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La loi stipule que la communication publique en ligne doit être accessible aux personnes présentant un handicap, mais les réalisations se font encore attendre. Pourtant, la réforme des sites, d'un coût modique, semble sans réelle difficulté technique. Et elle ne bénéficie pas qu'aux seuls handicapés. Par Nicolas Arpagian
' J'en ai entendu parler à l'Assemblée nationale, je ne sais pas combien cela coûte, mais il faut le faire. ' C'est à peu près en ces termes que, à la fin 2003, Dominique Juillot, président de la communauté d'agglomération du Grand Chalon a signifié à son chef de projet internet, Nicolas Descloux, son souhait de voir le site web de son institution devenir accessible aux personnes handicapées. Cette adaptation a valu à la structure bourguignonne, qui rassemble 38 communes comprenant 108 000 habitants, le label Or d'Accessiweb (www.accessiweb.org), la distinction de référence en matière d'accessibilité.La démarche pourrait inspirer bien des élus locaux et responsables d'administrations centrales. La loi pour l'égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, promulguée le 11 février 2005, prévoit que ' dans les trois ans à venir, les services de communication publique en ligne des services de l'Etat, des collectivités territoriales et des établissements publics qui en dépendent devront être accessibles aux personnes handicapées '. Voilà une déclaration qui devrait a priori faire l'unanimité. Malheureusement, la situation n'est pas aussi claire. ' Cette période de trois ans courra à partir de la publication d'un décret en Conseil d'Etat, précise Soraya Kompany, chef de cabinet du délégué interministériel aux personnes handicapées, Patrick Gohet. Or, malgré le délai maximum de six mois que posait la loi de février 2005 pour que ce texte soit publié, le décret n'est toujours pas finalisé. On nous l'annonce régulièrement comme imminent. ' Qu'est ce que ce serait si le sujet n'était pas aussi consensuel !Certaines administrations n'attendent pas le texte officiel pour agir et adapter leurs sites internet. Ainsi le Conseil général de l'Isère a-t-il décidé dès 2003 de rendre son site accessible aux déficients visuels. ' Nous en avons fait une priorité politique, insiste Orod Bagheri, le responsable des technologies de l'information au sein de l'institution départementale. Cela a débuté par une concertation avec les associations locales de déficients visuel sa fin de recueillir leurs attentes. ' Ensuite, il s'est agi de faire cohabiter sur la même plate-forme une version graphique du portail, une version personnalisable pour les mal-voyants et une autre, ' texte ', pour les aveugles. Un appel d'offres est prévu en février 2007 pour la mise en place d'une solution à l'intention des internautes sourds. Le coût de ce dispositif supplémentaire devrait revenir à près de 50 000 euros.
On ne sait pas reconnaître les connections en braille
La question du prix de revient est parfois mise en avant pour justifier le retard de la mise en place des outils d'accessibilité. ' Si on doit créer un site ex nihilo, la dépense supplémentaire est vraiment très faible, souligne Nicolas Descloux. Car c'est avant tout une question de codage '. Evidemment, lorsque le site est déjà élaboré, il faut patiemment décortiquer l'ensemble de son code afin d'y insérer les modules d'accessibilité. L'opération pratiquée, la personne handicapée accédera à la même page web que n'importe quel internaute. Son programme de synthèse vocale repérera ensuite directement les différentes rubriques grâce à un codage adapté. Pas question d'établir un site internet distinct, avec une adresse spécifique pour les handicapés. Au contraire, pour être considérés comme des internautes à part entière, ils souhaitent pouvoir accéder aux mêmes pages que n'importe quel surfeur. Cela pose d'ailleurs la question du retour sur investissement de l'installation de telles technologies. ' Il est très difficile de quantifier les usages, reconnaît Nicolas Descloux. Par exemple, nous ne savons pas reconnaître un internaute qui se connecterait en utilisant un clavier en braille. ' Toutefois, ce responsable constate que la fonction de synthèse vocale de son site est désormais activée 250 fois par mois. Le site internet de la présidence de la République exploite également cette technologie. Le programme retenu, Readspeaker, vocalise à la volée. ' Ce qui signifie qu'il n'y a pas de surcharge sur le serveur web du client ', explique Roy Lindemann, PDG de Read-Speaker France. Cette fonction a suscité 3 500 clics entre le 10 septembre et le 10 octobre 2006. Et environ 30 000 pendant la même période sur le site de la chaîne de bricolage Leroy-Merlin.Evidemment, ces statistiques incluent les curieux qui découvrent cette technologie, et souhaitent l'expérimenter. Mais également les personnes dont la vue baisse, les personnes dyslexiques ainsi que les non-francophones, qui seraient plus à l'aise avec des documents audio qu'avec un texte écrit. Bref, la technique ne se contente pas de venir en aide aux handicapés. Même observation pour la population des internautes qui assistent aux réunions du Conseil général de l'Isère, retransmises sur la Toile. ' Ils sont presque 800 pour une séance classique, et cela grimpe à 1 500 lors du vote des budgets. Et certains de ces spectateurs sont même domiciliés aux Etats-Unis ou au Canada ', confie Orod Bagheri.
