' Les brevets américains sont-ils un frein à l'innovation ? '
Le système américain des brevets est unique, dans la mesure où la protection de la propriété intellectuelle est inscrite dans la constitution, grâce à la clair-voyance de nos pères fondateurs. C'est probablement l'une des raisons de la créativité des Etats-Unis.Un article de la constitution américaine accorde au Congrès le pouvoir de ' promouvoir les progrès de la science et des arts utiles, en assurant, pour un temps limité, aux auteurs et inventeurs les droits exclusifs sur leurs écrits ou inventions respectifs ' (article 1, section 8). Le système américain des brevets s'appuie sur cette disposition pour garantir à quelqu'un qui a une bonne idée, l'applique à un produit, puis dépose et obtient un brevet, de disposer des droits sur cette invention et sur ses retombées commerciales durant une période définie par la loi. Cette démarche stimule les progrès de la science et de la technologie de deux façons. D'une part, la perspective de gains commerciaux liés à une invention encourage les inventeurs à avoir davantage d'idées innovantes et à les implémenter dans des produits. De l'autre, la publication par l'Etat des descriptions de brevets (soumis lors du dépôt) permet à l'ensemble de la communauté de voir l'état de l'art à l'avant-garde de différents domaines, et autorise d'autres inventeurs à construire sur la base de ces innovations. Etant entendu que si celles-ci sont encore protégées, ils doivent s'acquitter des droits de licences auprès de l'inventeur.En fait, ce système précurseur tente d'organiser le partage et l'utilisation des idées de façon à stimuler l'innovation. Il nous a bien servi depuis longtemps, et semble correctement conçu pour servir longtemps encore. Les problèmes, qui pourraient survenir, proviendront non pas des limites des principes fondateurs, mais bien de personnes ayant oublié, sinon la lettre, du moins l'esprit desdits principes.A l'origine, le système prévoyait implicitement que toute personne déposant une demande de brevet avait une idée, et avait réalisé un produit, ou, du moins, un prototype basé sur cette idée. La demande de brevet devait décrire comment construire un produit à partir de cette idée, de manière si complète que toute autre personne aurait pu s'en servir comme plan pour la réalisation d'un produit. Ce type de brevet est donc par nature défensif. Quoiqu'il en soit, le temps passant, on a perdu de vue les intentions originales du système, et la notion de brevet a été pervertie. On a commencé à penser que l'on pouvait avoir une idée et la breveter sans jamais avoir à construire un produit la mettant en ?"uvre. Ces brevets sont appelés brevets de papier et sont particulièrement répandus dans le secteur du logiciel. Incomplets, les brevets de papier ne peuvent être appliqués à un produit parce que leurs inventeurs n'en ont jamais réalisé. Ils sont dangereux parce que généralement décrits de manière trop vague. L'objectif est de lancer le filet aussi loin que possible dans l'espoir d'obtenir des redevances du plus grand nombre de personnes, qui, elles, construisent réellement des produits. Les brevets de ce type ne représentent aucune avancée des idées, pas plus qu'ils ne contribuent au développement de la technologie. En fait, ils en empêchent le développement réel. Dans leur essence, il s'agit de mécanismes offensifs, utilisés par des personnes espérant que la justice les aidera à extorquer de l'argent à de véritables inventeurs.Les tribunaux américains peuvent théoriquement invalider des brevets sur des idées non traduites sous la forme de produits ou de prototypes. Mais les brevets sont rarement invalidés, sans doute parce que le coût d'invalidation d'un brevet avoisine le million de dollars. Ainsi, le moyen le plus évident de limiter la menace des brevets de papier est aussi le plus difficile. Une autre solution serait que la loi exige des demandeurs qu'ils apportent la preuve que leurs idées sont complètes, et ont été réellement mises en ?"uvre dans un produit. Par exemple, pour un brevet logiciel, la loi pourrait exiger la production du code source, qui lui-même pourrait à son tour être protégé par l'office des brevets, si l'inventeur ne souhaite pas sa divulgation auprès du public. Je crois que cette modification, ou d'autres de même portée, permettrait une forte réduction des brevets de papier, et par là même l'avancement de la technologie. Comme d'habitude aux Etats-Unis, ce système dynamique s'équilibrera et se corrigera avec le temps.Si l'Europe envisage l'adoption d'un système à l'américaine, je suggère avec force que ce système tienne compte de ce genre de modifications. Toute idée brevetée devrait être implémentée dans un produit, ou au moins dans un prototype, qui démontrerait ses fonctionnalités et sa complétude.Après tout, les titulaires de ces brevets n'ont habituellement ni l'argent ni le désir ni même la capacité d'implémenter leurs idées, qui, le plus souvent, sont évidentes et générales. C'est en refusant de breveter ces idées que lon ferait avancer la technologie, et non en les approuvant.
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