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Difficile pour une jeune pousse de pénétrer le marché de l'Administration et convaincre les DSI de la sphère publique. Mais des ouvertures se font jour. Gros plan sur d'encourageantes expériences.
Réussir à placer son entreprise et ses produits dans la boucle d'achat d'une administration centrale, déconcentrée, ou en milieu hospitalier, ne représente pas une mince affaire. C'est vrai pour tout démarcheur. Même pour une grande
entreprise travaillant sur sa spécialité et rompue aux marchés publics, décrocher un contrat est difficile.Que dire, alors, du cas des jeunes entreprises innovantes ? Pour elles, la tâche se révèle encore plus délicate. Outre l'obstacle de la taille et de la jeunesse, le risque de faire appel à une société sans réputation bien assise
apparaît élevé. François Bourdoncle, PDG d'Exalead, en sait quelque chose : bien que séduites par le projet, les grandes administrations n'ont pas encore adopté son moteur de recherche, pourtant considéré comme l'un des quatre meilleurs par les
internautes. ' L'Etat est un client que l'on ne sait pas comment attaquer. En tant que jeune entreprise innovante, nous n'avons aucune priorité, aucun avantage. L'Administration est un marché ardu, sur lequel nous ne sommes
pas encore présents. '
Se doter d'une stratégie à long terme
Pour mettre toutes les chances de son côté, François Bourdoncle a choisi le partenariat avec des intégrateurs. Mais en dépit de ce soutien, Exalead n'a pas réussi. Faut-il mettre en cause l'intégrateur ou la démarche ? Après six
ans d'existence, Exalead semble toutefois entrevoir le bout du tunnel. Sa participation dans le programme gouvernemental Quaero, financé par l'Agence de l'innovation industrielle, lui confère une aura susceptible d'accélérer les prises de décisions.
Beaucoup de start up n'en sont pas là. Elles préfèrent éviter le secteur de l'Administration en se concentrant sur les marchés du privé, jugés plus lucratifs et plus faciles à aborder.Quoi qu'il en soit, les jeunes pousses qui veulent commencer à travailler avec l'Administration doivent se doter d'une stratégie à long terme. A l'image d'Active Circle, vainqueur de l'appel d'offres du projet de stockage du
synchrotron de Saclay. ' Nous avons emporté ce contrat contre une quinzaine de grandes sociétés ', se réjouit Dominique Vinay, fondateur de l'entreprise. Son atout : il connaissait les besoins
exprimés par le client depuis longtemps. Ses propositions répondaient exactement au cahier des charges. Autre expérience positive : chez Spidcom, spécialiste du courant porteur en ligne. La spécificité de son offre et la qualité de ses systèmes
ont permis à Radomir Jovanovic, son PDG, de passer un accord avec le Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l'électricité et les réseaux de communication (Sipperec). Pour autant, ce dernier ne se focalise pas sur le terrain public.
' De notre point de vue, l'Administration est une niche, nous n'y menons pas de démarche commerciale spécifique. ' Archivideo décline le même credo. Cet éditeur spécialisé dans l'imagerie 3D a investi
la mairie de Rennes, alors qu'elle n'était qu'un petit groupe. Mais avec un projet d'envergure : modéliser toute la ville et la restituer en 3D pour permettre à chacun d'y circuler et de s'y balader virtuellement. Pour François Gruson, son
directeur général, ce contrat a servi à convaincre d'autres interlocuteurs, du public comme du privé. La ville de Rennes représente pour son entreprise une vitrine qu'il utilise volontiers. Avec le temps, élus et personnel territorial se sont
appropriés le projet. Archivideo illustre, pour la mairie, la réussite d'un projet de partenariat public-privé . Et l'entente entre la grande ville et la petite PME dure depuis plus de quinze ans. Autre succès, Pages jaunes vient de signer avec
Rennes un partenariat pour diffuser sur son site les rues de la ville en trois dimensions. Ce que l'IGN (Institut géographique national), un établissement public d'intérêt commercial , n'est jamais parvenu à mettre au point.