La mode de la mobilité, une tendance à exploiter
Un autre argument invoqué par les institutions qui traînent encore les pieds est le caractère pléthorique de l'offre technologique. ' Pourtant, il faut le répéter l'accessibilité n'est certainement pas une question de logiciel, mais avant tout une question de code ', martèle Pierre Guillou, responsable du département accessibilité du web au sein de l'association BrailleNet (www.braillenet.org). Ce qui importe est donc de pouvoir aisément modifier des éléments graphiques, comme la taille des caractères ou la couleur des fonds des pages. Afin de les rendre, par exemple, plus lisibles et adaptées aux déficiences de l'internaute. ' Quels que soient ses équipements ?" un logiciel de synthèse vocale, un terminal braille... ?", il doit être en mesure de naviguer à sa guise, Ce qui suppose que le code HTML respecte les règles d'accessibilité ', complète-t-il.La mode de la mobilité pourrait constituer un précieux renfort pour les partisans d'une meilleure ouverture des sites aux divers publics des handicapés. Car la variété des appareils (assistants personnels, téléphones portables, etc.) suppose une réécriture simplifiée des sites internet. Cependant, on ne peut que déplorer la lenteur des administrations centrales à adopter cette démarche. Ainsi, l'on soulignera que seul le ministère de l'Outre-mer a décroché à ce jour un label Accessiweb, la référence en ce domaine. Encore n'a-t-il obtenu que le premier échelon, le bronze. Un début d'explication ? ' Les sites internet d'ancienne génération ont très souvent bloqué la mise en forme de leurs polices de caractères, analyse Pierre Guillou. Et c'est alors tout le code qu'il faut refaire : cela représente une dépense nette. ' Ce qui confirme que l'accessibilité doit être inscrite dès l'origine dans le cahier des charges des prestataires.Et du côté de l'édition, qu'en est-il ? La plupart des responsables de sites adaptés reconnaissent que l'usage de logiciels libres contribue davantage à respecter les standards favorables aux handicapés. Tandis que les solutions propriétaires se montrent généralement moins souples.Le tour optimiste pris par ce chantier public tient à la diversité des réponses que peuvent apporter les technologies de l'information. Ainsi, à titre expérimental, une dizaine de préfectures, à l'image de celle de Seine-Saint-Denis, proposent via internet des séances de traduction en langage des signes. Et les industriels développent des outils de plus en plus perfectionnés autorisant l'usage d'un ordinateur sans recours au clavier, ni à la souris. En guidant la man?"uvre à la voix ou par les mouvements de l'?"il. Ces équipements intéressent les handicapés moteurs. Pour les personnes souffrant de maladies mentales, des versions simplifiées des pages d'accueil des sites sont aujourd'hui à l'étude, afin que des pictogrammes clairement désignés symbolisent les services proposés.
La labellisation, aiguillon de l'évolution
' Nous voulons continuer à renforcer les échanges entre les pouvoirs publics et la société civile sur ces questions ', avertit Soraya Kompany. Au-delà des effets d'annonce, les spécificités des handicapés doivent être durablement prises en compte par les acteurs publics sur la Toile. ' Il faut constamment veiller à intégrer ces fonctionnalités dans chacun des nouveaux services que nous proposons ', souligne Nicolas Descloux. C'est tout l'intérêt de la labellisation que d'accompagner la démarche et de garder un ?"il sur le travail des équipes informatiques et des prestataires. Afin que les handicapés ne soient pas oubliés au fur et à mesure que les technologies évoluent.