Le troisième millénaire sera humaniste, raisonnable et agile
Jérôme Barrand, professeur et responsable de l'Institut d'agilité des organisations, et Véronique Messager, consultante et coach en agilité
Et si la crise nous offrait l'opportunité de changer les règles du jeu. Certains plaident ardemment pour un nouveau capitalisme moins financier. Nous plaidons pour un autre management, dans le même esprit, emprunt de création de valeur par et pour les hommes. Face à cette crise, deux attitudes s'offrent à chacun d'entre nous. La première est de préserver son homéostasie interne de façon à s'opposer aux changements nécessaires et à maintenir un équilibre apparent. Réduisons les budgets de formation, et l'innovation ainsi que l'initiative individuelle n'en seront que freinées. Supprimons les déplacements professionnels, et nous éviterons aux différents acteurs d'un projet d'échanger efficacement en face-à-face. Opacifions les informations, et nous alimenterons les rumeurs, etc. La deuxième attitude face à la crise est bien plus proactive, elle s'appelle “ l'agilité ”. Elle consiste à voir en cette crise une occasion unique de redonner du sens et changer son mode de fonctionnement pour introduire plus d'humanité et d'éthique dans l'entreprise.
Transformer la culture des entreprises
Deux grands mouvements se sont créés pour développer l'agilité. Le premier, dans la sphère du management. Il vise à transformer la culture des entreprises en lui faisant adopter un “ management agile ”. Les trois clés de ce mouvement sont appliquées à la stratégie, à l'organisation, au management et aux comportements individuels et collectifs. La première clé concerne l'anticipation des ruptures et l'anticipation des conséquences. L'approche correspond à un processus systémique et à la nécessité de développer une certaine “ empathie collective ”, soit une capacité à agir en priorisant la performance du système (interne et externe) et non ses propres succès. C'est une logique d'optimum global qui vient en substitution d'une logique de maximum local. La deuxième clé touche à la proopération interne et externe à l'entreprise. Plus que la coopération qui vise la synchronisation et le partage équitable des tâches des acteurs entre eux, la proopération signifie l'approfondissement de nouvelles relations entre acteurs, basées sur la confiance, la transparence et la réciprocité. Il n'y a plus de fournisseurs, il n'y a plus que des clients en quête de la satisfaction de l'autre. La troisième clé est la “ justinnovation ”. Elle vise à n'innover que quand cela est nécessaire, sur un périmètre réduit au minimum, en tenant compte de tous les impacts de son innovation sur la consommation, l'éthique et l'environnement.
Un “ manifeste agile ”
Le second mouvement qui participe au développement de l'agilité est apparu dans la sphère du développement logiciel. Il s'appuie sur un “ manifeste agile ” reposant sur quatre valeurs dont la première concerne les échanges entre les personnes, qui priment sur les processus et les outils. Car ce sont bien les personnes qui créent de la valeur et qui font le succès ou l'échec des projets. La deuxième valeur porte sur des produits ou des solutions fonctionnels, opérationnels et utiles, créateurs de valeur. Ils doivent primer sur toutes les documentations ou toute communication plus ou moins pernicieuse ou manipulatrice. La troisième valeur implique le client dans le développement de nouvelles solutions. Elle est fondée sur une relation de confiance, et prime sur le droit des contrats opposables. Enfin, la quatrième valeur consiste à accepter le changement, non pas comme une nouvelle contrainte, mais comme seul espace de liberté, hors du carcan des plans rigides, permettant d'enrichir le travail de chacun.
L'apparition de nouveaux métiers
Ces deux mouvements convergent sans nul doute. Dans cette convergence apparaissent de nouvelles pratiques et fonctions : “ accompagnateur de la transformation managériale ”, chef de projet agile, diagnostic de l'agilité des organisations, coaching agile personnalisé centré sur les personnes dans l'action… Accepter cette approche aide à voir le monde sous un autre angle et d'affirmer de nouvelles valeurs humanistes. Dans l'esprit de Malraux qui disait que “ le troisième millénaire serait spirituel ou ne serait pas ” : le troisième millénaire entrepreneurial sera humaniste et raisonnable, donc agile, ou ne sera pas !
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