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Toutes les facettes de l'infogérance ne semblent pas envisageables en offshore. L'interdit frappe encore les projets complexes ou exigeant de courts délais. Mais les retours d'expérience laissent entrevoir de réelles possibilités
d'économies. Au prix de minutieux efforts de préparation.
' L'offshore, c'est une pratique que nous devons prendre en compte au travers d'impératifs économiques ', lâche Jean-Claude Barrier, DSI de Bombardier Transport. La délocalisation
des prestations informatiques dans les pays à bas coûts salariaux, comme l'Inde, reste peu répandue, mais semble appelée à progresser encore. Selon le cabinet juridique européen Bird & Bird, elle représentera de 10 % à 15 % du total
des services liés aux technologies de l'information dans les trois ans qui viennent. Les DSI s'y préparent, car la seule volonté de réduction des coûts émanant des directions générales pourrait les y contraindre. Certains lancent des expériences sur
des petits périmètres et pour des applications ou des services bien définis, généralement non stratégiques. Si les premiers retours d'expériences se révèlent assez positifs, les DSI gardent la tête froide. Un constat unanime : externaliser à
l'étranger certaines parties du système d'information n'est pas concevable.A condition de bien maîtriser ce que l'on externalise et de préparer l'opération avec minutie, tant au niveau des processus que des personnes, d'importantes diminutions de coûts sont réalisables. En contrepartie, l'offshore
alourdit les procédures. Et la modification des habitudes de travail peut déstabiliser les équipes de la DSI et limiter les économies attendues.
Les grandes SSII étoffent leurs effectifs en Inde
Selon une étude publiée par le cabinet Pratiq, 15 % des grandes entreprises françaises interrogées reconnaissent avoir transféré une part importante de leurs prestations externalisées vers l'Inde, l'Asie et le Moyen-Orient.
Et 38 % d'entre elles envisagent d'augmenter le recours à l'offshore dans les années à venir. ' Nous avons mené quelques expériences pour comprendre le mode de fonctionnement, confie Vincent Bradfer, directeur
de l'ingénierie des systèmes d'information de l'opérateur SFR. Nous savons que l'aspect coût est de plus en plus important, et préférons prendre les devants avant qu'on nous le demande formellement. ' Le feu vert,
Jean-Claude Barrier l'a reçu depuis longtemps. Début 2003, il transmet à CSC la gestion de l'infrastructure informatique ainsi que de toutes les applications métiers à l'exception de Catia (CAO), et d'une partie de SAP. ' Au
début du contrat, il n'était pas question d'offshore, il y avait juste un impératif de performance tarifaire ', précise-t-il. Désormais, la supervision du réseau local, la gestion des différents éléments de l'architecture et
les projets de développement sont externalisés en Inde. ' Nous avons pris l'offshore en compte de façon industrielle ', poursuit Jean-Claude Barrier. D'autres DSI ne se posent pas la question en ces
termes. Ainsi Xavier Rambaud, DSI du groupe chimique Rhodia, avoue ne pas s'en préoccuper. ' Je sais que mes centres de calcul sont en France, mais j'ignore comment ils sont gérés. J'achète un service. Que mes prestataires
fassent ou non de l'offshore ne me regarde pas. 'De façon directe ou indirecte, l'offshore prospère. Sans fournir de chiffres, Maître Rémy Bricard, du cabinet Baker & McKenzie, spécialiste en la matière, confirme la tendance. Les grandes SSII renforcent leurs
équipes : les effectifs de Capgemini en Inde devraient grimper de 4 000 à 10 000 d'ici à la fin 2007. Et le nombre de personnes employées par IBM en Inde est passé de 9 000 à 43 000 en deux ans. Certaines tensions
apparaissent sur ce marché : ' Nous avons un problème sur un contrat de développement SAP. Il y a une grosse pression mondiale sur des développements spécifiques, et la ressource est difficile à
obtenir ', révèle Jean-Claude Bernard, DSI du groupe d'ingénierie pétrolière Schlumberger.
Maîtriser le droit anglo-saxon et soigner la communication
A les écouter, les DSI avancent prudemment. ' Nous avons commencé par de petits projets, soit via notre prestataire CSC, soit directement avec d'autres prestataires en Inde ',
souligne Jean-Claude Barrier. Même démarche chez SFR : ' Nous avons testé l'offshore en Inde pour une application non stratégique, avec un partenaire en France ', relate Vincent Bradfer.
' Faire de l'offshore, en Inde notamment, entraîne un certain nombre de contraintes, met en garde Jean-Claude Barrier. Il faut prendre en compte des changements de fuseaux horaires, les différences
culturelles et les problèmes de langue ; même si nous parlons tous l'anglais, des différences d'accent ou de vocabulaire peuvent se solder par des problèmes de compréhension. 'Ces délicats problèmes de communication altèrent la perfection théorique du modèle économique. La traduction en anglais de l'expression des besoins et la compréhension de ces derniers prennent du temps. Sans compter les
particularités juridiques. ' Les pays où l'on pratique l'offshore ont plutôt une culture anglo-saxonne, et donc une culture juridique forte : la moindre modification par rapport à la demande initiale entraîne un avenant
au contrat ', témoigne Pierre Gressier, aujourd'hui DSI de Canal Plus, fort de son expérience de DSI à la Fnac.
