Impression 3D : la nouvelle révolution industrielle

Déjà utilisées dans l'industrie et le design pour les phases de prototypages, les imprimantes 3D sortent de cette enclave. Moins chères, plus précises, rapides et capables de travailler sur une grande variété de matériaux, elles pourraient bouleverser la production.

Du modèle 3D à l'objet physique en quelques clics, telle est la promesse de l'imprimante 3D. Inventé dans les années 80, le concept s'appuie sur la technique de la stéréolithographie (SLA). Son but : disposer d'une machine pouvant produire un objet de manière autonome, en lui soumettant simplement un fichier 3D réalisé avec un outil de CAO du marché. Ces machines, au départ réservées aux laboratoires, connaissent un brusque développement dans les années 2000. Leur prix, en chute libre, les rend accessibles à de plus en plus d'entreprises. On voit même apparaître des imprimantes 3D personnelles ! Autre avancée significative, l'arrivée de techniques additives, sous le label Additive Manufacturing. Elles s'opposent aux machines-outils traditionnelles, de technologies soustractives, qui, pour atteindre la géométrie souhaitée, retirent de la matière, à un bloc d'aluminium par exemple.
Un outil de choix pour le marketing et le design

Z Corporation, notamment, a acquis en 1995 une licence de la technologie d'impression mise au point par le MIT (Massachusetts Institute of Technology) : ses imprimantes ZPrinter réalisent une fabrication d'objets laminés en projetant un liant dans une poudre composite. C'est la technologie LOM (Laminated Object Manufacturing). Particularité de ces machines : elles s'appuient sur des têtes d'impression jet d'encre standards HP, “ dont la conception a nécessité un investissement de 500 millions de dollars par le constructeur, et qui nous permettent de proposer des imprimantes robustes et de haute résolution ”, note Joe Titlow, vice-président en charge des produits chez Z Corporation. Ce dernier fournit des modèles monochromes, mais aussi polychromes, qui servent à la production de prototypes d'appareils électriques ou de bouteilles de shampooing, en incluant l'application des logos et stencils habituellement réalisée au stade du packaging sur la chaîne de production. “ Cette technique est très utilisée par les services marketing ou ceux de vente, notamment pour l'étude des packagings, ajoute Joe Titlow. Ainsi, les boucles de validation entre l'équipe de design et le client sont extrêmement rapides. ”

Parmi les plus gros utilisateurs de ZPrinter figurent la marque de cosmétiques Ambers, qui valide ainsi ses flacons avant de lancer leur production, ou Reebok et Timberlake (voir ci-contre) qui impriment en 3D leurs prototypes de chaussures destinés aux sous-traitants asiatiques.
Le procédé est simple d'emploi et sans danger : la machine se recharge avec des cartouches de matière. Aucun gaz n'est émis, la machine ne dégage aucun rejet. L'imprimante peut donc être installée dans un bureau. Z Corporation annonce avoir vendu 6 000 exemplaires.
Toutefois, la surface des objets produits ainsi n'est pas parfaite. Elle laisse apparaître les couches d'impression, ce qu'aime à souligner Richard Scherer, directeur des ventes régionales aux Etats-Unis d'Envisiontec. “ Avec notre technologie, il n'y a absolument aucune couche visible dans les objets générés, car nous travaillons sur une notion de voxels (volumetric pixels ou pixels 3D). ” L'entreprise allemande s'appuie sur la polymérisation de résines par lumière visible ou ultraviolet. Avantage ? Une qualité de surface impressionnante, d'une précision qui atteint 15 µm (microns).

