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Les entreprises attendent plus de garanties avant de se lancer
Incontestablement, le cloud computing représente une véritable rupture technologique et organisationnelle. Apparu sous les effets conjugués de la virtualisation, des réseaux haut débit et du stockage bon marché, le nuage informatique s'est ancré dans les entreprises françaises en quelques années, mais avec des différences notables dans ses usages et sa mise en œuvre. Selon une étude du cabinet Markess International, c'est le Saas (Software as a Service) qui rencontre le plus de succès en France, avec 24 % de pénétration, notamment grâce à une certaine popularité au sein des PME.
L'essor des logiciels hébergés
Créé en 1999, Salesforce est devenu le symbole de cet essor. Avec un chiffre d'affaires de plus de 1,6 milliard de dollars en 2010 et 92 300 clients payants, l'éditeur californien a réussi à imposer le mode hébergé dans le secteur de la gestion de la relation client (CRM), alors totalement acquis aux progiciels classiques de type Siebel et SAP. Le marché du Saas propose une multitude d'applications, dans des secteurs aussi divers que les ressources humaines (Successfactor, Talentsoft, Taleo…), la gestion budgétaire (Adaptative Planning), d'entrepôts (WMS) ou du transport (TMS). Les solutions collaboratives connaissent, quant à elle, une forte progression.Toutefois, le succès n'est pas systématique. On se souvient du lancement de SAP Business By Design, l'ERP cloud du géant SAP. Commercialisée en 2007, cette offre ne compte aujourd'hui que 400 clients au niveau mondial. Quant à Netsuite, le prociciel créé peu avant Salesforce par le même investisseur (Larry Ellison), il a réalisé en 2010 193,1 millions de dollars de chiffre d'affaires, soit pratiquement dix fois moins que Salesforce.Car tout n'est pas bon à prendre dans le Saas. “ Les politiques tarifaires pratiquées ne sont pas très simples, sans compter les problèmes liés à la confidentialité et à la sécurité des données, explique Manuel Alves, manager chez Alcyonix et auteur d'Intégrer Google Apps dans le SI. Le Saas ne fait pas encore partie des automatismes du DSI. Ce sont les métiers qui en parlent, et les départements d'études qui le poussent. ” La rentabilité d'un logiciel en ligne n'est pas non plus évidente. Selon Alain Allaume, fondateur d'Altaris, “ au bout de quatre ou cinq ans, une application Saas revient plus chère qu'une solution traditionnelle. De plus, il faut tenir compte du coût de la réversibilité. S'il peut être faible sur une application non stratégique (logiciel de gestion de notes de frais), c'est tout autre chose pour une application métier. ”En cote de popularité, le Saas est suivi loin derrière par le Iaas (Infrastructure as a Service), avec un taux de pénétration dans les entreprises françaises de 2 %. Pourtant, selon une étude de Pierre Audoin Consultants (PAC), ce type de cloud représente le plus gros chiffre d'affaires en 2010, car ce sont surtout les grandes entreprises qui le choisissent, notamment pour réaliser des clouds privés.
De nombreuses offres difficilement comparables
C'est le cas du groupe 3 Suisses qui, dans le cadre d'une fusion des systèmes d'information, souhaitait mutualiser toute son infrastructure dans un cloud privé. “ Basé sur les technologies de virtualisation, un tel cloud permet de banaliser l'infrastructure et de répartir le plus souplement possible la puissance entre les applications, en fonction des besoins. Ce qui aide à faire des économies sur le matériel, explique Pierre Gressier, DSI de Commerce BtoC, l'entité juridique qui regroupe les enseignes B to C du groupe. De plus, en mutualisant l'informatique, nous obtenons une masse critique suffisante pour créer un cloud privé économiquement rentable. Pour un petit acteur, par contre, un cloud public est mieux adapté. ”Dans le domaine du Iaas public, l'offre est presque surabondante. Avec AWS (Amazon Web Services), Amazon reste la référence en matière de souplesse de mise en œuvre, même si une récente panne de quatre jours a jeté un doute sur la robustesse du service. En France, la plupart des hébergeurs, opérateurs et SSII ont pris le virage des machines virtuelles à la demande en mode public, en s'appuyant, généralement, sur les hyperviseurs VMware et HyperV. Tous mettent en avant leurs points forts : la qualité du réseau chez les opérateurs, les compétences applicatives pour les SSII, l'indépendance et la sécurité avec les hébergeurs. Les offres sont toujours facturées à l'usage, mais les prestataires disposent de leur propre modèle de tarification : à l'heure, à la journée, au mois, à l'année, en fonction des données transférées ou stockées, avec