Entre contrainte et réactivité
Mais, lorsqu'on dirige une collectivité territoriale, comment faire travailler une petite entreprise ? Le code des marchés publics se montre extrêmement strict, en particulier pour les grandes villes. La procédure de l'appel
d'offres, qui débouche inéluctablement sur une mise en concurrence, est presque systématiquement défavorable aux jeunes pousses. L'entreprise attributaire du marché est retenue, soit pour la qualité technique de sa proposition, soit pour son prix,
souvent un peu les deux. Compte tenu de la puissance de feu des grands soumissionneurs, la PME n'a aucune chance de passer. Et quand le contrat en jeu est d'un montant relativement modeste, et se situe sous le seuil d'exigibilité de l'appel
d'offres, la petite entreprise reste pénalisée. Le règlement intérieur des grandes municipalités renforce en effet, la plupart du temps, les contraintes posées explicitement par le code des marchés publics. Une seule solution, explique Hugues Aubin,
chargé de mission TIC à la ville de Rennes : ' Les start up doivent chercher à s'associer à une grande entreprise dans le cadre d'un appel à projets. C'est ainsi, dans le cadre d'un partenariat, qu'elles pourront accéder
à la commande publique, et que nous pourrons les rémunérer sur la présentation d'une facture. '
Percer la muraille
L'Administration présente cependant des avantages. Jacques Pantin, directeur général et fondateur de Dictao, en témoigne. Après avoir commencé à commercialiser sa solution de certificat et de passeport électronique dans le monde
bancaire, il a terriblement souffert de l'éclatement de la bulle internet. A cette époque, les marchés du secteur public furent sa planche de salut. Ses anciens clients, généralement issus du monde de la finance et de l'assurance , ayant , un moment
, renoncé à mettre en place des procédures électroniques. ' L'Administration, elle, a toujours cru à la dématérialisation et aux téléprocédures ', affirme Jacques Pantin. Aujourd'hui, il assure être en
mesure de couvrir ' 100 % des besoins du marché parisien haut de gamme '. Avec de très belles références, aux Journaux Officiels comme au ministère de l'Intérieur. Seul problème :
l'Administration ne passe pas toujours de la déclaration d'intention à l'acte. Et rechigne parfois à travailler avec de petites entreprises. Selon Jacques Pantin, les seuils mis en place dans la plupart des appels d'offres nécessitent, pour ces
jeunes entreprises innovantes, ' de soumissionner avec un gros prestataire, qui prendra la moitié de la marge ' !C'est tout le problème. Les PME ne peuvent passer l'examen d'entrée dans l'Administration qu'en se fondant dans un projet à plusieurs acteurs. Ce faisant, elles sont parfois noyées dans la masse et, plus grave, risquent de se faire
tondre la laine sur le dos par les poids lourds du secteur. Comment sortir de la nasse ? Peut-être en ciblant directement l'Administration. Comme Cosoluce, dont l'objet est d'informatiser les petites mairies. Jean-Marc Bayaut, qui préside aux
destinées de la société, sait qu'il vise un marché à forte inertie. De surcroît, il doit prendre des parts de marché à des confrères bien installés. Alors, il joue la proximité du client, et une certaine différenciation par l'innovation technique.
Comme celle de proposer un nouveau système de gestion de la relation avec le citoyen. Son arme fatale est donc de se rendre indispensable en visant les petites administrations, plutôt autonomes dans leurs choix.Calame a suivi la même logique, mais à une tout autre échelle. Cet éditeur d'un système de gestion de questionnaires en ligne a percé avec une solution adaptée au secteur public. Robert Sevin, son président, le dit avec fierté :
' J'ai converti la fonction publique. ' Bercy l'a retenue pour la gestion les formulaires liés à la Lolf. ' C'est un très gros client, que nous traitons en association avec des
partenaires. ' La solution proposée par Calame est bien placée dans les ministères. Elle traite du pilotage de la performance pour le ministère de l'Emploi, et assure l'intégration des questionnaires de l'Assemblée nationale.