Envisiontec s'est donc positionné sur le prototypage rapide dans l'aéronautique, le jouet, l'automobile, mais aussi la production de bijoux et de prothèses dentaires. Le secteur médical représente en effet un très gros potentiel de développement pour les imprimantes 3D. Par définition, les prothèses sont uniques et personnalisées pour chaque patient: ce type d'impression rend possible l'automatisation de la réalisation. Envisiontec est d'ailleurs impliqué dans un projet avec le centre de recherche en matériaux de Freiburg, afin de réaliser le 3D Bioplotter, une imprimante capable de générer des tissus humains destinés à être réimplantés sur un patient.
Les géants de l'impression commencent à se positionner
Pour sa part, Stratasys a misé sur la technologie FDM (Fused Deposition Modeling), dont le principe est de déposer un filament plastique en fusion selon une trajectoire calculée pour former l'objet souhaité lors du refroidissement. Jesse Roitenberg, responsable formation de cette société américaine, souligne les avantages de la technique : “ Nous pouvons recourir à des matériaux de qualité et durables. Et notamment réaliser des moules qui seront utilisés par la suite pour le produit final. ” Ce procédé permet l'emploi des thermoplastiques courants dans l'industrie, dont les combinés polycarbonate/ABS. Il revendique 20 000 installations dans le monde, la moitié aux Etats-Unis et le reste en Europe, notamment en Allemagne et en France.

Preuve de l'expansion de ce marché, les géants de l'impression tels que Canon et HP s'y intéressent. Ce dernier commercialise d'ailleurs sous sa propre marque certaines des imprimantes de Stratasys. Sa gamme HP Designjet 3D correspond aux modèles Dimension uPrint de Stratasys (voir ci-contre). Chaque technologie a ses avantages et ses limites, rendant certaines applications possibles ou non. Ainsi, le frittage stéréolithographique sert à fabriquer des pièces totalement irréalisables par moulage. Bernard Faure, responsable technico-commercial du bureau français de Proto Labs, précise : “ Les pièces produites par impression 3D ne subissent pas le stress de l'injection : leur résistance mécanique est donc différente de celle de la pièce qui sera produite au final. ”
Si la flexibilité et la rapidité d'exécution de ces imprimantes en font des outils de plus en plus indispensables pour le prototypage rapide, ces machines commencent à se frayer un chemin vers les ateliers de production. Terry Wohlers, analyste spécialisé dans ce domaine, estime qu'aujourd'hui plus de 20 % des imprimantes 3D actuellement déployées servent aux industriels pour fabriquer des produits finis et non plus seulement des prototypes. Et, selon lui, à l'horizon 2020, la moitié d'entre elles seront utilisées en production.
Des bureaux d'études aux ateliers de production
Stratasys est certainement le constructeur le plus avancé dans cette démarche. Il propose déjà des gammes d'imprimantes sous deux marques différentes, Dimension et Fortus. La première vise les bureaux d'études et de design, avec des modèles de petite capacité, dont les prix démarrent à moins de 15 000 dollars. La seconde réunit des machines de plus forte capacité, à l'attention des prototypistes mais aussi des entreprises qui réalisent des pièces finales. Cette gamme répond notamment à une critique habituellement faite aux imprimantes 3D : la faible taille de leurs enceintes. Les fabricants répliquent habituellement qu'il suffit de coller les pièces, comme en modélisme. Mais avec son modèle de production Fortus 900mc, équipé d'un bac de 91,4 cm x 61 cm x 91,4 cm, il devient possible d'imprimer des pièces plastiques de grande taille. BMW réalise des outillages par ce moyen pour son usine de Regensburg. Klock Werks Kustom Cycles, un fabricant de motos sur mesure, l'utilise pour ses pièces plastiques.

Là encore, le temps est capital : il faut traditionnellement de quatre à six semaines pour concevoir un moule avant de pouvoir produire les pièces en question. Cette même opération ne prend que quelques heures avec une imprimante 3D.
Si ces machines sont capables de générer des objets sur des plastiques de plus en plus durs, la nouvelle frontière des professionnels du secteur concerne les matériaux dits nobles, soit principalement les métaux. i.materialise, l'équivalent américain de Sculpteo, propose plusieurs matériaux à son catalogue : l'aluminium, mais aussi, autrement plus dur, le titane. La technologie dite SLS (Selective Laser Sintering) permet de réaliser des objets métalliques. Un laser de forte puissance ou un faisceau d'électrons vient littéralement tracer la pièce dans la poudre de matériaux. L'industriel EADS exploite cette technologie pour créer des pièces en titane. De même, des éléments du F35 Joint Strike Fighter – le futur avion de combat de l'Usaf (United States Air Force) et de l'Otan (Organisation du traité de l'Atlantique nord) – seront conçues à l'aide du procédé additif EBM (Electron Beam Melting), une technique voisine utilisant un faisceau d'électrons à la place du laser.
Des contraintes de fabrication bien spécifiques

