Les ingénieurs français d'Alcatel-Lucent n'ont pas le moral. Et ce ne sont pas les nouvelles en provenance de France Télécom qui vont les rassurer. Aujourd'hui, les ingénieurs des deux champions nationaux des télécoms
font grise mine. Sur les 1468 suppressions de postes en France confirmés hier, jeudi 24 mai, par la direction d'Alcatel-Lucent, un peu plus de la moitié concerne des activités de recherche et développement.Le secteur le plus touché est l'activité liée aux produits de ' convergence ' (500 personnes essentiellement des ingénieurs). Il s'agit des briques matérielles et logicielles qui permettent de construire une
infrastructure mariant les réseaux classiques (2G, téléphonie fixe, etc.) et les réseaux IP.' C'est un secteur très porteur qui se trouve dans une phase de transition entre technologies anciennes et technologies tout IP, mais où Alcatel subit une forte concurrence chinoise, explique Hervé
Lassalle, délégué syndical CFDT au sein d'Alcatel Lucent France SA. Nous n'avons pas encore toutes les données mais il est déjà clair que les effectifs évoluent nettement en défaveur des pays de l'Europe de l'Ouest et
de l'Amérique du Nord et en faveur des pays dits à bas coût comme la Chine et l'Inde. '
Préserver l'activité en France
La direction se défend pourtant de vouloir délocaliser sa R&D vers les pays à bas coût. Elle explique qu'il lui faut mettre en ?"uvre des centres locaux pour effectuer des développements spécifiques qui répondent aux
besoins des nouveaux marchés. Comme le budget total consacré à la R&D a tendance à stagner, cette stratégie impose une redistribution des investissements alloués à chaque pays...Les ingénieurs d'Alcatel Lucent luttent pour préserver leur activité en France. Après les premières négociations, la direction est ainsi revenue sur sa décision d'arrêter les projets de développement de télévision sur
mobile menés au sein du pôle de compétitivité ' Images et réseaux ' en Bretagne. Environ 70 postes vont ainsi être préservés.La direction a par ailleurs annoncé hier la création de 188 postes sur des secteurs en croissance pour lesquels les personnes dont le poste est supprimé pourront postuler. Ces créations concernent notamment les activités de R&D
liées à l'optique, un domaine dans lequel Alcatel est très bien placé.La direction prévoit aussi la création de postes dans le domaine du WiMAX (Internet sans fil longue distance). Les négociations se poursuivent car les syndicats considèrent que le nombre de créations est largement insuffisant en regard
des suppressions. Les syndicats craignent beaucoup pour les sites de province, notamment ceux de la région Ouest (à Rennes, Orvault et Lannion) où des débrayages massifs (plus de 90 % des salariés) ont démarré ce vendredi matin.Tensions chez France Télécom
Les ingénieurs d'Alcatel-Lucent ne sont pas les seuls à être inquiets. Au sein de France Télécom, qui emploie encore plus de 3 000 ingénieurs pour sa R&D en France, les nuages s'amoncellent également.Jean-Luc Sicre, délégué syndical CGT de FT R&D, rappelle ainsi que 273 emplois ont été supprimés l'an passé et que 75 suppressions de postes sont envisagées cette année. ' Pour l'instant, il
s'agit essentiellement de fonctions de soutien et de support, mais leur disparition entraîne une forte augmentation de la charge de travail des ingénieurs R&D ', explique-t-il.Ici aussi, les salariés redoutent une délocalisation de la R&D dans les pays à bas coût. Pour l'instant, la direction assure ne pas vouloir délocaliser mais elle développe de nouveaux centres R&D à l'étranger.
France Télécom emploie environ 400 personnes dans le centre de l'opérateur TPSA à Varsovie et possède un centre de recherche à Pékin qui emploie 100 personnes. Le groupe doit, en outre, ouvrir un nouveau site au Caire.Là encore, ces développements se font alors que les syndicats dénoncent une réduction des investissements véritablement consacrés à la recherche menée en amont. ' Aujourd'hui, la R&D de France Télécom est
dirigée par le marketing stratégique qui travaille sur le court terme (développement de produits à six mois). La vraie recherche en amont est en baisse et cela hypothèque l'avenir ', explique Jean-Luc Sicre.Recours à l'acquisition de start-up
Outre les délocalisations, les employés craignent aussi le recours à des technologies développées à l'extérieur. Les sociétés ont en effet de plus en plus tendance à aller butiner auprès des start-up pour acquérir leurs
technologies plutôt que de s'appuyer sur leur R&D en interne.Unanimes, les syndicats du comité central d'entreprise de France Télécom (CFDT, CGC, CGT, CFTC, SUD, FO) ont demandé la relance d'une vraie R&D. Ils réclament que le budget R&D soit porté à 2 % du chiffre
d'affaires du groupe, contre 1,6 % du budget en 2006. Cette revendication ?" et beaucoup d'autres ?" seront portées le 31 mai prochain lors d'une journée de grève et de manifestation, mise en place
par l'ensemble des organisations syndicales du groupe France Télécom-Orange. En mars dernier, les ingénieurs de France Télécom étaient spontanément allés défiler aux côtés des salariés d'Alcatel Lucent. Le 31 mai, c'est
l'inverse qui est prévu.
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