Philippe Gautier(*) est directeur général de la société Business2Any, spécialisée dans la conception de systèmes informatiques complexes et répartis dans l'internet des objets.L'écosystème internet évolue constamment avec la généralisation de l'utilisation, dans les chaînes de valeur, de technologies sensorielles élaborées (capteurs, tags RFID, NFC, etc.) et, plus généralement, des supports électroniques d'identifiants ; sa récente évolution ? l'internet des objets ? soulève de nouveaux enjeux en matière économique, sociale, de gouvernance ou encore d'organisation. Car ces technologies matérielles associées aux objets physiques (ceux de notre quotidien) permettent de démultiplier la production, la diffusion, le partage ou l'utilisation d'informations de nature événementielle relatives à leurs cycles de vie dans les systèmes d'information en place et aident (en théorie) à l'amélioration ou au support des processus, qu'ils soient B to B, B to C, B to B to C, Any to Any, etc.
Des objets dotés d'une intelligence logicielle
Dans ce nouveau paradigme, les objets physiques, grâce à leurs intelligences logicielles associées (qu'elles soient embarquées, déportées dans le cloud, distribuées, centralisées, etc.), deviennent des acteurs des chaînes de valeur qui agissent sous le contrôle des opérationnels, des consommateurs, des citoyens… ou en partenariat avec eux. En accédant ainsi au statut d'assistants, de conseillers, de décideurs ou encore d'organisateurs, ces objets intelligents (ou cyberobjets) évoluent en véritables agents économiques et contribuent à la mutation des modèles économiques ou d'organisation existants. Cette mutation est due à la complexification croissante des processus à traiter dans les systèmes informatiques (notamment au travers de la multiplication des données événementielles produites), d'une part ; et à la montée en puissance des cyberobjets qui, à des niveaux subsidiaires, sont capables de réagir (en tant qu'auxiliaires de gestion) à ces événements en contexte, d'autre part.Pour cerner ces évolutions et y répondre, l'informatique de gestion doit donc se réformer : l'apport des sciences de la complexité et l'héritage cybernétique de la seconde moitié du XXe siècle sont autant de sources d'inspiration possibles pour permettre le traitement contextuel et sémantique de l'information, et ce en toutes circonstances. Certaines sociétés l'ont déjà compris et œuvrent dans ce domaine. Cet internet des objets prolonge ainsi le web 2.0 ? où les acteurs sont essentiellement humains ? mais illustre aussi les limites auxquelles ce dernier est confronté : celles de notre capacité à concevoir des outils (artefacts) toujours plus puissants, mais aussi intrinsèquement inaptes à interopérer naturellement (développements en silos), voire incontrôlables dans des environnements opérationnels complexes ou chaotiques. L'adéquation des systèmes d'information financiers pendant les crises récentes en est un bon exemple…Une réforme informatique indispensable
Dans la droite ligne des principes de l'école sociotechnique et des acquis de la cybernétique, le véritable enjeu de cet internet du futur consiste donc dans notre capacité à adapter nos modèles sociaux, techniques ou économiques, ainsi que nos modes de conception et de gestion de nos organisations, essentiellement fonctionnels : la réforme informatique en est un corollaire. Dans l'organisation d'aujourd'hui, les délégations concernent aussi bien des acteurs humains que des automates, incluant les plus sophistiqués d'entre eux : les systèmes d'information. Mais ces derniers sont généralement conçus en marge ou en parallèle de l'organisation réelle : le système opérant. L'intégration n'est pas pensée en amont ? la position des services informatiques dans les entreprises en est un indicateur pertinent ? et des réalignements réguliers sont nécessaires pour coordonner système d'information et réalité du système opérant.Dans ce contexte, la multiplication des technologies sensorielles matérielles risque de nous conduire au chaos numérique. Le changement n'est donc pas anodin. Il est de même nature que celui qui s'est opéré entre la vision du cosmos de Newton et celles d'Einstein (loi de la relativité) ou de Max Planck (théorie des quanta), et ses conséquences sont semblables à celles dues au passage du canon à la bombe atomique.Philippe Gautier est le coauteur, avec Laurent Gonzalez, de L'Internet des objets - Internet mais en mieux (ed. Afnor, sortie le 15/09/2011).
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