Ces procédés, notablement plus coûteux que l'impression stéréolithographique, par exemple, ont atteint le stade commercial. En Europe, l'Anglais MTT Technologies Group, le Suédois Arcam et l'Allemand Eos proposent de telles machines. Les contraintes de fabrication sont pourtant nombreuses. “ Les clients demandent du métal, mais la technologie n'est pas encore prête à une large diffusion. Le prix d'une imprimante 3D monte jusqu'à un million d'euros si l'on veut le frittage laser ”, assure Clément Moreau, le fondateur de Sculpteo.
Et de renchérir : “ Ce qui la rend inaccessible aux bureaux d'études, car il faut non seulement investir dans la machine, mais aussi disposer d'un atelier et d'un opérateur spécialisé. Cette technologie est également trop contraignante. Par exemple, lors de la fabrication de la pièce, la température peut monter jusqu'à 800°. Ce qui pose des problèmes de dilatation différentielle de la pièce en cours de fabrication : elle se tord. Il faut donc souder un support à la machine et mettre en place des aiguilles pour que cette pièce conserve sa géométrie lors de la fabrication. C'est un vrai métier d'ingénieur. ”
Imprimantes et machines-outils numériques sont complémentaires

Devant le raccourcissement des délais demandés par les industriels, les prototypistes traditionnels, c'est-à-dire travaillant avec des machines-outils classiques, remettent en cause leurs processus. Leurs machines restent irremplaçables sur les matériaux les plus nobles, et gardent une longueur d'avance sur plusieurs plans : “ En ce qui concerne les pièces de petite taille, une imprimante 3D permet d'obtenir des résultats très rapidement et à un prix très inférieur, explique Jason A. Revelle, responsable projet chez l'Américain Prototype Solutions. Pour de plus gros volumes, la machine à commande numérique est plus compétitive, de même qu'elle est incomparable en termes de précision. ” Les constructeurs de ces systèmes, tel Roland, n'hésitent pas à se frotter aux imprimantes 3D, notamment sur les coûts de maintenance.
Tout dépend du matériau et de la complexité de la pièce
Bernard Faure explique la démarche de Proto Labs, spécialisée dans le prototypage rapide : “ Nous avons une offre par fraisage de blocs plastiques, en aluminium ou en laiton. La demande de devis et de délai s'effectue en ligne, le client nous faisant parvenir par téléchargement son modèle 3D, à partir duquel notre logiciel réalise l'analyse plasturgiste de la pièce. Nous sommes capables d'établir un devis détaillé en deux à trois heures, et de garantir la réalisation en vingt-quatre heures, cinq jours, dix jours, quinze jours maximum, selon la complexité de la pièce. ” Pour parvenir à un tel délai (alors qu'il est habituellement de l'ordre de six semaines), l'entreprise américaine a choisi de concentrer sa production en un lieu unique et, surtout, a repensé son informatique. “ Nous disposons aux Etats-Unis de l'un des clusters les plus puissants au monde, composé de centaines de serveurs. Soit près d'un millier de processeurs Intel. ”

Toutefois, Bernard Faure ne se considère pas en concurrence avec les imprimantes 3D : “ Chaque technologie a ses pour et ses contre. Dans l'automobile, par exemple, les sous-traitants doivent réaliser les pièces prototypes dans le bon matériau pour qu'une validation complète soit possible. Nous ne nous sommes ainsi positionnés que sur les matériaux de bonne qualité (pas sur les résines, entre autres). De ce point de vue, les imprimantes 3D et les machines-outils numériques apparaissent comme complémentaires. ”
S'il reste encore des obstacles, que ce soit au point de vue des technologies de frittage ou des logiciels mis en œuvre, l'essor des imprimantes 3D dans l'industrie semble désormais inéluctable. Elles correspondent particulièrement aux scénarios de développement des entreprises qui cherchent à créer des produits de plus en plus personnalisés, le plus rapidement possible.
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