Un modèle inadapté lorsque prime la vitesse d'exécution
Travailler avec des gens éloignés de plusieurs milliers de kilomètres impose une préparation plus fine. ' Les besoins doivent être très bien exprimés, et il convient de s'assurer qu'ils sont bien compris.
Cela nécessite une documentation très précise ', prévient Jean-Claude Barrier. ' La réalisation de notre projet offshore a pris un peu plus de temps que prévu, avoue Vincent Bradfer.
Il a fallu envoyer quelques collaborateurs en Inde pour boucler les spécifications fonctionnelles, ce qui a engendré des coûts supplémentaires. Mais l'équation économique demeure positive sur un projet de 2 000
jours/homme. ' Selon lui, 20 % d'économies représenteraient un objectif raisonnable. ' En revanche, j'ai des doutes sur le chiffre de 40 % parfois avancé. 'En cas d'erreurs et lorsque la maîtrise du projet échappe à la DSI, l'offshore apparaît même comme le meilleur moyen de payer plus cher ! ' Un de nos grands fournisseurs nous a proposé un projet
incluant un développement en Inde, raconte Yves Caseau, DSI de Bouygues Telecom. Au cours du projet, nous demandons que l'on change de place une balise XML dans le code. Ce que notre prestataire nous facture 20 000 euros,
prétextant de la complexité de la demande. Notre équipe vérifie alors le code, et s'aperçoit qu'il n'est pas bon, qu'il y a un défaut de conception. Le problème relevait donc de la responsabilité du prestataire, pas de la nôtre. Heureusement que
nous disposions de nos propres compétences pour nous en rendre compte. ' La conduite d'un projet en offshore suscite parfois des difficultés plus inattendues. Les contraintes d'une préparation minutieuse peuvent passer pour
des points de détail, mais ' si on ne les gère pas de façon détaillée et structurée, on peut se retrouver confronté à des rejets en interne au niveau personnel ', alerte Jean-Claude Barrier.La réussite d'un projet en offshore passe par la définition de spécifications très précises et un cahier des charges visant à l'industrialisation du projet. Le modèle convient parfaitement pour des projets très structurés et
parfaitement normés comme le pilotage technique d'infrastructures. Hors de ce cadre, des réticences s'expriment. ' Je ne pense pas que l'offshore soit indiqué pour des projets complexes nécessitant un grand nombre d'allers et
retours entre les équipes métiers et les équipes projets ', assène Yves Caseau. Pour les DSI l'ayant pratiqué, le verdict est sans appel. Ce modèle est inadapté lorsque prime la rapidité de la mise sur le marché ou un
développement rapide. ' Nous avons besoin de processus de développement très courts pour des applications stratégiques comme la relation client ou la facturation. L'offshore n'est pas d'actualité pour le
moment ', atteste Vincent Bradfer. ' Sur de longs projets, il peut représenter une solution ', complète Pierre Gressier. Mais les délais courts exigent la proximité. Ainsi, Canal
Plus va déployer une application Siebel, destinée à 600 téléopérateurs, représentant 15 000 jours/homme. Lancé en février 2006, le projet avait pour terme la mi-juillet 2007. ' C'est un projet fonctionnellement très
lourd, note Pierre Gressier. Chaque écran développé doit être validé dans l'heure. En offshore, la seule phase contractuelle aurait duré cinq mois. '
Des pertes de compétences liées aux mouvements de personnels
Sur des projets moins complexes, l'offshore pose aussi quelques problèmes. ' L'assistance technique en offshore présente des difficultés, prévient Dominique Bissey, DSI du groupe de distribution
de matériel électrique Rexel France. Difficile de retrouver l'implication des équipes internes, capables de définir immédiatement la gravité d'une situation. Il a fallu chercher des solutions pour que le traitement d'un problème reflète
son importance en termes de métier. ' Autre source de complications identifiée par Dominique Bissey, les mouvements de personnel chez les prestataires. ' Cela entraîne immanquablement la perte de
compétences. ' Jean-Claude Bernard, qui pratique l'offshore pour la recherche et développement, le portage d'applications, le développement et l'assistance technique, approuve. ' Les salariés changent
sans cesse de poste et d'emploi. Plusieurs Indiens travaillant pour un de nos prestataires sont venus participer à un de nos projets aux Etats-Unis. Ils demandaient tous à partir au bout de six mois. ' En Inde, un salarié
compétent estime qu'il doit être appelé sur un projet plus ambitieux au terme de ce délai. ' Nous comptions sur ces bons éléments pour achever le projet, il y a eu des ajustements pour entretenir leur
motivation ', soupire Jean Claude Bernard. Qui souligne que les sociétés indiennes prévoient des solutions. ' Sur un contrat listant une quarantaine d'engagements, seuls un ou deux posent
problème. ' L'offshore a ses écueils, mais rien d'insurmontable, apparemment.
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