universités. '
Le contrat tient compte de la propriété intellectuelle
Le doctorant représente aussi une voie d'accès aux moyens techniques et scientifiques de l'université ou de l'école d'ingénieur. Ainsi Wavestorm vient de recruter Salma Ktari en vue d'étudier l'optimisation des architectures de
système peer to peer. Celle-ci s'appuie sur les compétences et les outils de Télécom Paris qui l'encadre.Côté administratif, le Cifre est formalisé autour d'un engagement de partenariat entre l'entreprise, le jeune chercheur et le laboratoire de recherche, scellé par un contrat écrit, clair et sans ambiguïté. Ce dernier décrit le projet,
mais aussi le temps passé par le stagiaire dans le laboratoire et dans l'entreprise, son salaire, etc. Il précise souvent les détails de la propriété intellectuelle du projet.Catherine Bec, responsable du service Cifre à l'ANRT se souvient qu'à son arrivée en 1985, elle n'exigeait pas de tels engagements écrits. ' Nous avons très vite changé pour que le Cifre ne devienne pas une
source de litiges. Même si l'ANRT ne se prononce pas sur le contenu, le contrat représente une garantie de bon déroulement. ' Il peut parer aux incompréhensions entre les cultures radicalement différentes de la recherche et
de l'entreprise. Catherine Bec raconte ainsi l'histoire de cette petite société lyonnaise obligée de changer de laboratoire partenaire, qui s'était, en toute naïveté, engagé dans un projet équivalent avec le concurrent direct de
l'entreprise...e.delsol@01informatique.presse.fr
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