Mais comment en est-elle arrivée là ? Une chose est sûre, Robert Sevin a su persuader et entraîner les cadres administratifs. ' A l'époque de l'Adae, il y avait des réunions d'échanges de bonnes pratiques où soixante
hauts fonctionnaires que nous avions convaincus tentaient de convaincre leurs homologues ', se rappelle Robert Sevin. C'est ainsi que Calame s'est peu à peu imposée dans le paysage.
L'apport de la mutualisation
Du côté de la puissance publique, on estime que la mutualisation des ressources devrait donner de l'oxygène aux sociétés contractantes. ' Il faut se demander quelle est la meilleure façon de remettre les petites
entreprises dans la commande publique ', expliquait Louis-François Fleri, chef du projet e-Bourgogne, lors des dernières Rencontres de l'innovation publique et de l'administration électronique , début septembre à Nantes.
' Au niveau de l'Europe, la commission insiste beaucoup sur ce thème. L'un des moyens d'y parvenir, c'est la mutualisation. Car elle rend la commande publique plus homogène entre la commune, le département et la
région. ' De fait, si ces échelons s'accordent, en amont, sur un projet, il sera plus facile pour les entreprises de faire connaître leur candidature. Et de conclure : ' La mutualisation est une
histoire. Il faut qu'elle devienne une bonne pratique. ' Même son de cloche chez Patrick Ruestchmann, chef de projet à la direction générale de la modernisation de l'Etat au ministère de l'Economie et des Finances :
' l'Administration est bonne en tâche de fond. Maintenant, on travaille beaucoup sur la simplification d'accès à la commande publique. Et le partenariat public-privé, on peut même dire la conjonction public-privé, sera
sûrement nécessaire. 'Deux difficultés brident les DSI du secteur public. La première est classique : comment repérer dans la masse une petite entreprise innovante, à haut potentiel, capable de fournir une solution pertinente à un problème
précis ? C'est tout le problème de la veille technologique et économique, que ces DSI ne sont pas tous capables de mener avec la rigueur nécessaire, soit qu'ils n'aient pas le temps de s'en occuper, soit qu'ils n'aient pas le goût de travailler
comme tête chercheuse pour le compte de leur administration. A cela, pourtant, certains responsables tentent de remédier. ' Quand nous rencontrons des sociétés dotées de technologies émergentes, dont la spécialité correspond
bien à nos besoins, on arrive tout à fait à les indentifier, à les trouver et à les faire travailler ', commente Michel Affre, DSI chargé des infrastructures au ministère de l'Education nationale .
' Evidemment, quand on connaît les dirigeants, au moins de réputation, et lorsqu'en plus ils peuvent produire des références prestigieuses, il n'existe pas de difficulté majeure. 'Il est donc indispensable, pour asseoir la relation entre jeune pousse et responsable informatique d'une collectivité, de développer ce que Michel Géri, DSI de la ville de Niort, appelle ' un réseau de
confiance '. Celui-ci peut reposer sur des liens interpersonnels, mais également géographiques : par exemple , s'appuyer sur l'existence, au sein d'une région, d'un pôle de compétitivité, d'une technopole, ou encore
d'une pépinière d'entreprises. En l'absence d'une telle convergence, l'irréparable menace : ' Quand on ne connaît pas, on a aucune raison de prendre des risques. ' Et c'est bien là une seconde
difficulté. En période de tension économique, de pression constante sur les coûts, il n'est guère possible à un DSI de passer outre ses réflexes de prudence pour faire travailler une petite entreprise locale, serait-elle dotée de la meilleure
technologie du moment...Et maintenant, que peut-il se passer ? Certains suggèrent la signature entre les pouvoirs publics, les grandes entreprises, et les réseaux de start up, de chartes de travail communes. Et pourquoi pas la rédaction d'un Small
Business Act à la française, qui assurerait un quota de commandes publiques aux jeunes pousses ? Le patriotisme économique, concept à la mode ces derniers temps, pourrait trouver là un début d'application.