ou sans sécurité, etc. Résultat, la comparaison des prix du Iaas est devenue aussi difficile que ceux de la téléphonie mobile, voire carrément impossible.Responsabilités et gouvernance ne sont pas non plus faciles à définir. “ Notre système d'information est entièrement externalisé chez un hébergeur. Nous ne gérons que la partie applicative : logiciels métier, bases de données, développements, etc., explique Olivier Touzé, DSI de Strego. Nous nous sommes recentrés sur notre cœur d'activité tout en limitant les coûts d'investissement. La principale difficulté de ce type d'architecture est le flou qui peut exister sur les responsabilités de chacun, au risque de se retrouver devant des problèmes qui tardent à être résolus. ”
Pour le calcul intensif aussi
Une variante plus scientifique et plus récente du Iaas est le calcul haute performance dans le cloud (High Performance Computing, ou HPC). AWS a été, là encore, l'un des premiers à le proposer, en louant des grappes de serveurs virtuels sur architecture x86 ou GPU (Graphical Processor Unit). Il a été suivi par Bull et SGI, avec leurs offres respectives Extreme Factory et Cyclone. Même Microsoft s'est engouffré dans la brèche, avec HPC Windows Server 2008 R2, conçu pour créer et gérer des instances de calculs massivement parallèles dans Azure. L'objectif du cloud HPC est de démocratiser le calcul intensif et de le rendre plus flexible. “ Pour les grandes entreprises, cela représente un moyen d'absorber les pics de charge. Pour les PME, c'est une possibilité d'accéder à des ressources jusqu'alors inaccessibles ”, explique Olivier Jean, directeur du programme Extreme Factory chez Bull. Ce constructeur pense surtout séduire les entreprises des secteurs de l'industrie et des médias, que ce soit pour des études sismiques, le design aérodynamique ou la création d'effets spéciaux. Pour les PME innovantes, dont l'activité s'appuie sur la simulation, ce type d'offre est pain bénit.
Des problèmes de législation
Malgré ce nouvel éventail de possibilités offertes par le cloud, les DSI restent prudents. Beaucoup estiment que la technologie n'est pas vraiment mature et qu'il reste de nombreux problèmes à résoudre, telles l'interopérabilité, la sécurité, la traçabilité, etc. Un des obstacles mis en avant concerne la localisation des données, le transfert de informations personnelles hors de France et d'Europe étant très encadré par la loi informatique et libertés. De plus, certains domaines ont des restrictions spécifiques. Les établissements de santé, par exemple, qui produisent et gèrent des données en s'appuyant sur le cloud, doivent s'assurer que leurs prestataires les conservent en France.A noter également que “ le droit fiscal français n'autorise pas le dépôt d'informations comptables hors des frontières de l'Union européenne ”, précise Gwenaëlle Bernier, avocate associée au sein du cabinet Fidal Direction Internationale et spécialisée en droit fiscal.Un autre obstacle au cloud computing en entreprise concerne l'impact sur l'organisation. Car déporter vers un tiers un certain nombre d'infrastructures et d'applications ? en particulier celles qui ne constituent pas leur cœur de métier (messagerie, serveurs, sécurité, bureautique, poste de travail, etc.) ? implique de baisser les ressources liées à leur développement et à leur exploitation. “ L'impact prévisible du cloud est le basculement d'une partie des équipes infrastructure vers le renforcement des équipes projets métier ”, explique Guillaume Ramey, DSI de SMB Offshore, à Monaco, spécialiste des plates-formes pétrolières.
Une bonne conduite du changement
Enfin, la DSI doit se doter de solides compétences en achat et gestion de contrats, pour comprendre et évaluer les nombreux services cloud. Ce qui est loin d'être simple, car les niveaux de service ne sont ni homogènes, ni particulièrement transparents. “ Ce qui demande de véritables Service & Contract Managers, capables de gérer et maîtriser les fournisseurs de services informatiques au quotidien ”, explique Thierry Hinfray, DSI de l'Assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie (ACFCI).Humainement, cette mutation peut être difficile et nécessite une bonne conduite du changement. “ Avec le cloud, il n'y a plus vraiment d'informatique dans l'entreprise ! Pour l'informaticien, c'est souvent un traumatisme, une perte de reconnaissance, voire de travail. Et la direction a le sentiment de ne plus avoir la maîtrise de la confidentialité ”, souligne Philippe Hugues, DSI de Ciat, fournisseur de matériel de climatisation. Les compétences managériales du DSI sont donc capitales pour conduire sereinement cette transformation.
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